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çaise le désordre des finances, la disposition des esprits et la guerre d'Amérique.

Que l'ordre eût régné dans le Trésor public; que l'équilibre eût été parfait entre la dépense et la recette, et toutes les idées d'indépendance, dont les esprits étaient pleins, se seraient exhalées dans les cercles, dans les séances académiques ou dans quelques remontrances parlementaires; se seraient ployées à des habitudes paisibles; eussent reçu le frein d'un contrôle réciproque; fussent même entrées dans un nouvel ordre de soumission, en étant appliquées à la chose publique par les nouveaux corps administratifs qui naissaient de toutes parts, et restaient tous sous la main du roi.

Que la disposition générale des esprits eût été, sous Louis XVI, ce qu'elle était sous Louis XIV et même jusqu'à la moitié du règne de Louis XV : le dérangement des finances n'eût amené aucune catastrophe politique. On eût rempli le vide du Trésor avec plus ou moins de promptitude; on eût décrété des suppressions, établi des recherches plus ou moins sévères; on eût pu inquiéter, punir quelques administrateurs, mais personne n'eût songé à se constituer en insurrection contre le roi.

Enfin, que dans cette combinaison de circonstances, il y eût eu de moins la guerre d'Amérique ; et que dans la dette nationale il y eût eu de moins seize cents millions; et la disposition des esprits n'eût pas été entraînée tout-à-coup des théories d'une

indépendance paisible aux convulsions et aux excès d'une révolte pratique.

Il fallait donc, pour prévenir la révolution française, une de ces trois choses: ou arranger les finances; ou s'emparer du mouvement des esprits; ou abandonner à eux-mêmes les insurgens américains. En évitant une de ces trois causes de bouleversement, on frappait d'impuissance les deux autres. On les a au contraire réunies toutes les trois, et dans leur plus grand degré d'activité. Un Léopold, un Frédéric, un Gustave eussent peutêtre trouvé encore moyen d'en triompher mais : Louis XVI était né pour être le père d'un peuple soumis, et non le dominateur de sujets rebelles : le ciel, qui le destinait à un grand exemple, lui avait donné la constance des martyrs plutôt que le courage des héros, la confiante pureté des anges bien plus que la sagesse ombrageuse des humains; et, dans la crise où il s'est vu jeté, personne ne pouvait suppléer l'action, la volonté, le caractère du maître.

Cette dernière considération est pénible à exprimer, mais impossible à dissimuler. Le caractère de l'infortuné Louis XVI, le désaccord qui s'est trouvé entre le genre de ses vertus et le besoin des circonstances, ont eu évidemment une si grande part dans le triomphe de la révolution, que je dois peut-être les présenter ici comme une quatrième cause principale, après les trois que j'ai déjà énoncées. Mais ensuite il n'est plus, selon moi, ni cir

constance, ni individu, qui ne rentrent dans la foule des causes secondaires. Les choses étaient inévitables; les noms sont presque indifférens à connaître; au défaut d'un personnage, un autre se fût présenté. Toutes les fois que dans un grand État les canaux du Trésor public sont desséchés, et les élémens de la société en confusion; lorsque les anciens freins de la subordination graduelle sont brisés, et qu'il n'y a pas une main ferme pour en imposer sur-le-champ de nouveaux, alors il faut s'attendre que les vices, les passions, et jusqu'aux vertus vont entrer dans une fermentation dont les effets sont incalculables. Alors des hommes rigoureusement justes voudront profiter du moment pour introduire partout la justice rigoureuse ; tandis que d'autres, ou incapables de connaître, ou résolus de proscrire cette justice, tantôt lui déclareront une guerre ouverte, et tantôt paraîtront se ranger à sa suite, pour revêtir leurs crimes de son nom. Il y aura des enthousiastes dangereux par la pureté même de leurs intentions, et des êtres corrompus qui feront volontairement le malheur public pour la chance d'un intérêt personnel. Il y aura une jeunesse avide de nouveautés, ivre de présomption, et voyant en pitié l'expérience des siècles; des vieillards courbés sous le joug de la routine, et ne concevant rien que dans ce ce qui n'est plus; des hommes qui se croiront placés par la sagesse comme par la nature entre ces deux âges, qui voudront concilier le passé, le présent et l'a

venir, ne persuaderont nulle part et déplairont partout. On verra des ambitieux de célébrité, de pouvoir, de richesses, saisir, les uns sans discernement, et les autres sans scrupule, tous les moyens d'assouvir la passion qui les tourmentera. Dans cette mêlée, déjà si terrible, viendront encore se jeter les mécontens, les vindicatifs, les envieux, les ingrats. D'abord ils appartiendront tous aux classes supérieures par le rang, la fortune, ou l'instruction. Bientôt chacun fera tous ses efforts pour émouvoir ce qu'on peut appeler la masse brute de la société, pour en détacher quelque portion, et s'en faire un appui contre ses rivaux. Une fois mise en mouvement, cette masse engloutira tout, les hommes et les projets, les résistances et les conseils, ses ennemis et ses chefs.

Voilà le tableau général de la révolution française, voilà celui de toute révolution qui éclatera dans de telles circonstances et par de tels principes. Revenons à ce que j'ai appelé les causes principales de ce terrible événement.

En les énonçant tout à l'heure, je les ai d'abord rangées selon le degré et l'activité de leur influence: j'ai dû parler des finances avant tout, parce qu'aujourd'hui les États vivent ou meurent par les finances. Maintenant que nous allons parcourir les faits, c'est l'ordre chronologique qu'il nous faut suivre; et la disposition générale des esprits, lors de l'avénement de Louis XVI au trône, est le premier objet qui doive fixer notre attention. Il né

cessitera un coup-d'oeil rapide sur les temps antérieurs; car il faut voir cette disposition des esprits naître, se développer, s'étendre, et arriver à ce degré de force où elle s'est rencontrée avec le règne du juste et infortuné Louis XVI.

Dire que chaque siècle de notre histoire moderne a été caractérisé par un esprit particulier qui l'a dominé; qu'après le siècle des croisades sont venus successivement celui de la chevalerie, celui de la renaissance des lettres et des sectes religieuses; celui des lettres perfectionnées, de la grandeur, de la politesse et des beaux-arts; enfin celui des sciences exactes, de la philosophie, de l'économie politique, de la hardiesse dans la pensée, et de l'indépendance dans les principes, c'est rappeler une vérité que tout le monde doit avoir observée.

Charger d'anathèmes sans distinction l'esprit du siècle qui vient de se terminer; maudire le nom seul de la philosophie, parce qu'il a plu aux dévastateurs de la France de se dire philosophes, ce serait blasphemer la religion parce que les assassins de la Saint-Barthélemi avaient un poignard dans une main et un crucifix dans l'autre.

Ce qui est juste, raisonnable, salutaire, c'est d'honorer la vraie philosophie, ne fût-ce que parce qu'elle est l'ennemie la plus décidée de la fausse; d'arracher son masque au criminel et à l'insensé qui veulent en couvrir leur extravagance ou leur scélératesse ; d'encourager l'étude des lois naturelles qui ramènent toujours à leur auteur, et celle

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