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On ne revenait pas de l'étonnement que causait la vue d'un prince aussi puissant, marchant sans gardes, sans courtisans, sans suite, montrant l'indifférence la plus complète pour l'étiquette; entrant dans la première hôtellerie qui se présentait sur son passage, et se contentant pour tout lit d'une peau de cerf étendue sur une paillasse. Partout on recueillait les mots flatteurs ou piquans qu'il savait

que sa santé, toujours faible, ne lui permettait plus les longs voyages; il ajouta : « J'aurais voulu être à Neiss quand le roi de Prusse y reçut l'empereur; mais à présent je n'ai plus rien à regretter. J'aurais été bien fâché, dit l'empereur, de ne pouvoir pas dire du plus grand capitaine de mon siècle : Je l'ai vu; c'est un disciple qui allait voir son maître. » Il finit par promettre son portrait à l'académie qui possède déjà ceux du roi de Suède et du roi de Danemarck. >»

<< L'empereur, dit Laharpe dans le même volume, se promène ici à pied dans les rues avec deux laquais vêtus de gris; il va partout et ne s'annonce nulle part, de manière que le plus souvent on ne sait que c'est lui que quand il est parti. L'incognito qu'il garde si exactement lui. procure des scènes plaisantes, qui doivent être pour lui une espèce de jouissance fort nouvelle. Il a attendu un quart d'heure dans l'antichambre de M. de Maurepas, ой personne ne le connaissait. A Versailles il a fait une fois ce qu'on appelle la journée du courtisan; il a été avec la foule au lever, au couvert, à la chapelle, s'est montré vingt fois à l'OEil-de-bœuf. Quelqu'un lui a dit par distraction, Votre Majesté impériale; il a répondu en riant et à demi-voix : «< Monsieur, l'empereur est à Vienne. » Au spectacle, où il est venu avec la reine, il a été applaudi avec transport, et a paru très-sensible à ces applaudissemens; il a salué plusieurs fois le public. On assure qu'il se répand en louanges sur la nation: ce qui est certain, c'est que tous ceux qui ont eu l'honneur de l'approcher se louent extrêmement de sa bonté. On doit lui donner, lundi 5, à Versailles, l'opéra de Castor et Pollux. »

(Note des nouv. édit.)

si bien placer. En se rendant à Brest, il s'arrêta une journée entière à examiner le beau port de Nantes en Bretagne. On était alors à l'époque où commençait l'insurrection des États-Unis d'Amérique. Comme tous les bâtimens étaient pavoisés, à l'honneur de l'illustre hôte que le port de Nantes recevait ce jour-là, on fit remarquer à Joseph II le pavillon nouveau des insurgés, où se trouvaient treize étoiles, symbole de la nouvelle constellation qui se levait dans l'Occident. Il détourna les yeux : « Je ne puis regarder cela, dit-il au comte de >> Menou, commandant de la place, qui l'ac>>compagnait, mon métier à moi est d'être roya>> liste (1).

Ce fut le 2 juin 1777 que l'empereur partit de Versailles, laissant sa sœur heureuse et environnée d'hommages, la France paisible et remplie d'espérances, le roi avide du bien public et comblé d'amour, le peuple tranquille et ne pensant pas même à la possibilité d'être agité, la société remplie de charmes, et les arts de toute espèce rivalisant à qui jetterait le plus de lustre sur le règne de Louis XVI et de Marie-Antoinette.

La guerre éclate, cette guerre tant provoquée par la nation française, cette guerre à laquelle les sujets ont entraîné leur roi, que tous ont crue si brillante, et qui a été si funeste à tous. Marie-An

(1) C'est à Nantes que Joseph dit, pour la première fois, ce mot profond qu'il répéta ensuite à Versailles.

W.

toinette acquiert encore, cette année, un mérite de plus dans le cœur des Français. Elle se montre tellement leur concitoyenne, si éprise de la gloire nationale, si unie par ses vœux à la préoccupation constante du roi pour la renaissance d'une marine! Elle est si inquiète lorsqu'on annonce une action prochaine ! Même en jouissant d'une victoire, elle est si émue par les souffrances des blessés ou par les pertes qui affligent les familles ! << Pauvre M. du » Chaffault! s'écrie-t-elle après le combat d'Oues»sant, où ce brave amiral avait été cruellement » blessé, que je le plains! Je voudrais avoir des » ailes : je volerais pour lui servir de garde. » Combien ces aimables paroles furent répétées! Comme tout ce qui environnait la reine était enflammé de son patriotisme! Que de nobles suffrages étaient encore la récompense et l'aiguillon de la valeur ! Comme on partait de Versailles pour aller voir les flottes signalées par d'heureuses batailles, les vaisseaux illustrés par des combats particuliers, cette Belle Poule, cette Surveillante, théâtres d'exploits presque fabuleux! Que d'hommages décernés à leurs officiers! Que de largesses répandues parmi leurs matelots! Quels mots sublimes s'échappaient du milieu de la gaieté reconnaissante de ces équipages valeureux (1)! De

:

(1) Ainsi lorsque plusieurs personnes, entre les plus distinguées qu'eût la cour de France, allèrent à Brest visiter les glorieux débris de la Surveillante, une d'elles ayant demandé aux matelots, que

quelles actions ces paroles étaient le présage! Qu'est devenue aujourd'hui cette marine française? Où sont les hommes ? Où sont les vaisseaux?

Un Te Deum que le roi fit chanter, dans la chapelle de Versailles, annonça que la reine était grosse de quatre mois. Que l'on parcoure les monumens du temps, et l'on verra quel empire cette aimable reine s'était établi dans tous les cœurs !

O vous qui naquites alors (1), vous désormais la

toutes comblaient de largesses, pourquoi ils n'avaient pas, comme les Anglais, cloué leur pavillon? «Oh! répondit un de ces braves » marins, il était cloué par l'honneur. » Voyez le Courrier de l'Europe, octobre 1779.1 W.

(1) Madame Royale, aujourd'hui duchesse d'Angoulême, née le 13 décembre 1778.

Pour complaire à la reine, on lui disait souvent qu'elle aurait un fils. Parmi ceux qui s'étaient plu à prophétiser un si doux événement, on distinguait une femme poëte dont les pinceaux furent souvent guidés par l'esprit et les grâces; c'était madame de B..... La reine lui adressait des plaintes aimables sur la fausseté de sa prédiction; elle remit le lendemain les vers suivans à Sa Majesté

Oui, pour fée étourdie à vos yeux je me livre ;

Mais, si ma prophétie a manqué son effet,

Il faut vous l'avouer, c'est qu'en ouvrant mon livre
J'avais pris le premier pour le second feuillet.

Rien de si ingénieux que ce quatrain: il rappelle les vers de Métastase, et l'anecdote qui engagea le poëte à les composer. Marie-Thérèse était enceinte. Elle fit un jour à un de ses courtisans la question suivante: «Mettrai-je au monde un fils ou » une fille? — Un prince, répondit-il. — Eh bien ! reprit l'impé>> ratrice, je gage deux ducats que ce sera une fille. » Le courtisan ne put se dispenser de tenir la gageure. Le terme de la grossesse

seule de tous ces rejetons qui ont été successivement le sujet de l'espérance de Louis XVI, de MarieAntoinette et des Français; vous dont j'ai l'image devant les yeux, en retraçant ces douloureux souvenirs; vous qui, dans les traits si frappans du roi votre père, offrez, avec toute sa candeur, toute la noblesse du sein où vous avez puisé la vie; ah!

de l'impératrice étant arrivé, ce seigneur, apprenant que la naissance d'une princesse lui faisait perdre sa gageure, chercha en lui-même comment il s'y prendrait pour la payer. Le célèbre abbé Metastasio, qui survint, le trouva enseveli dans une profonde rêverie: il lui en demanda le sujet. « Jugez de mon embarras, j'ai » parié deux ducats avec l'impératrice qu'elle mettrait au monde » un prince, et voilà qu'elle nous donne une princesse. Eh » bien ! répondit Metastasio, vous avez perdu, il faut payer. — » Payer! reprit le courtisan; mais comment oser donner à l'im» pératrice deux ducats? — Oh! ce n'est que cela, répliqua l'ingé– »> nieux abbé, vous allez sortir d'embarras. » Il tira aussitôt de sa poche un crayon, et écrivit sur un papier les quatre vers suivans:

Ho perduto; l'augusta figlia

A pagar m'ha condannato,
Ma s'e' vero ch'a voi simiglia,
Tuto 'l mundo ha guadagnato.

Voici la traduction.

J'ai perdu, l'auguste fille me condamne à payer; mais, s'il est vrai qu'elle vous ressemble, tout le monde a gagné.

« Enveloppez vos ducats dans ce papier, continua l'abbé après » avoir écrit ces vers, et vous pourrez hardiment les présenter à » l'impératrice. » Le conseil fut suivi, et l'impératrice sourit à cette manière ingénieuse d'acquitter la dette contractée envers elle. Nos lecteurs apprendront avec plaisir que l'auguste fille dont il s'agit dans cette anecdote était Marie-Antoinette dont nous écrivons l'histoire.

W.

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