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est moins grand par la force créatrice que par la force de combinaison, de compréhension et de pénétration. Quand il écoute, il ne lui échappe rien. Son teint est d'un jaune pâle, assez essentiel pour former l'idéal d'un sage de cabinet, et très-significatif pour un caractère uni et paisible..... Il me paraît que cet homme est particulièrement grand et unique, en ce que, par sa propre culture, il a fait de lui tout ce que sa propre culture lui permettait d'être. Je crois qu'il serait impossible de faire une folie dans son atmosphère.

» Il ne proférait pas un mot ni de lui, ni de sa situation, ni de la France, ni de ses amis, ni de ses ennemis. Sa spirituelle épouse fit tomber, malgré moi, la conversation sur la physiognomonie. Tout ce qu'il en dit ne montre pas un anatomiste, un dessinateur par principes, mais un juge compétent, intuitif et consommé dans la connaissance de l'homme. Bref, si j'ai jamais vu un homme de cabinet doué d'excellens talens, c'est cet homme que le sort a honoré par tant d'amis et d'ennemis.

» La nation française peut s'honorer de posséder le tact le plus exquis pour connaître la vraie grandeur de l'homme et la priser ce qu'elle vaut ; elle qui, sachant se dépouiller de tout préjugé de naissance, de toute prévention étrangère au mérite, a distingué cet homme par une confiance inouïe, et qui, s'abandonnant tout entière à l'ascendant de sa vertu a écrit en lettres d'or, sur ses cocardes, Vivent le roi, Necker et la nation ! »

Écoutons à présent un troisième témoignage, celui d'un écrivain spirituel et fin, mais qui, dans ses portraits, semble avoir recherché quelquefois plutôt la vivacité du trait que la fidélité de la ressemblance.

« Je n'ai jamais vu, dit M. de Lévis, personne qui ressemblât à M. Necker. J'ignore s'il avait l'organe de la hauteur dont parle le docteur Gall; j'ignore même si Gall a raison; mais il est certain que tous les symptômes de l'orgueil étaient rassemblés en lui. Ses manières étaient plus graves que nobles, et plutôt magistrales qu'imposantes. Il parlait facilement, mais avec une certaine emphase. Son style, correct et pur, est quelquefois éloquent; mais il manque en général de nerf et de chaleur : sa phrase, bien accordée, est trop longue; ses comparaisons sont justes, sans être variées; enfin, de nos bons écrivains, celui à qui il ressemble le

plus, sans jamais l'atteindre, est l'immortel Buffon. Il avait une esprit très étendu et une ambition encore plus vaste. Il prétendait à la fois gouverner la France, la réformer et l'éclairer par ses ouvrages. Il était honnête et moral dans ses relations privées. Mais si l'on peut avec de l'ordre, de la probité et de l'intelligence, régir les revenus d'un grand État, ces qualités ne suffisent pas pour diriger toutes les parties d'une administration aussi compliquée. Les hommes ne se manient pas aussi aisément que les écus. M. Necker avait dirigé le trésor public avec succès, parce qu'il le conduisait sur les mêmes principes que sa maison de banque. Malheureusement, il continua à suivre des exemples domestiques; et parce que l'agitation qui régnait continuellement à Genève n'avait pas de suites fâcheuses, il ne craignit pas de fomenter en France des querelles dont il croyait qu'il serait l'arbitre. Il perdit le royaume, lui-même et sa patrie. Ses opinions politiques furent toujours méconnues pendant la révolution. Lorsque, dans le commencement, on le vit renverser le fondement de la constitution monarchique, par le doublement du tiers, on crut généralement qu'il favorisait le peuple, et qu'il voulait établir la liberté. Rien n'était plus faux; il voulait, suivant la maxime si connue de Machiavel, opposer à la noblesse, qu'il croyait trop puissante, un contre-poids utile à la royauté, dont il était le principal agent. Plus tard, le peuple crut qu'il trahissait ses intérêts, tandis que M. Necker avait reconnu que la cour ne lui pardonnerait pas sa popularité. Il chercha donc à se ménager un appui dans l'Assemblée nationale, afin de se maintenir ministre du roi malgré lui. Il se trompa. Les chefs révolutionnaires le trouvaient trop modéré. D'ailleurs, il leur fallait des agens dociles et soumis, et qui n'eussent pas de considération personnelle. M. Necker fut obligé de se retirer; et l'on vit quelle immense distance il y a entre un habile financier et un grand homme d'État. »

Note (L), page 450.

De grands intérêts exigeaient que l'affaire du 6 octobre restât dans d'épaisses ténèbres. Elles ne seraient point dissipées par l'analyse des nombreux écrits publiés à cette époque, et dont on

pourrait faire une bibliographie spéciale. Mais, s'ils ne font point connaître la vérité tout entière, ils peuvent servir au moins à dé→ truire des assertions inexactes ou calomnieuses. C'est dans cette intention que nous allons dire un mot de ces ouvrages.

Le premier de tous, parce qu'il donna lieu à tous les autres, est la Procédure criminelle instruite au Châtelet de Paris sur la đénonciation des faits arrivés à Versailles dans la journée du 6 octobre 1789, imprimée par ordre de l'Assemblée nationale; 2 volumes in-8°, suivis de pièces justificatives. Cette procédure contient trois cent quatre-vingt-treize dépositions. Après avoir entendu le rapport de M. Chabroud, l'Assemblée décréta, le 20 octobre 1790, qu'il n'y avait pas lieu à accusation contre MM. le duc d'Orléans et le comte de Mirabeau.

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Dans cette séance, l'abbé Maury parla contre le rapporteur avec beaucoup d'énergie, prétendant qu'il avait développé toute la subtilité de son esprit en faveur des accusés, et qu'au lieu d'un rapport impartial, il avait fait, non pas un plaidoyer pour eux, mais un véritable panégyrique. Il avoue loyalement et pour rendre un hommage solennel à la vérité, que les charges contre le comte de Mirabeau sont insuffisantes: il propose de déclarer qu'il n'y a pas lieu à accusation contre lui; mais la conduite du duc d'Orléans lui paraît motiver une déclaration contraire.

Quelques jours après, il parut un Compte rendu par une partie des membres de l'Assemblée nationale, de leur opinion sur la Procédure du Châtelet, et sur le projet de décret proposé par le comité des rapports, et adopté par l'Assemblée. Cent dix-neuf députés s'étaient rassemblés, avaient délibéré pour publier ce Compte ou plutôt cette protestation: vingt-cinq y adhérèrent, et trente-huit déclarèrent n'avoir point pris part au décret, parce qu'ils étaient cités comme témoins, de sorte que le nombre total de ceux qui protestérent est de cent quatre-vingt-deux. « Ils improuvent dans tout son contenu le rapport de M. Chabroud, comme infidèle, dénaturant les faits, diffamant les témoins, excusant les attentats en les identifiant aux opérations de l'Assemblée et voulant substituer un complot imaginaire à un complot réel. » Dans leur adhésion, les vingt-cinq députés, au nombre desquels sont d'Eprémesnil et Cazalès, motivent leur avis, et, séparant la cause de

M. le duc d'Orléans de celle du comte de Mirabeau, partagent l'opinion de l'abbé Maury.

Cette protestation fut bientôt suivie d'un grand nombre d'ouvrages dont le plus volumineux et le plus important a pour titre : Forfaits du 6 octobre, ou Examen approfondi du rapport de la procédure du Châtelet; 2 vol. in-8°, avec cette épigraphe : Il n'est pas si facile de justifier un crime que de le commettre. Dans le premier volume, l'auteur suit pas à pas M. Chabroud dont il cite les assertions dans une colonne, mettant en regard dans une autre ses réfutations. Il ne s'occupe que de ce qui concerne l'événement en général. Dans le second, il examine les défenses des deux accusés. Ces défenses étaient incomplètes en ce qu'elles ne portaient que sur un objet accidentel, c'est-à-dire les assassinats commis le 6 octobre, qui n'étaient que l'effet d'une cause; car les deux prévenus n'étaient point accusés des massacres qui eurent lieu. Il est bien évident que les factieux n'étaient point partis de Paris pour casser les bras à M. de Savonnière, ni pour égorger MM. Deshutes et Varicourt. C'est la cause qu'il fallait rechercher; mais, suivant l'auteur, on n'a voulu qu'un résultat, et l'on a abandonné au hasard et à la prudence de quelques agens les moyens d'y arriver. On est donc sorti de la question. Cette idée est reproduite dans plusieurs des écrits publiés sur cet événement.

Nous devons plus particulièrement nous arrêter à quelques particularités du récit de Weber, et chercher, dans les écrits publiés alors, les détails qui peuvent les confirmer ou les détruire, et modifier les impressions que laisse ce récit. Nous choisirons deux témoins qui ont toujours joui de l'estime universelle. Ce sont MM. Mounier et Lally-Tollendal. Il s'agit du rôle que joua, dans cette journée, le commandant de la milice de Paris.

<< Entre neuf et dix heures, dit M. Mounier dans l'Exposé de sa conduite (page 72 et suiv.), un aide-de-camp de M. de La Fayette vint annoncer son arrivée prochaine à la tête de la milice parisienne. On sut qu'il avait fait d'inutiles efforts pour faire changer de résolution à cette milice, et qu'il avait retardé, le plus qu'il avait été possible, le moment du départ..... Je lui demandai quel était l'objet d'une pareille visite et ce que voulait son armée. Il me répéta que, quel qu'eût été le motif qui avait déterminé sa marche,

puisqu'elle avait promis d'obéir au roi et à l'Assemblée nationale, elle n'imposerait aucune loi..... Sur les trois heures du matin, je fus averti que M. de La Fayette désirait de me parler. Je priai deux députés de se rendre auprès de lui. Ils vinrent me dire que M. de La Fayette, sachant que j'étais excessivement fatigué, et que j'exerçais mes fonctions de président depuis neuf heures et demie du matin de la veille, m'engageait à m'aller reposer; qu'il répondait de tout; qu'il avait placé tous les postes de manière à être assuré que le bon ordre serait maintenu; que la milice était dans les meilleures intentions, et qu'il était lui-même si certain de la tranquillité générale, qu'il se retirait pour prendre du repos. »

Passant ensuite aux horribles scènes de la fin de cette nuit, M. Mounier en termine ainsi le récit : « Jusqu'où fût allé l'excès du crime, si M. de La Fayette, averti trop tard de ces assassinats, n'eût harangué la milice, et ne se fût offert lui-même pour victime! >>

Dans son Mémoire ou seconde Lettre à ses commettans, M. de Lally-Tollendal s'exprime en ces termes : « Je n'entendis point le signal qui fut donné pour réunir de nouveau les députés. Ainsi je n'étais point à l'Assemblée quand M. de La Fayette s'y arrêta en arrivant à Versailles. Je ne sais si, dans ce moment, j'aurais eu l'idée que j'ai eue depuis ; mais il m'a semblé que nous aurions pu et dû venir à son secours. Il était évident que, ce jour-là, M. de La Fayette était le premier prisonnier. Entraîné par une multitude enflammée, vingt fois menacé de mort parce qu'il voulait s'opposer à la sédition et arrêter la marche des troupes, il avait perdu dès lors ce qui rend un chef imposant, et jamais il n'avait eu tant besoin d'en imposer. Une dictature dont nous l'aurions revêtu, une loi martiale, une proclamation quelconque aurait pu le mettre à sa place.

» Je le vis entrer chez le roi et y porter ce mélange de respect, de douleur et de courage, qui a tant frappé tous ceux qui l'ont vu. Je le suivis quand il en sortit. Je voulus entendre ses harangues, d'abord aux Suisses et ensuite à sa troupe. Elles respiraient la fidélité due au roi en même temps que l'amour de la patrie. Je remarquai comme on l'écoutait, et je crus qu'on pouvait être tranquille. Il faut l'avouer cependant : l'événement a prouvé que la sécurité de M. de La Fayette avait été une grande faute. Il se fia

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