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Note (J), page 292.

«IL y a environ trois mois, dit Grimm dans sa Correspondance, que les comédiens français reçurent l'ordre d'apprendre, pour le service de Versailles, le Mariage de Figaro ou la suite du Barbier de Séville. Comme on avait ouï dire ci-devant qu'après avoir lú la pièce, le roi avait déclaré lui-même qu'elle était injouable, on ne fut pas peu surpris qu'un ouvrage, qui n'avait pas parų assez décent pour le théâtre de la ville, fût demandé pour celui de la cour; on supposa que l'auteur y avait fait des changemens considérables, et l'on se flattait bien que, justifiée par le succès qu'elle obtiendrait à Versailles, la pièce ne tarderait pas à être donnée à Paris; grand mystère cependant et sur le temps et même sur le lieu où cette comédie devait être représentée pour la première fois. Le bruit se répandit d'abord que ce serait dans les petits appartemens, ensuite à Trianon, à Choisy, à Bagatelle, à Brunoy. Les premières répétitions se firent fort secrètement à Paris, sur le théâtre des Menus; il fut décidé enfin que ce serait sur ce même théâtre des Menus qu'on jouerait la pièce; mais pour quels spectateurs, par l'ordre, aux frais de qui? Au lieu de s'éclaircir, secret parut s'envelopper de jour en jour de nouveaux nuages; on avait admis néanmoins assez de monde aux dernières représentations. La veille du jour fixé pour la première représentation, teute la cour en parlait ouvertement: il en fut même question dans les carrosses du roi ; les billets étaient distribués, et ces billets étaient les plus jolis du monde ; car c'étaient des billets rayés à la Marlborough. Il n'y avait que M. Lenoir, lieutenant de police, et M. le maréchal de Duras, premier gentilhomme de la chambre, qui n'avaient pas l'air d'être dans le secret de la fête. « J'ignore, disait le matin même M. Lenoir, par quelle permission l'on donne ce soir la pièce de M. de Beaumarchais aux Menus; ce que je crois bien savoir, c'est que le roi ne veut pas qu'on la joue........ » Ce ne fut qu'entre midi et une heure qu'on reçut, et aux Menus et à la police, un ordre exprès du roi d'arrêter la représentation. Le lendemain, les acteurs de la comédie française et de la comédie italienne, furent mandés par M. le lieutenant de police, et il leur fat

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expressément défendu, de la part de Sa Majes'é, de représenter la pièce en question sur quelque théâtre et quelque part que ce puisse être. Nous ne sommes pas assez initiés dans les secrets de M. Caron de Beaumarchais pour révéler les ressorts cachés de cette singulière aventure; mais ce qui nous a été assuré positivement, c'est que le poëte négociant et négociateur a payé seul tous les frais qu'ont exigés les répétitions de son ouvrage, frais qui se montent à dix ou douze mille livres. C'est donc sur un théâtre appartenant à Sa Majesté que le sieur Caron a tenté de faire représenter une pièce que Sa Majesté avait défendue, et l'a tenté sans autre garant de cette hardiesse qu'une espérance donnée, dit-on, assez vaguement par Monsieur ou par M. le comte d'Artois, qu'il n'y aurait point de contre-ordre. »'

« On ne devait pas s'attendre, ajoute Grimm dans un autre endroit, après les ordres qui avaient arrêté et défendu si sévèrement la représentation du Mariage de Figaro, qu'il fût possible de voir un jour cet ouvrage sur le théâtre français; l'auteur seul n'en a pas désespéré, et il y a lieu de penser aujourd'hui qu'il a eu raison. On a fait naître à M. le comte de Vaudreuil le désir de voir jouer, à sa campagne de Genevilliers, les fameuses Noces; il l'a proposé à l'auteur, qui lui a représenté que les défenses de laisser jouer un ouvrage si innocent avaient élevé contre sa comédie un soupçon d'immoralité qui ne lui permettait d'en souffrir la représentation, quelque part que ce pût être, que lorsque l'approbation d'un censeur l'aurait lavée de cette tache. On a choisi pour censeur M. Gaillard de l'Académie française; la pièce approuvée, grâce à quelques changemens, a été jouée chez M. de Vaudreuil. Outre les corrections et les adoucissemens exigés par M. Gaillard, on en a proposé de plus considérables encore, à la faveur desquels on assure que le public jouira bientôt de cette comédie; mais ce qui en avait fait arrêter la représentation n'était pas malheureusement la partie la moins piquante de l'ouvrage. » Enfin la représentation eut lieu, et voici de quelle manière Grimm en fait le récit...

« C'est le mardi 27 qu'on a vu paraître enfin, sur le théâtre français, la Folle Journée ou le Mariage de Figaro, cette célèbre comédie de l'illustre Beaumarchais, ballottée depuis deux ans par la censure, arrêtée au moment où les comédiens se préparaient

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à en distribuer les rôles, répétée ensuite pour être jouée seulement sur le théâtre des Menus; défendue, à l'instant même de la représentation, de la manière la plus éclatante, et avec ces formes que le pouvoir du trône n'emploie ordinairement que dans les affaires dont l'importance semble mériter de faire intervenir des ordres particuliers revêtus du nom et de la toute-puissance de la majesté royale.

>> Lorsque nous eûmes l'honneur de vous rendre compte de la représentation que M. de Vaudreuil avait fait donner de cette comédie à Genevilliers, nous eûmes celui de vous annoncer en même temps que le succès de cette représentation ne serait pas toujours perdu pour cette capitale. Nous étions bien instruits cependant que la plupart des spectateurs de Genevilliers avaient déclaré la pièce très-immorale et absolument inadmissible sur un théâtre public; mais nous avions calculé la puissance et les ressources du génie de M. Caron de Beaumarchais. Nous savions qu'il redoutait bien moins tout le mal que l'on pouvait dire de son ouvrage,' que l'entier oubli auquel les derniers ordres du roi semblaient le condamner. La représentation de Genevilliers l'avait tiré de cet oubli, et c'était là tout ce que désirait l'auteur du Mariage de Figaro. Son adresse, une fécondité de moyens tout prêts à se plier au temps, au caractère des personnes et des circonstances, une ténacité dont l'audace n'a point d'exemple, tout nous garantissait que ses ressources et son imperturbable opiniâtreté seraient plus qu'en raison des obstacles et des difficultés que lui opposerait le gouvernement; que tant d'obstacles et de difficultés ne serviraient même qu'à aiguillonner son amour-propre; car M. de Beaumarchais, avec bien plus de raison que tant d'autres auteurs dramatiques, s'était dit depuis long-temps: L'Europe entière a les yeux ouverts sur mes Noces et sur moi; l'honneur de mon crédit tient à ce qu'elles soient jouées, elles le seront ; et l'événement vient de justifier l'opinion qu'il avait de ses forces, opinion que nous n'avons jamais cessé de partager avec tout le respect que peuvent inspirer la profondeur et la sublimité de ses ressources.

>> Le détail historique de toutes les intrigues auxquelles il doit avoir eu recours pour faire jouer sa pièce, le choix et la diversité des ressorts qu'il a fait mouvoir pour l'emporter en quelque manière et sur l'autorité du gouvernement et sur celle de l'opinion

publique, seraient sans doute un cours de négociations assez piquant, assez curieux ; mais lui seul sait tout ce qu'il a eu à faire et tout ce qu'il a fait pour réussir dans une si haute entreprise. Nous savons seulement que M. le garde-des-sceaux et M. le lieutenant général de police se sont constamment opposés à la représentation du Mariage de Figaro; que c'est M. le baron de Breteuil, dans l'origine assez prévenu lui-même contre l'ouvrage, qui a fait retirer les ordres du roi, qui l'avait si solennellement proscrit; qu'avant de s'y intéresser, ce ministre a voulu en entendre une lecture à laquelle ont assisté quatre ou cinq hommes de lettres, tels que MM. Gaillard, Chamfort, Rulhière, etc.; que le sieur de Beaumarchais, qui, dans cette séance, avait débuté par annoncer qu'il se soumettait sans réserve à tous les retranchemens, à toutes les corrections dont ces messieurs trouveraient son ouvrage susceptible, a fini par en défendre les moindres détails avec une adresse, une force de logique, une séduction de plaisanterie et de raisonnement, qui ont fermé la bouche à ses censeurs et conservé les Noces de Figaro, à quelques mots près, telles qu'on les avait répétées aux Menus. On prétend que, dans cette séance, tout ce qu'a dit M. de Beaumarchais pour l'apologie de son ouvrage l'emportait infiniment, par l'esprit, par l'originalité, par le comique même, sur tout ce que la nouvelle comédie offre de plus ingénieux et de plus gai. Au reste, jamais pièce n'a attiré une affluence pareille au théâtre français; tout Paris voulait voir ces fameuses Noces et la salle s'est trouvée remplie presqu'au moment où les portes ont été ouvertes au public; à peine la moitié de ceux qui les assiégeaient depuis huit heures du matin a-t-elle pu parvenir à se placer. La plupart entraient par force en jetant leur argent aux portiers. On n'est pas tour à tour plus humble, plus bardi, plus empressé pour obtenir une grâce de la cour, que ne l'étaient tous nos jeunes seigneurs pour s'assurer d'une place à la première représentation de Figaro; plus d'une duchesse s'est estimée, ce jour-là, trop heureuse de trouver dans les balcons, où les femmes comme il faut ne se placent guère, un méchant petiz tabouret à côté de mesdames Duthé, Carline et compagnie.»

Note (K), page 416.

M. NECKER a compté d'ardens ennemis, a trouvé des partisans enthousiastes, a rencontré des juges froids et sévères. Nous essaierons, dans la notice qui précédera ses Mémoires, d'éviter également l'excès de la louange et du blâme. Mais, avant de soumettre au lecteur notre opinion personnelle sur cet homme célèbre, nous rapporterons ici plusieurs des jugemens opposés dont son caractère, ses principes et sa conduite ont été l'objet. Nous commencerons par citer un écrivain qui fut toute sa vie l'ennemi déclaré de M. Necker; qui, après avoir aspiré au ministère, ne lui pardonna pas de s'y être élevé trois fois, et qui ne paraissant écrire que pour consoler son amour-propre, ou satisfaire sa haine, ôte même à ce qu'il peut dire de vrai, l'apparence de la vérité.

Les

« Necker, dit cet écrivain (1), vint à Paris pour y faire fortune. Il entra chez un banquier, et, de commis de ses bureaux, il devint son associé. Sa fortune, dans l'espace de douze ou quinze ans, surpassa celle des plus fortes maisons de banque ; et son incroyable rapidité suffirait seule pour en rendre la source suspecte. faits, ajoute l'auteur, viennent à l'appui des soupçons légitimes que fait naître la fortune de M. Necker, évaluée à six millions par les calculs les plus modérés, et fondée sur des traités frauduleux avec la compagnie des Indes, et des spéculations sur des fonds. anglais au moment de la paix de 1763. Sa conduite avec la compagnie des Indes est trop connue, pour en retracer ici le tableau; mais une circonstance, relative à l'affaire des spéculations en Angleterre, mérite d'être rapportée : Un premier commis des affaires étrangères, favori de M. le duc de Praslin, avait connaissance du prochain succès des négociations pour la paix; instruit avec certitude du moment où les préliminaires allaient être signés, il voulut mettre à profit cette connaissance, et concerta son projet avec

(1) Senac de Meilhan, dans l'ouvrage intitulé: Du Gouvernement, des moeurs, et des conditions en France, avant la révolution, avec le caractère des principaux personnages du règne de Louis XVI; in-8°, 1785. Hambourg.

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