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» sonnellement intéressé ; c'est le maréchal de Castries; c'est un >> bon militaire ; mais je ne le crois pas un bon marin. Le roi a » été entraîné; c'est chose faite ; on peut en essayer. » C'était sa phrase favorite.

» M. Necker, à son retour de Versailles, se rendit chez M. de Maurepas pour lui rendre compte de ce qui s'était passé au travail; la réponse fut : « Le roi vient de m'en instruire lui-même; je désire qu'il ait fait un bon choix. » Après un moment de silence, le vieillard ajouta : « Vous êtes sûrement fatigué du travail et de » la route, et moi je le suis de la goutte; je crois que nous avons >> besoin tous deux de repos. » Ce laconisme ne déplut pas au directeur-général fort embarrassé de son rôle. Il se hâta d'aller s'en dédommager dans son intérieur, où il trouva les maréchaux de Castries et de Beauvau. Les épanchemens de la joie commune sur un aussi grand succès, sont faciles à deviner: mais, dès le lendemain, le comte de Maurepas se rendit à Versailles. Il ne dissimula pas au roi qu'il y avait eu trop de précipitation de la part de Sa Majesté dans le travail de la veille, beaucoup trop d'audace et de présomption de la part du directeur-général; il fit pressentir que M. Necker ne s'arrêterait pas à ce premier succès; que, successivement et sous les mêmes prétextes, il proposerait d'autres remplacemens; que déjà il pensait au maréchal de Beauvau pour le ministère de la guerre, et que lui, comte de Maurepas, serait bientôt obligé de se retirer à Pont-Chartrain. Le roi, frappé de ces observations, se mit en colère; il fallait, disait-il, ne point admettre le maréchal de Castries, et chasser M. Necker qui l'avait trompé en lui disant que la nomination de M. de Castries avait été proposée à lui M. de Maurepas. Content de l'effet qu'il avait produit, le ministre chercha à calmer le roi. M. de Castries, ajouta-t-il, a été nommé par Votre Majesté, et ne mérite pas d'essuyer le désagrément d'être renvoyé avant que son savoir-faire ait été éprouvé. Quant au directeur-général, le moment n' n'est pas opportun; on a besoin du crédit qu'il a su faire naître ; il faut s'en servir pour les finances et s'en défier pour tout le reste.

Dès ce moment, le roi conçut pour le directeur-général un éloignement que souvent il ne pouvait dissimuler. M. Necker, averti par la reine de la colère du roi et de son mécontentement, devint plus circonspect en apparence; il reçut silencieusement les

reproches sur le dernier travail, et, songeant qu'il lui fallait encore louvoyer pour arriver plus sûrement à ses fins, il montra plus d'égards à son bienfaiteur, qui n'en fut pas la dupe. Cependant M. Necker jouissait de la reconnaissance du maréchal de Castries, et de l'opinion générale sur l'augmentation de son crédit; le comte de Maurepas ne changea rien à sa manière d'être et d'agir; il engagea même le roi à montrer moins de froid et d'antipathie au moment du travail, parce qu'il ne fallait pas entraver les opérations qui alimentaient le. Trésor royal; mais il prévoyait que l'amour-propre le porterait à des excès qui ouvriraient les yeux du public, et qui décideraient mieux sa chute et sa disgrâce. M. Necker s'aperçut bien qu'il marchait sur un brasier couvert de cendres; mais n'attribuant les dispositions peu favorables du roi à son égard qu'aux insinuations journalières du ministre principal, mécontent de la nomination du maréchal de Castries, faite sans sa participation, il espéra arriver plus sûrement à son but par une autre voie, puisqu'il n'était pas parvenu à l'éloigner par des désagrémens. »

Note (H), page 210.

M. Sallier fait en ces termes le récit de cette séance mémorable: « Le parlement fut averti que le marquis d'Agoust, aide-major des gardes-françaises, demandait à entrer de la part du roi ; il fut introduit à l'instant. Il s'était proposé d'annoncer sa mission sous des expressions qui eussent efficé ce que sa rigueur pouvait avoir de défavorable pour lui; mais l'aspect d'une assemblée de plus de cent vingt magistrats, au milieu desquels siégeaient des ducs et pairs, des maréchaux de France, des prélats; cette réunion imposante à laquelle on ne pouvait refuser des respects; le calme de la nuit qui semblait ajouter au silence profond qui régnait dans la salle, à peine éclairée par une faible lumière; cette foule d'idées que faisaient naître la majesté du lieu, les souvenirs de l'histoire, la gravité des circonstances, jetèrent le trouble dans l'ame de ce militaire, qui, sans aucun préambule, ne put que lire d'une voix altérée l'ordre du roi dont il était porteur. Cet ordre était conçu en ces termes : « J'ordonne à M. le marquis d'Agoust de se rendre

» sans délai au Palais, à la tête de six compagnies de mes gardes; » de s'emparer de toutes les issues, et d'arrêter dans la grand'» chambre ou partout ailleurs MM. Duval d'Éprémesnil et Gois»lard de Montsabert, pour les remettre entre les mains des offi» ciers de la prévôté de l'hôtel, chargés de mes ordres. Signé » Louis.» Le président répondit: La Cour va en délibérer. Le marquis d'Agoust, revenu de sa première surprise, reprit la parole, et s'excitant à la fermeté, répliqua avec rudesse : « Vos formes » sont de délibérer; mais je ne connais pas ces formes-là. Je suis » chargé des ordres du roi; ils ne souffrent pas de délai ; il faut » que je les exécute. » Et pressant le président de satisfaire à sa réquisition, il le somma de lui livrer les deux magistrats ou de signer un refus. Le président, qui avait repoussé la première proposition par un geste de mépris, répondit à la seconde qu'il n'avait rien refusé; que ne pouvant donner de réponse qu'au nom du parlement, ce n'était que par une délibération qu'il pouvait connaître son vœu; qu'au surplus, l'ordre du roi n'était adressé ni au parlement ni au président, mais à celui qui en était porteur; que c'était à lui en conséquence à l'exécuter comme il le jugerait à propos. « Il faut bien cependant, répliqua le marquis, que vous >> me désigniez ces deux messieurs, car je ne les connais pas, et je >> ne pourrais exécuter mes ordres. » Alors, d'un des coins de la salle, une voix qui fut répétée de toutes parts s'écria: « Nous sommes » tous MM. d'Éprémesnil et Goislard: puisque vous ne les con>> naissez pas, emmenez-nous tous ou choisissez. » Un silence profond succéda à cette exclamation. Le marquis d'Agoust le rompait de temps à autre par des instances dont l'inutilité lui étant démontrée, il se retira, déclarant qu'il allait rendre compte à son colonel et attendre les ordres du roi. Une heure après, les députés rentrèrent. On se rendit respectivement un comp e douloureux;' et pour que l'on n'eût plus de prétexte de refuser d'admettre la députation, on arrêta d'envoyer les gens du roi à Versailles; mais ils étaient aussi prisonniers dans leur parquet, et on refusa de les laisser sortir. La nuit se passa ainsi comme au milieu d'une place assiégée. Toute communication au dehors était interdite, on laissait seulement aux magistrats la liberté de sortir de la grand chambre pour aller dans l'intérieur du Palais sous l'escorte d'une garde ; et s'il arrivait des lettres, le commandant ne les laissait rê–3

mettre qu'après les avoir ouvertes. Il était onze heures du matin, lorsque le marquis d'Agoust se présenta de nouveau. H rappela la mission dont il était chargé, et après avoir inutilement sommé d'Éprémesnil de le suivre, il fit entrer un officier de robe courte, à qui il lut un ordre du roi qui lui enjoignait d'indiquer le magis trat qu'il était question d'enlever. Cet officier, nommé Archier, promena ses regards sur l'assemblée, et après cette marque exté rieure d'obéissance, il déclara qu'il ne voyait pas d'Éprémesnil. Le marquis d'Agoust lui réitéra par trois fois l'ordre de regarder bien attentivement; mais celui-ci persistant dans sa première re ponse, le marquis d'Agoust fut obligé de se retirer encore sans pouvoir exécuter ses ordres.

La générosité produisit alors en un moment ce que le pouvoir tentait vainement depuis vingt-quatre heures. D'Eprémesnil, sensiblement touché du procédé de l'officier de robe courte, et voyant bien que la perte de son état et de sa liberté en serait In suite, voulut lui épargner ces malheurs : il fit appeler le marquis d'Agoust, et se découvrant lui-même : « Je suis, lui dit-il, le » magistrat que vous venez chercher à main armée jusque dans le » sanctuaire de la loi. » L'ayant ensuite interrogé plusieurs fois sur la nature de ses ordres et sur les moyens qu'il devait employer pour les exécuter Je veux, continua-t-il, épargner à la Cour » et à moi-même l'horreur du spectacle qui nous est préparé. Je » déclare que je prends votre réponse pour violence en ma per

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sonne, et je vous suis. » Puis s'adressant au parlement? « Je » (suis, dit-il, la victime qu'on vient immoler sur l'autel même, » mon crime est d'avoir défendu la liberté publique contre les at>> teintes sans nombre qui lui ont été portées; je souhaite que le » triomphe que remportent aujourd'hui les ennemis des lois ne » soit pas préjudiciable à l'État : je prie la compagnie de ne point perdre le souvenir de l'attachement que je lui ai voué, et je puis » l'assurer que, quel que soit le sort qui peut m'être réservé, » quelles que soient les propositions qui me seront faites, je serai » toujours digne d'être un de ses membres. » II descendit ensuite da sa place après avoir embrassé ceux qui l'entouraient, et suivit le marquis d'Agoust. Celui-ci voulut le remettre entre les mains d'un jeune sous-lieutenant, qui se trouva mal en recevant cet ordre. Le marquis d'Agoust se chargea alors lui

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même de conduire d'Eprémesnil. Ce magistrat traversa les salles du Palais, et se rendit à la voiture qui l'attendait, avec une démarche assurée, et portant sur son visage la tranquillité d'une ame qui ne sent aucun reproche. Tel est le témoignage que m'en ont rendu les officiers aux gardes qui le virent sortir de la grand'salle, et tel il avait été constamment depuis le commencement de la séance. Lors des différentes délibérations, il parla avec autant de facilité que dans les temps ordinaires; ses opinions n'avaient pas même cette chaleur qui provient d'une imaginatiou qui s'exalte pour se familiariser avec le danger. Elles étaient fermes, mais réfléchies: et son esprit était tellement libre, que, lors de l'investissement de la grand'chambre, lorsque le marquis d'Agoust demanda à entrer, dans ce premier moment de désordre et d'effroi où personne ne pensait plus aux formes, ce fut lui qui les réclama, qui prescrivit la manière dont ce militaire devait se faire annoncer, et qui, en sa présence même, indiqua la place d'où il devait être entendu. Une heure après cet enlèvement, le marquis d'Agoust rentra et somma Goislard de Montsabert de le suivre. Ce jeune magistrat se leva et obéit, après avoir déclaré qu'il adhérait aux protestations et aux sentimens de d'Éprémesnil, et que, fût-il conduit à l'échafaud, il ne se départirait jamais des sentimens d'honneur et de courage qu'il avait puisés dans le sein du parlement et que ses pères lui avaient transmis. Il fut conduit prisonnier au château de Pierre-Encise, et d'Éprémesnil à l'île d'Hières. Le parlement consterné arrêta des représentations au roi et se retira après trente heures de séance. » ( Annales françaises. )

Note (1), page 261.

«'1°. Qu'est-ce que le Tiers-Etat? Tout.

» 2°. Qu'a-t-il été jusqu'à présent dans l'ordre politique ? Rien. » 3°. Que demande-t-il ? A y devenir quelque chose. »

Telles sont les principales divisions de l'écrit remarquable dont parle Weber écrit qui eut un grand succès à l'époque de sa publication, et qui peut-être en obtiendrait encore beaucoup aujour d'hui...

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