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Le roi n'apprenait pas sans trouble la mort des seigneurs avec lesquels il avait été élevé. L'un d'eux, le marquis de Chauvelin, périt sous ses yeux, dans une orgie clandestine. Le roi montra moins de douleur que d'épouvante de cet accident. Il allait plus souvent voir madame Louise, et s'acquittait avec plus d'exactitude de pratiques religieuses qui lui avaient long-temps paru toute la religion. Un des orateurs les plus éloquens qui eussent illustré la chaire depuis Massillon, Beauvais, évêque de Sénez, en prêchant devant le roi, peignit les malheurs du peuple avec une hardiesse évangélique qui effraya tous les auditeurs, et dont Louis ne parut pas offensé. La comtesse Du Barry et ses infâmes confidens jugèrent que de nouveaux excès pouvaient seuls effacer ces tristes et salutaires impressions. Une jeune fille, à peine à l'âge de puberté, et née de parens obscurs, fut amenée au roi. Elle portait le germe de la petite-vérole. Louis, au bout de deux jours, eut des symptômes de cette maladie; personne n'osait l'en avertir. Madame Du Barry veillait à ses côtés, et l'on dit que sa présence excitait encore chez le malade des désirs effrénés. Il fut enfin résolu de faire connaître au roi son danger. Quand il sut la cause de sa maladie, il n'en espéra plus la guérison. Il prononça, sans hésitation, et même sans douleur, le renvoi de la comtesse Du Barry. Je n'entends point, disait-il, qu'on renouvelle la scène de Metz. Mesdames Adélaïde, Sophie et Victoire donnèrent un touchant exemple de tendresse filiale. Aucune des trois n'avait eu la petite-vérole; rien ne put les forcer de s'éloigner du lit d'un père expirant. Sept ou huit jours après sa mort, elles furent toutes les trois atteintes de cette maladie. Le roi reçut les secours de la religion, et fit demander, par son grand-aumonier, excuse à ses courtisans du scandale qu'il leur avait donné. La violence de sa maladie parut emporter ses terreurs. Il mourut le 10 mai 1774, dans sa soixante-quatrième année, après un règne de cinquante-neuf ans. Ses restes infectaient l'air; ceux qui en approchaient avaient à craindre d'être frappés de mort. Son corps fut transporté avec une extrême promptitude de Versailles à SaintDenis. On ne songeait qu'à se délivrer au plus vite de ce fardeau. C'était la populace qui avait insulté aux restes de Louis XIV; toutes les classes de la nation outragèrent la mémoire de Louis XV. Mais les témoignages de mépris et de haine furent épuisés en quelques jours. On était heureux de pouvoir oublier un roi que, depuis long

temps, on avait jugé frappé des deux maladies de l'ame les plus incurables, la faiblesse et l'égoïsme. J'ai eu occasion de citer de lui des traits et des mots pleins d'humanité : il manqua de vigilance et d'énergie pour faire une vertu de cette douce impulsion de la

nature. >>

Note (F), page 133.

Des assemblées provinciales.

CETTE institution fut créée par un monarque qui voulait le bien. Elle cessa d'exister, et subit le sort commun à tant d'autres institutions plus anciennes, mieux calculées, et qui valaient mieux que celle-là.

Il s'agit de voir quel motif on eut de les établir, et quelle fut leur utilité pendant leur durée. Si ce motif n'existe plus aujourd'hui, s'il fut, dans le temps, plus spécieux que réel, enfin si, pendant leur durée, ayant été plus nuisibles qu'utiles, elles n'ont rendu aucun service à la patrie, on conviendra qu'elles ne méritent ni les éloges que leur donne l'auteur des Mémoires, ni les vœux formés par plusieurs écrivains pour leur rétablis

sement.

Avant la révolution, la France était divisée en provinces. Les unes avaient des états; les autres, et c'était le plus grand nombre, n'en avaient point. On appelait les premières pays d'états, et les secondes, pays d'élections, parce qu'il y avait des tribunaux de ce nom. Les treize provinces étaient comme étrangères les unes aux autres, et leurs habitans ne pouvaient traverser la limite qui les séparait, sans payer les droits de douanes.

Les provinces d'états avaient des priviléges qui allégeaient beaucoup en leur faveur le poids des charges de l'État. On percevait alors le dixième des revenus des biens-fonds, de l'industrie, charges et droits dans les pays d'élections, tandis que les pays d'états avaient obtenu des abonnemens très-favorables, ainsi que les princes, le clergé et l'ordre de Malte.

M. de Machault, pour supprimer ces abonnemens, changea l'impôt de nature, obtint une ordonnance qui prescrivait une déclaration de tous les biens et revenus pour les assujettir à

l'impôt. Or se déchaîna tellement contre lui qu'il fut obligé de donner sa démission.

M. Necker, se proposant le même but, voulut soumettre toutes les propriétés à l'impôt, d'après un principe applicable à toutes, quels que fussent l'influence, le mérite ou les qualités du propriétaire.

M. de Machault avait voulu assimiler les pays privilégiés à ceux qui ne l'étaient pas. M. Necker fit le contraire, et, pour donner aux pays d'élections des espèces d'états, il fit créer les administrations provinciales, dans l'espoir de pouvoir mettre un jour toutes les provinces au même niveau. On ne peut qu'applaudir aux vues qui dirigeaient ce ministre. Les deux premières administrations provinciales furent celles de la Haute-Guyenne et du Berry. Elles s'organisèrent en 1778. Composées d'hommes de mérite et de talens, pleins de bonnes vues, elles forment par cette circonstance même l'argument le plus fort contre l'institution, puisque avec la possibilité d'obtenir des résultats avantageux, si elle eût été bonne, on n'en obtint aucun. La France disparut aux yeux de ces nouveaux administrateurs, qui ne songèrent qu'aux moyens d'alléger le fardeau de leurs administrés, quoiqu'ils ne pussent douter que, les charges de l'État restant les mêmes, ce qu'on ôterait aux uns serait infailliblement rejeté sur les autres. Ils demandèrent et obtinrent des abonnemens, ce qui était une injustice, et la suppression des préposés au recouvrement des impôts, ce qui en rendait la perception impossible. Bientôt ces deux administrations critiquent, combattent les mesures du gouvernement, élèvent des difficultés, font des remontrances, et l'on est obligé d'empêcher l'impression de leurs procès-verbaux. Quelque temps après, on les voit, dans l'étendue de leur ressort, favoriser certaines localités aux dépens des autres. Les membres les plus influens parvenaient toujours à produire ce résultat. Enfin, dans l'administration provinciale de la Haute-Guyenne, celle dont les succès ont été les plus vantés, il se déclare, entre les deux parties qui le composent, la Rouergue et le Quercy, une scission qui n'a fini qu'à la dissolution de l'assemblée.

Quant à l'expédition des affaires, c'étaient des entraves conti-nuelles. Le ministre écrivait: il fallait convoquer l'assemblée ou sa commission intermédiaire. Le temps se passait; la réponse ar

rivait tard, ne contenait que des observations. Nouvelle lettre du ministre. L'administrateur qui avait répondu à la première était absent. Autre réponse dans un autre esprit.

Ces administrations collectives furent autant de petites républiques fédératives, qui tendaient sans cesse à s'isoler, à séparer leurs intérêts de ceux de l'Etat.

Dans plusieurs cantons, il y eut une telle négligence pour le prélèvement des impôts, que l'assemblée des états-généraux, par un arrêté, en chargea les municipalités, et leur abandonna le produit des six derniers mois de 1789, probablement pour leur donner un motif d'intérêt personnel dans cette opération. Les rôles de ces six derniers mois n'étaient pas achevés deux ans après, et plusieurs même n'ont jamais été faits. Que peut-on, d'après cet exemple, attendre jamais des municipalités, lorsqu'elles n'ont pu confectionner des rôles auxquels elles avaient un si grand intérêt, puisque le produit devait leur en être distribué?

En 1791, sur quarante mille communes, il y en avait dix-neuf mille dont on n'avait pu rien obtenir. Enfin, en 1816, c'est-à-dire, vingt-six ans après l'ordre donné en 1790, les matrices n'étaient pas toutes achevées, et, dans celles qui l'étaient, l'immense majorité présentait un recueil monstrueux des plus révoltantes injustices. L'intérêt personnel, les liaisons de famille, les animosités, l'ignorance, la partialité, la vengeance avaient dicté toutes les évaluations. Aussi le plus grand nombre des propriétaires ne cessait de réclamer. Quoiqu'il soit naturel de penser que les habitans d'une commune, qui se connaissent tous, peuvent distribuer avec équité un impôt qu'ils doivent payer solidairement, on voit que la passion et de pelites considérations s'opposent à ce que cette distribution ait lieu.

Ces faits, et mille autres qu'on pourrait citer, répandent sur la question des assemblées provinciales une lumière qui ne leur est pas favorable. Mais il n'en faut pas moins apprécier les principes d'équité et les idées de bonne administration qui avaient dirigé M. Necker. Il avait vu le bien : mille obstacles entravaient la route qui pouvait l'y conduire ; il crut y parvenir par une voie détournée: s'il se trompa, son erreur est encore honorable.

Note (G), page 142.

L'ABBÉ Georgel nous a conservé des détails curieux sur la nomination de M. de Castries, sur le ressentiment qu'en conçut le vieux ministre, et sur les intrigues qu'il mit dès lors en jeu pour éloigner M. Necker.

« Le directeur-général, dit l'écrivain dont nous venons de parler, employa tous les moyens de porter au ministère deux hommes bien marquans qui lui étaient entièrement dévoués, et qui, par la hauteur de leur caractère, ne seraient pas d'humeur à devenir les esclaves du principal ministre. Ces deux hommes étaient les maréchaux de Beauvau et de Castries; il destinait le département de la guerre au premier, et celui de la marine au second. Il avait déjà proposé M. de Castries pour la marine à M. de Maurepas qui ne l'avait pas repoussé. Retenu à Paris par la goutte, ce ministre n'avait pu, comme de coutume, assister au travail que M. Necker fit seul avec le roi. Il s'empressa de saisir cette occasion favorable pour présenter à Sa Majesté un tableau de ce qu'il appelait les déprédations de la marine, tellement effrayant, il fit si bien sentir la nécessité d'une bonne intelligence entre le ministre de ce département et celui des finances, que le roi lui dit : « Eh bien, qui placer là ? » M. Necker nomma le maréchal de Castries. « En avez-vous parlé à M. de Maurepas? -Qui, Sire; le comte n'y est pas contraire. — Eh bien, je le nomme, dit Louis XVI, » La reine qui protégeait le maréchal, et était informée de toutes ces démarches, arriva au moment même. M. Necker fit part à Sa Majesté de la nomination que venait de faire le roi ; elle en parut enchantée, et sur-le-champ elle dépêcha un courrier à M. de Castries pour la lui annoncer. Le roi l'écrivit lui-même sur-le-champ à M. de Maurepas par un billet de șa main. On peut juger de l'extrême surprise de ce ministre; il vit clairement jusqu'où pouvait se porter l'audace du directeur-général pour tromper le roi. « Nous avons un nouveau ministre de » la marine de la façon de M. Necker, me dit M. de Maurepas qui m'avait fait appeler pour une affaire à laquelle j'étais per

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