Imatges de pàgina
PDF
EPUB

protectrice avait sollicité avec grâce, la reine accordé avec bonté, le poëte remercié avec transport; et lorsque Lekain était entré dans le château de Ferney, le premier mot, le premier cri de Voltaire avait été :

Acteur sublime et soutien de la scène,
Quoi! vous quittez votre brillante cour,
Votre Paris embelli par la reine!
De nos beaux-arts la jeune souveraine
Vous fait partir pour mon triste séjour!
On m'a conté que souvent elle-même,
Se dérobant à sa grandeur suprême,
Sèche en secret les pleurs du malheureux.
Son moindre charme est, dit-on, d'être belle.
Ah! laissons-là les héros fabuleux.

Il faut du vrai : ne parlons plus que d'elle.

On faisait mieux que louer, on imitait la bienfaisance royale. En secourant le malheur, on encourageait la vertu. Partout des prix étaient décernés à la plus sage, à la meilleure, aux enfans religieux, aux mères tendres, aux belles actions, aux travaux utiles.

L'année suivante, 1777, fut marquée par le voyage que fit en France le frère de la reine, l'empereur Joseph. Ilvisita la cour, la capitale, etles plus belles provinces de ce beau royaume. On vit, à cette époque, un concours, une espèce de lutte des sentimens les plus purs et des plus aimables démonstrations. Le roi, idolâtre de la reine, le peuple français idolâtre de l'un et de l'autre, voulaient montrer à Joseph II combien sa soeur était aimée.

La reine était venue à Paris voir l'opéra d'Iphigénie en Aulide; l'empereur était à côté d'elle, et la famille royale remplissait la loge. Le public les avait accueillis avec transport, mais cela n'était rien auprès du mouvement subit qui allait éclore, du milieu même de la représentation théâtrale. On arrive à l'instant où, la jeune et belle Iphigénie promenée en triomphe dans le camp des Grecs, les Thessaliens disaient en choeur:

Que d'attraits! que de majesté !...
Que de grâces! que de beauté!...
Chantons, célébrons notre reine...

A peine ces mots sont entendus, et l'allusion s'empare de toutes les pensées. Ce ne sont pas seulement tous les regards qui se tournent sur la jeune et belle Marie-Antoinette, toutes les mains étendues vers elle qui l'applaudissent; mais on fait recommencer le chœur, chose inouïe à ce spectacle, L'acteur qui jouait le rôle d'Achille, transporté de se voir tout-à-coup l'organe du peuple français, montre directement la loge de la reine, en répétant à ses Thessaliens :

Chantez, célébrez votre reine.

Les balcons, les loges, l'amphithéâtre, toute l'assemblée se lève en pied, toutes les voix se joignent à celles des acteurs. La reine debout, appuyée sur son frère, saisie d'attendrissement, de plaisir, de reconnaissance, voulait se refuser aux hommages, était entraînée par l'amour, ne savait comment

exprimer tous ses sentimens, les en exprimait d'autant mieux, et ne faisait pas un geste, n'essuyait pas une larme qui n'augmentât encore l'enthousiasme. Son frère, les princes de la famille royale, tour à tour penchés vers le public, le remerciaient de sa justice, penchés vers la reine, la félicitaient de son triomphe, et se montraient heureux de l'embellir. Le choeur se répétait dans les corridors, sur les escaliers, à l'entrée même du spectacle : tout retentissait des charmantes paroles :

Chantons, célébrons notre reine.

On eût pu croire que dans un tel moment MarieAntoinette avait épuisé le bonheur.

Un nouveau plaisir pour elle, et dont son cœur fraternel sentit bien tout le prix, ce fut la vénération et l'estime universelle qu'inspira son auguste frère. A la cour le premier mot cité de lui, avait été un hommage à la piété filiale. Étant à Versailles, dans l'OEil de bœuf, confondu parmi la foule, et attendant avec elle que la chambre du roi s'ouvrît, il avait répondu à quelques expressions de surprise, qui lui étaient adressées : « Mais j'y suis accoutumé. >> C'est comme cela que je vais tous les jours faire » ma cour à ma mère. » A Paris, la première visite de l'empereur avait été à l'École militaire, la seconde aux Invalides, la troisième aux hôpitaux. Il continua comme il avait commencé. L'institution des sourds et muets, les maisons d'éducation, les cours de justice, les académies, les

manufactures, tous les grands et utiles établissemens, ce qui honorait et servait l'humanité, fut partout l'objet des recherches de Joseph II, et partout il trahissait involontairement les grandes qualités de son cœur et de son esprit. Son affabilité modeste, son extrême simplicité, son désir d'échapper aux hommages, ne faisaient que lui en attirer de plus vifs, et dont il était impossible qu'il ne se sentit pas doucement ému. Ainsi, lorsqu'au Théâtre Français, qu'il préférait entre tous les spectacles de la capitale, il assistait à une représentation d'OEdipe, où il croyait être incognito, dans la scène où Jocaste dit à son fils, en parlant de

Laïus,

Ce roi, plus grand que sa fortune,
Dédaignait, comme vous, une pompe importune;
On ne voyait jamais marcher devant son char

D'un nombreux bataillon le fastueux rempart.....

l'empereur put juger, au genre et à la prolongation des applaudissemens dirigés vers la loge où il se cachait, que ce n'est pas le faste en effet qui fait recueillir aux princes les respects les plus sin

cères.

Lorsqu'il désira voir l'Académie française tenir une de ses séances, il demanda, comme grâce et comme condition, que son nom ne fût pas prononcé; on le lui promit, et on tint parole. D'Alembert, parmi plusieurs autres synonymes, en lut un sur les mots modestie et simplicité; à chaque phrase l'empereur fut reconnu, admiré,

applaudi, mais personne ne proféra son nom (1). Dans toutes les provinces de France qu'il visita, le peuple se portait en foule sur son passage. Ce n'était pas seulement l'empereur qu'on s'empressait de voir: « C'était, disait le peuple, le frère de »notre belle reine. » On cherchait à démêler sur sa figure quelques-uns des traits de cette princesse qui était l'objet de l'adoration de toute la France.

(1) Laharpe, dans sa Correspondance littéraire, tome II, page 106, rend compte en ces mots de cette séance :

<< L'empereur a visité toutes les académies, celle des sciences, celle des inscriptions, et, en dernier lieu, l'académie française. Nous étions quinze lorsqu'il nous a fait l'honneur de venir, et il s'est fait nommer tous les académiciens par le maréchal de Duras, l'un de nos confrères. D'Alembert a lu quelques synonymes dans le goût de ceux de l'abbé Girard; le dernier était simplicité et mo– destie; et, en définissant la simplicité dans les grands, il avait eu l'art de rassembler plusieurs traits qui regardaient l'empereur, et dont ce prince parut saisir l'application, quoiqu'avec l'embarras de se reconnaître dans ses propres louanges. D'Alembert lut ensuite quelques anecdotes sur Fénélon, sur lesquelles il sut aussi amener sans affectation un morceau sur la manière de voyager convenable aux princes, et qui caractérisait l'empereur. Je récitai quelques fragmens d'une imitation en vers du premier chant de la Pharsale, et Marmontel, des morceaux d'une épître sur l'histoire. L'empereur témoigna sa satisfaction de tout ce qu'il entendait, et ne la témoigna qu'aux endroits qui excitaient l'applaudissement général.

>> Il se leva après une heure et demie de séance, et, s'adressant à D'Alembert, il s'informa des détails relatifs à l'académie, de la forme des élections, du nombre et des devoirs de ses membres, s'exprimant de la manière la plus flatteuse pour la compaguie. Il traita D'Alembert en particulier avec toute sorte de distinctions, s'informant avec intérêt de sa santé, des voyages qu'il devait faire à Berlin, et des raisons qui l'en empêchaient. D'Alembert répondit

« AnteriorContinua »