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On jugera de ces rigueurs par le fait suivant. Privé de moyens de rédiger sa défense, il se servit d'un curedent et d'une encre qu'il composa de suie de cheminée et d'eau, pour écrire ses mémoires sur des papiers d'enveloppe de chocolat. Le parlement ayant été rétabli, ne cessa de réclamer avec force La Chalotais et les autres exilés. L'intérêt qu'ils inspiraient devint général et donna lieu à une multitude de brochures amères. Bientôt les états et le parlement de Rennes se réunirent pour attaquer le duc d'Aiguillon, instruisirent son procès avec éclat, l'accusèrent d'avoir commis des exactions, calomnié le procureur-général et suborné des témoins. Plusieurs parlemens se mêlèrent de cette querelle. Mémoires, arrêts du conseil, remontrances, libelles, tout parut à la fois. On jugera de l'empressement du public à se procurer ces écrits, et du zèle de l'administration à les poursuivre, en apprenant que cent cinquante colporteurs furent enfermés dans la même semaine, à Bicêtre. Le procès intenté au duc d'Aiguillon fut évoqué au parlement de Paris qui, se déclarant contre cet accusé, menaça de le frapper judiciairement. Le duc eut recours à la comtesse Du Barry, par le crédit de laquelle il obtint un ordre du roi qui supprimait la procédure. Le parlement irrité rendit, le 4 juillet 1770, un décret qui déclarait le duc d'Aiguillon prévenu de faits qui entachaient son honneur, et suspendu des fonctions de la pairie jusqu'à son jugement. Le roi, voulant humilier cette Cour, tint un lit de justice à Versailles, où le duc siégea comme pair. Celui-ci, aidé de la protection de la favorite, fit enlever du greffe du parlement toutes les pièces de la procédure qui fut ainsi anéantie. Cette marche fit voir ce que l'accusé pensait de sa cause, et quel jugement il en fallait porter.

Le 7 décembre 1770, le roi convoqua le parlement à Versailles, et fit promulguer en lit de justice ce fameux édit de discipline, par lequel il était défendu au parlement de Paris de s'unir aux autres Cours du royaume. Les cessations de services, les démissions combinées étaient proscrites sous peine de confiscation des charges. Le chancelier Maupeou, provocateur de cette mesure, lut un discours plein d'instruction, de force et de dignité, mais contenant la censure la plus vive de la conduite du parlement. Ce discours fut attribué, dans le temps, à M. Le Brun (aujourd'hui duc de Plaisance), traducteur élégant du Tasse et d'Homère. La Cour, humiliée et profon

1771,

dément blessée, fit tout ce qu'on lui défendait de faire. Assemblées quoique interdites, remontrances, cessations de services, menaces de démission, rien ne fut omis. Ainsi commença ce combat nouveau, dans lequel le roi s'obstinait à ne pas écouter son parlement qu'il n'eût repris ses fonctions, et le parlement à ne pas reprendre ses fonctions que le roi ne l'eût écouté. Dans la nuit du 19 janvier chacun des membres est éveillé par deux mousquetaires chargés d'un ordre du roi portant injonction expresse de déclarer, simplement par oui ou par non, s'ils entendaient reprendre leur service. Le lendemain paraît un arrêt du Conseil qui confisque les offices des opposans : le 21, cet arrêt est signifié à chacun d'eux, et dans la nuit même une lettre-de-cachet les exile. Trente-huit avaient adhéré conditionnellement à l'ordre. Mais, honteux de leur faiblesse, ils se rétractèrent, et le refus devint général. Maupeou mit, dans le choix des lieux d'exil, un raffinement cruel. I forma un nouveau parlement avec les membres du Conseil du roi. Ce grand événement eut pour cause première l'affaire de La Chalotais et celle du duc d'Aiguillon, celle-ci n'étant qu'une suite de la première.

Avant cette époque, il y avait eu, entre l'archevêque de Paris et le parlement, à l'occasion du refus des sacremens fait par le clergé, une lettre qui finit par l'exil et de la Cour et du prélat. Dans cette lutte, le parlement avait fait saisir les revenus de l'archevêque, et, son arrêt ayant été cassé, il cessa ses fonctions. C'était en 1753. Rappelé l'année suivante, il eut encore des débats avec le clergé ; pour l'humilier, on favorisa les prétentions du grand-conseil, son éternel rival. Le 15 décembre 1756, dans un lit de justice, le roi fit enregistrer un édit de discipline dont les dispositions révoltèrent les magistrats, au point que cent quatre-vingts donnèrent leur démission.

Ce grand-conseil, dont nous venons de parler, avait été institué par Charles VIII, confirmé par François 1er, et en divers temps investi de pouvoirs suivant le besoin et les circonstances. C'était un tribunal d'exception, sans territoire ni juridiction fixes, et ne subsistant que d'attributions dont on dépouillait les autres Cours de justice. On l'opposait au parlement. Les magistrats des deux Cours étaient égaux en dignités, en prérogatives, en priviléges, en rangs et préséances, mais non en considération, parce que l'une était regardée comme auxiliaire du pouvoir et son instrument,

tandis que l'autre, dépositaire des lois, veillait à leur exécution. C'est ce grand-conseil qui fut, en 1771, transformé, par le chan→ celier Maupeou, en nouveau parlement. L'ancien ne reprit ses fonctions que le 12 novembre 1774, et celui qui l'avait remplacé redevint le grand-conseil tel qu'il était avant cette révolution parlementaire qui dura trois années.

On verra bientôt, dans les Mémoires de Weber, ce parlement, rétabli par Louis XVI, donner le premier signal de la résistance à son autorité, et ouvrir le champ à la révolution par la seule demande des états-généraux.

Note (D), page 108.

POUR compléter les détails que Weber donne ici sur les parlemens, et faire apprécier le degré d'influence qu'ont eue ces Cours souveraines dans la révolution française, il n'est peut-être pas inutile de rappeler le but de leur institution, souvent et long-temps oublié, et quelquefois dépassé par elles.

Avant de mettre sous les yeux du lecteur les observations relatives aux événemens que retrace Weber, nous croyons devoir rappeler le témoignage d'un observateur attentif et profond qui a laissé des Mémoires immortels, le cardinal de Retz.

« L'autorité des rois de France, dit cet illustre écrivain, n'a jamais été réglée comme celle des rois d'Angleterre et d'Aragon, par des lois écrites; elle a été seulement tempérée par des coutumes reçues et comme mises en dépôt au commencement dans les mains des états-généraux, et depuis dans celles des parlemens. Les enregistremens des traités faits entre les couronnes, et les vérifications des édits pour les levées d'argent, sont des images presque effacées de ce sage milieu que nos pères avaient trouvé entre la licence des rois et le libertinage des peuples. Ce milieu à été considéré, par les sages et bons princes, comme un assaisonnement de leur pouvoir, très-utile même pour le faire goûter à leurs sujets. Il a été regardé, par les mal-habiles et les mal-intentionnés, comme un obstacle à leurs déréglemens et à leurs caprices. Joinville nous fait voir clairement que saint Louis l'a connu et estimé. Charles V,

qui a mérité le titre de sage, n'a jamais cru que sa puissance fût au-dessus des lois et de son devoir. Henri IV, qui ne se défiait pas des lois, parce qu'il se fiait en lui-même, marqua combien il les estimait... Les rois, qui ont été sages, et qui ont connu leurs véritables intérêts, ont rendu les parlemens dépositaires de leurs ordonnances, particulièrement pour se décharger d'une partie de l'envie et de la haine que l'exécution des plus saintes et même des plus nécessaires produit quelquefois. Ils n'ont pas cru s'abaisser en se liant eux-mêmes, semblables à Dieu, qui obéit toujours à ce qu'il a commandé une fois. >>

Après avoir, avec cette remarquable énergie, indiqué les nobles fonctions et les devoirs des parlemens, l'auteur passe au rôle que joua celui de Paris dans les troubles de la Fronde.

« Il paraît, dit-il, un peu de sentiment, une lueur, ou plutôt une étincelle de vie. Ce signe de vie, dans les commencemens presque imperceptible, ne se donne point par monsieur; il ne se donne point par monsieur le prince; il ne se donne point par les provinces. Il se donné par le parlement qui, jusqu'à notre siècle, n'avait jamais commencé de révolution, et qui, certainement, aurait condamné par des arrêts sanglans celle qu'il faisait lui-même, si tout autre que lui l'eût commencée. Il gronda sur l'édit du tarif; et aussitôt qu'il eut seulement murmuré, tout le monde s'éveilla. On chercha, en s'éveillant comme à tâtons, les lois; on ne les trouva plus. L'on s'effara, l'on cria, l'on se les demanda, et, dans cette agitation, les questions que les explications firent naître, d'obscures qu'elles étaient et vénérables par leur obscurité, devinrent problématiques, et de là, à l'égard de la moitié du monde, odieuses. Le peuple entra dans le sanctuaire; il leva le voile qui doit toujours couvrir tout ce que l'on peut dire, et tout ce que l'on peut croire du droit des peuples et de celui des rois, qui ne s'accordent jamais si bien ensemble que dans le silence. La salle du palais profane ces mystères.

» Le parlement pensa déchirer le voile qui couvre le mystère de l'État. Chaque monarchie a le sien; celui de la France consiste dans une espèce de silence religieux et sacré, dans lequel on ensevelit, en obéissant presque toujours aveuglément aux rois, le droit que l'on ne veut croire avoir de s'en dispenser que dans les occasions où il ne serait pas même dans leur service de plaire aux rois.

Ce fut un miracle que le parlement ne levât pas dernièrement ce voile, et ne le levât pas en forme et par arrêt, ce qui serait d'une conséquence plus dangereuse et plus funeste que la liberté que les peuples ont prise depuis quelque temps de voir à travers. Si cette liberté, qui est déjà dans la salle du palais, était passée jusque dans la grand'chambre, elle ferait des lois révérées de ce qui n'est encore que question problématique, et de ce qui n'était, il n'y a pas long-temps, qu'un secret ou inconnu, ou du moins respecté. »

Pour revenir aux fonctions que le cardinal assigne aux parlemens, en disant que les rois sages, qui entendirent bien leurs intérêts, les rendirent dépositaires de leurs lois, il est bon de remarquer que, si ce fut là le but de leur institution, ce but, qui n'était pas clairement déterminé, fut rarement atteint. Les princes régnans oublièrent trop souvent quelle espèce de force leur autorité pouvait recevoir du concours des parlemens, et ceux-ci ne se renfermèrent point assez scrupuleusement dans le cercle de leurs attributions. Cette vérité se trouve exposée dans les observations dont nous avons parlé (1), et qu'on va lire..

« Les parlemens, comme l'on sait, furent long-temps l'unique barrière qu'il y eut en France contre l'autorité absolue. Cette barrière n'avait aucune force réelle, aucune base solide, parce que l'existence de cette sorte de pouvoir intermédiaire n'avait jamais été ni déterminée ni reconnue, ni par le roi ni par la nation. Il n'en est pas moins vrai que le génie législateur n'invente peut-être jamais un moyen de résistance plus embarrassant pour un gouvernement faible, pour une administration incertaine. Par la nature même de leur composition, les parlemens embrassent toutes les classes de l'État. Sortis la plupart des familles les plus riches et les plus considérables du tiers-état, les membres des Cours souve→ raines tiennent encore aujourd'hui, par les magistrats qui les président, aux premières maisons du royaume; ils y tiennent aussi par leurs alliances. D'un autre côté, les dernières classes du peuple leur sont encore nécessairement dévouées par l'intérêt qui lie à

(1) Elles furent envoyées, au mois d'avril 1789, par le baron de Grimm, aux souverains avec lesquels il correspondait. Voyez, Correspondance littéraire, T. XVI, page 83.

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