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ciel, leur surprise de ce qu'on était parvenu à égarer le peuple à ce point.

La reine était quelquefois dans un état d'insensibilité difficile à décrire. Son fils était sur ses genoux ; il souffrait de la faim, il demanda quelque nourriture. Ne pouvant répondre à ses désirs, Marie-Antoinette le pressa contre son cœur en l'inondant de ses larmes. Elle l'exhorta à souffrir sans se plaindre. Le jeune prince se résigna.

L'affluence du monde, le chemin étroit des quais avant d'arriver à l'Hôtel-de-Ville, forcèrent tous les hommes à cheval qui entouraient la voiture de la précéder. Nous fùmes obligés de l'attendre sur la place de Grève, derrière la ligne des gardes nationales qui occupaient la moitié de l'enceinte de cette place.

Les dispositions de la force armée de Paris rendirent nulles toutes mes tentatives pour approcher, même à pied, de l'Hôtel-de-Ville. Ma douleur fut inexprimable, lorsque je vis la troupe qui formait un triple carré sur cette place, ne s'ouvrir que pour laisser entrer la voiture du roi, à l'exclusion même de la garde à pied qui l'avait accompagné depuis Versailles.

La famille royale, entourée de la municipalité et de l'état-major, disparut dans un instant à mes yeux. Alors, le vicomte de Montmorin, colonel en second du régiment de Flandre, s'apercevant de ma profonde inquiétude, s'approcha de moi et me dit en confidence: «Rassurez-vous, je suis là

» avec tout mon monde, et je puis y compter. » Il faut observer qu'il n'avait qu'un détachement de son régiment, et que ce détachement était enveloppé par cinquante mille hommes armés.

Dès que la famille royale fut entrée dans l'Hôtel-de-Ville, le roi eut à entendre deux harangues de M. Bailly et des dénonciations contre ses ministres. On rédigea ensuite le procès-verbal de la séance. M. Bailly en fit une lecture publique. Mais comme il citait inexactement quelques mots du discours du roi, la reine l'interrompit avec cette présence d'esprit qui était un des beaux traits de son caractère. Il avait oublié une des expressions la plus touchante du discours du roi. La reine lui rappela avec grâce que Sa Majesté avait dit : « J'ai >> compté sur l'attachement et la fidélité de mon » peuple, et je me suis rendu au milieu de mes su>> jets avec une entière confiance.

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Cette cruelle séance dura plus d'une heure. Le profond silence qui régnait pendant ce temps dans l'intérieur, livra tout ce qu'il y avait d'honnêtes gens aux plus vives inquiétudes. En ce moment presque tout le monde paraissait s'intéresser en faveur du roi et de la reine : l'impatience et les alarmes se communiquant de proche en proche et croissant d'un instant à l'autre, la marche du peuple qui couvrait cette place parut bientôt comme une mer agitée.

Les municipaux, prévenus que la multitude allait éclater, firent ouvrir sur-le-champ les fenêtres de

l'Hôtel-de-Ville pour montrer au peuple la famille royale, dont on avait soin de rendre les traits plus reconnaissables en plaçant deux flambeaux sur chaque croisée.

Leurs Majestés saluèrent plusieurs fois le peuple qui y répondit par mille applaudissemens. Leur présence calma la foule et inspira une satisfaction. si générale que tous sur la place se tendaient les mains ou s'embrassaient avec enthousiasme.

La famille remonta ensuite en voiture au milieu des acclamations et se rendit, avec une partie de la garde nationaleau château des Tuileries. Monsieur et Madame allèrent au Luxembourg.

Le nouveau cortége étant sans cavaliers, le peuple, malgré mon costume de l'état-major de Versailles, ne voulait pas me permettre de rester à cheval auprès de la voiture. Cependant, grâces aux efforts que je fis, et à l'assistance de deux de mes amis (1), je pus arriver au château des Tuileries sans m'être éloigné de Leurs Majestés.

(1) Le chevalier Barrau d'Angoulême et le chevalier de Mondollot, l'un brigadier, l'autre maréchal-des-logis des gardes-ducorps. Ces deux braves officiers suivirent à pied et sans armes leurs malheureux maîtres jusqu'à l'Hôtel-de-Ville et de là aux Tuileries.

Le lendemain, au sortir de la messe avec la famille royale, j'en vis un très-grand nombre faire haie au passage des appartemens. La plupart étaient saus chapeaux, les habits déchirés, et si pâles qu'ils arrachaient des larmes à Leurs Majestés et à toute la suite.

W.

Je quittai la famille royale à dix heures du soir, et me retirai accablé de tristesse et de fatigue. Le lendemain je me présentai chez la reine. Cette auguste princesse m'appela avec sa bonté ordinaire pour me dire : «< Weber, vous avez beaucoup souf»fert hier. Je suis très-contente de vous. Le roi >> a dit que vous vous conduisiez à merveille. Vous >> habiterez Paris, à présent. » Je répondis que «< je priais Sa Majesté de me permettre de la suivre toujours, de partager ses dangers et d'être bien persuadée que je voudrais avoir à ma disposition » une armée pénétrée de mes sentimens, pour la » défendre ou pour lui faire quitter et à toute son >> auguste famille une nation si égarée, »

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La cour, dans la première semaine de son séjour à Paris, reçut la visite des principaux habitans de cette capitale. L'étiquette resta la même qu'à Versailles. Le roi y ajouta seulement un diner public tous les jeudis, pour satisfaire l'empressement et la curiosité de ses sujets.

A la fin de ce mois, accablé sous le poids des douloureuses impressions que m'avait laissées tout ce qui s'était passé sous mes yeux, entendant tous les jours des menaces plus terribles contre la cour, des propos plus déchirans contre la reine, et voyant combien cette auguste princesse souffrait du passé, du présent et de l'avenir, je tombai dans un état de langueur, je perdis le sommeil et les forces, je devins tout-à-fait malade; et je n'aurais pas été sitôt rétabli des suites d'une fièvre que je gardai

quelques mois, sans les soins de M. Vicq-d'Azyr (1), qui sut, par son art et sa conversation pleine de charme et de philosophie, me donner à la fois de la consolation et de la force.

W.

(1) Premier médecin de la reine, et membre de l'Académie française.

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