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heures, les têtes des gardes qui avaient été massacrés ; elles étaient arrivées aux barrières de Paris, avant que la famille royale fût partie de Versailles (1).

Le peuple qui avait fait grâce aux gardes-ducorps, ne perdait point de vue, pour cela, le principal objet de son entreprise. Il demandait, à grands cris, que le roi vint à Paris: il disait que si la famille royale venait habiter Paris, on ne manquerait pas d'approvisionnemens. M. de La Fayette secondait de toutes ses forces cevœu, dans le conseil qui se tenait alors auprès de Leurs Majestés. Enfin le roi, fatigué, sollicité, pressé de toutes parts, donna sa parole qu'il partirait à midi. Cette promesse vola bientôt de bouche en bouche : les acclamations du peuple et le feu de la mousqueterie y répondirent.

Sa Majesté parut alors, pour la seconde fois, sur le balcon, afin de confirmer au peuple la parole qu'elle venait de donner à M. de La Fayette. A cette seconde apparition, la joie de la populace ne connut plus de bornes. Une voix demanda: La

(1) Dans un événement de la nature de celui des 5 et 6 octobre, on sent combien il est difficile de découvrir la vérité. Quand les auteurs de l'attentat auraient réussi dans leur coupable entreprise, il est probable qu'ils eussent couvert d'un voile épais et leurs projets et leurs moyens. Ayant échoué, ils ont dû mettre tous leurs soins à les ensevelir dans l'oubli, puisque le succès même était odieux. On trouvera dans les pièces justificatives (note L) un extrait des dépositions et protestations publiées après l'instruction de ce fameux procès. (Note des nouv. édit.)

reine au balcon. Cette princesse, qui ne fut jamais si grande et plus magnanime que dans les momens où le danger était le plus imminent, se présenta sans hésiter sur le balcon, tenant M. le dauphin d'une main et madame Royale de l'autre. Une voix cria alors : Point d'enfans. La reine, par un mouvement de ses bras en arrière, repoussa ses enfans dans la salle, et resta seule sur le balcon, croisant les mains sur sa poitrine, avec une contenance d'un calme, d'une noblesse, d'une dignité impossible à dépeindre, et semblant ainsi attendre la mort. Cet acte de résignation étonna tellement les assassins et inspira tant d'admiration au gros peuple, qu'un battement de mains général et des cris bravo! vive la reine! répétés de tous côtés, déconcertèrent les malveillans. Je vis cependant un de ces forcenés ajuster la reine, et son voisin baisser le canon du fusil d'un coup de main, et près de massacrer ce brigand qui, sans doute, était un de ceux qui avaient fait l'irruption du matin.

« L'air de grandeur de la reine, dans cet abais» sement, dit l'écrivain dont j'ai déjà cité quel» ques traits, cette preuve de courage dans une >> obéissance si périlleuse, l'emportèrent, à force » de surprise, sur la barbarie du peuple. Elle fut » applaudie universellement. Son génie redressa >> tout-à-coup l'instinct de la multitude égarée, et » il fallut à ses ennemis des crimes, des conjura>>tions et de longues pratiques pour la faire assas» siner; il ne lui fallut à elle qu'un moment pour

>> se faire admirer. C'est ainsi que la reine tua l'o>> pinion publique en exposant sa vie. »

L'armée parisienne, satisfaite d'emmener avec elle la famille royale, ne songea plus qu'à s'en retourner, et se concerta sur l'ordre de la marche. Il fut arrêté qu'elle partirait aussitôt que la cour serait prête, et que l'on irait directement à l'Hôtelde-Ville.

Lorsque j'appris la résolution forcée de la famille royale, mon inquiétude devint extrême. Je n'avais pas deux partis à prendre; mon devoir était de la suivre. M'étant aperçu que la garde nationale de Versailles était traitée avec enthousiasme, je pris le parti d'ajouter sur-le-champ à mon costume de simple volontaire les décorations d'officier de l'état-major, afin d'en imposer davantage aux malveillans, en cas de besoin. Je demandai ensuite un cheval à M. de Salvert, écuyer cavalcadour de la reine, et je me plaçai le plus près qu'il me fut possible de la voiture de Sa Majesté.

Le roi ne partit qu'à une heure après midi. Tout était prêt, depuis assez long-temps, pour la marche triomphale dont il était le sujet, et déjà le peuple murmurait hautement du retard qu'on y apportait.

On vit d'abord défiler le gros des troupes parisiennes. Chaque soldat emportait un pain au bout de sa baïonnette. Ensuite parurent les poissardes ivres de fureur, de joie et de vin, tenant des branches d'arbres ornées de rubans, assises à cali

fourchon sur les canons, montées sur les chevaux des gardes-du-corps, et coiffées de leurs chapeaux; les unes étaient en cuirasse devant et derrière, et les autres étaient armées de sabres et de fusils : la multitude des brigands et des ouvriers parisiens les entourait. Les chariots de blé et de farine, enlevés à Versailles et recouverts de feuillages et de rameaux verts, formaient un convoi suivi de grenadiers qui s'étaient emparés des gardes-du-corps dont le roi avait racheté la vie. Ces captifs, conduits un à un, étaient désarmés, nu-tête et à pied; quelques-uns avaient échangé leurs chapeaux contre les bonnets des grenadiers de la garde nationale, en signe de paix et de réunion. Des dragons, des soldats du régiment de Flandre et les cent-suisses de la garde : ils précédaient, entouraient et suivaient le carrosse du roi. Ce prince y paraissait avec toute la famille royale et la gouvernante de ses enfans; on se figure aisément quel était son état et celui de la reine. Il serait difficile de peindre l'ordonnance confuse et lente de cette. marche qui dura six heures. Elle commença par une décharge générale de toute la mousqueterie de la garde de Versailles et des milices parisiennes. On s'arrêtait de distance en distance pour faire de nouvelles salves; alors les poissardes descendaient de leurs canons et de leurs chevaux pour former des rondes devant le carrosse du roi. Elles embrassaient les soldats et hurlaient des chansons dont le refrain était : Voici le boulanger, la boulangère et

le petit mitron. L'horreur d'un jour sombre, froid et pluvieux; cette milice infâme, barbotant dans la boue; ces harpies, ces monstres à visage humain; et, au milieu de ses gardes captifs, un monarque traîné ignominieusement avec sa famille; tout cela formait un spectacle si effroyable, un si lamentable mélange de honte et de douleur, que mon imagination ne peut encore m'en retracer le souvenir, sans que j'éprouve un bouleversement total de mes sens.

La municipalité, avertie avant midi par des Exprès, de tout ce qui s'était passé à Versailles, eut le temps de faire les préparatifs nécessaires pour recevoir la cour. M. Bailly fut chargé de haranguer le roi à son arrivée (1).

Il serait difficile de se faire une idée des propos que se permit la populace le long de la route. Je me tins pendant les trois quarts du temps à la portière droite de la voiture de Leurs Majestés. A chaque décharge de fusils, à chaque explosion des cris et des vociférations de cette populace, je portais mes regards sur la voiture du roi, et Leurs Majestés avaient la bonté de me témoigner, par des haussemens d'épaules et par des regards jetés au

(1) Ce fut dans cette circonstance qu'il appela la journée où le roi était ainsi traîné à Paris un beau jour. On lui en a beaucoup voulu de s'être servi d'une expression semblable pour un jour aussi affreux.

W.

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