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Deux gardes-du-corps qui étaient en sentinelle, l'un auprès de la grille, l'autre sous une voûte qui conduisait au grand escalier, M. Deshuttes et M. Varicourt (1), furent massacrés sans pitié; leur tête fut coupée à l'instant par l'homme à longue barbe dont je viens de parler, et dès cette heure on vit les têtes de ces deux victimes promenées dans les rues de Versailles, au bout de piques de douze pieds de longueur. Les gardes-du-corps, qui étaient en petit nombre dans tous les postes, cherchèrent à s'échapper. Ces malheureux, à qui toute résistance était défendue, fuyaient de toutes parts, et trouvaient partout des bourreaux à qui ils n'échappaient que couverts de sang et de blessures. Quinze d'entre eux furent pris et conduits vers la grille de la cour de marbre, en attendant qu'on eût avisé au genre de leur supplice.

Cependant une bande d'assassins, au nombre d'environ soixante, tant hommes que femmes, ayant des guides à sa tête, pénétra sans peine jusqu'à la porte de la reine. Le garde-du-corps qui y était en sentinelle, M. le chevalier Miomandre de Sainte-Marie, refusa de leur livrer passage, et engagea seul le combat avec cette horde de furieux. Un de ses camarades, nommé du Repaire, accourut d'une salle voisine, et essaya de lui donner quelque secours en défendant avec lui la porte

de la

(1) M. Rouph de Varicourt, frère de l'évêque actuel d'Orléans.

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reine. L'un et l'autre furent renversés à coups de piques et de sabres sur la tête et dans le corps, et laissés pour morts sur le parquet de la salle (1). Ils avaient cependant eu le temps de crier par la serrure à la première femme de chambre : Sauvez la reine, ses jours sont en danger.

Heureusement les femmes de chambre furent éveillées par ces cris, et elles ne perdirent pas un moment pour avertir leur auguste maîtresse du danger qu'elle courait. La reine n'eut que le temps de sauter hors du lit et de s'enfuir par un long et étroit corridor intérieur qui communiquait de son appartement à l'œil-de-bœuf, et de là aux appartemens du roi. Arrivée à l'œil-de-boeuf, Sa Majesté trouva la porte de ce corridor fermée, et il lui fallut encore attendre quelques minutes, au milieu des inquiétudes les plus cruelles, avant qu'elle fût ouverte. Enfin cette malheureuse princesse, échappée aux mains des assassins, se trouva dans les bras du roi qui était allé au-devant d'elle. Bientôt elle eut le bonheur de voir tous ses enfans, Monsieur, Madame et madame Élisabeth réunis auprès

d'elle.

Les assassins, n'éprouvant plus de résistance,

(1) M. de Miomandre fut trépané à l'infirmerie de Versailles. Dès qu'il fut rétabli de ses blessures, les nombreux ennemis que cet acte de fidélité lui avait attirés l'obligèrent de s'expatrier. En traversant le royaume, il fut accueilli avec des transports qui prouvaient bien qu'à cette époque le jacobinisme n'avait pas infecté tous les cœurs. W..

entrèrent et pénétrèrent jusqu'au lit de la reine dont ils soulevèrent les rideaux. Furieux de voir que leur victime leur était échappée, ils se jetèrent sur ce lit et le percèrent de leurs piques. De l'appartement de la reine, ils retournèrent dans la galerie pour forcer l'œil-de-boeuf et l'appartement du roi. Dans la rage qui les transportait, ils auraient massacré la famille royale, s'ils n'avaient rencontré dans cette antichambre d'anciens grenadiers des gardes-françaises qui avaient pris les gardes-du-corps sous leur protection, et qui, de concert avec un petit nombre d'entre eux, défendaient la porte du roi. Les grenadiers menacèrent cette horde exécrable de faire feu, si elle ne quittait pas à l'instant le château. Elle s'écoula par le grand escalier, et alla rejoindre dans la cour le groupe des brigands qui se préparaient à mettre à mort les quinze gardes-du-corps, sous les fenêtres même du roi.

M. de La Fayette avait été réveillé dans ces entrefaites. Il courut au château. Désespéré de son sommeil, de sa crédulité et de toutes les fautes qu'il avait commises depuis vingt-quatre heures, il harangua d'un ton passionné ces anciens gardesfrançaises nouvellement incorporés dans la milice parisienne. Il leur demanda s'ils laisseraient ainsi assassiner lâchement de braves gens sous leurs yeux. Ils lui jurèrent qu'ils ne le souffriraient pas. Alors il mit ces infortunés sous leur sauvegarde et celle d'un officier de la milice nationale. Au

même instant, le roi, instruit que ses gardes couraient le plus grand risque d'être misérablement égorgés, ouvrit lui-même ses fenêtres, se présenta au balcon et demanda au peuple de laisser la vie à ces infortunés. Ceux des gardes-du-corps qui étaient réfugiés auprès de la personne du roi, vou. lant sauver leurs camarades, jetèrent du haut du balcon leurs bandoulières au peuple, en criant : Vive la nation! Alors il partit de toutes les cours et de tous les coins de la place des cris redoublés de vive le roi! et ces mêmes gardes-du-corps qui craignaient quelques instans auparavant d'être les victimes de la populace furieuse, se virent tout-àcoup embrassés et caressés par ces mêmes tigres qui s'étaient disputés sur le genre de supplice qu'ils leur feraient subir.

Lorsque la reine fut entrée dans la chambre du roi, il s'en fallut de beaucoup que l'on fût rassuré sur la fidélité de ces mêmes soldats qui s'étaient déjà laissé corrompre une fois. Tout était sanglots et confusion autour de Leurs Majestés. Les ministres et quelques députés de la noblesse vinrent se ranger auprès du roi; mais la consternation dans laquelle ils étaient plongés ne leur laissait pas la liberté d'esprit nécessaire pour donner un seul conseil. M. Necker, qui avait été si long-temps l'idole du peuple, aurait pu, aurait dû même, essayer en cette occasion, en faveur de la famille royale, le prestige de sa popularité et de sa réputation; mais il resta immobile et consterné, tandis que la reine,

avec une fermeté noble et touchante consolait et encourageait tout le monde. « J'ai le courage de » savoir mourir, disait-elle, mais je voudrais au >> moins que ceux qui sont assez vils pour faire le » métier d'assassins, eussent la conscience du crime, >> c'est-à-dire de se montrer tels qu'ils sont. » Quelque temps après que les ministres furent arrivés chez le roi, on tira encore dans les cours quelques coups de fusil, dirigés contre les croisées de l'appartement de Sa Majesté. On m'a raconté que M. de La Luzerne, ministre de la marine, ayant vu une balle frapper le mur près de la fenêtre où se trouvait la reine, s'avança et se glissa, comme par curiosité, entre elle et cette fenêtre. Le motif de ce mouvement n'échappa pas à la reine. « Je » vois bien, dit-elle à M. de La Luzerne, quelle >> est votre intention, et je vous en remercie : mais » je ne veux pas que vous restiez là; ce n'est pas >> votre place, c'est la mienne. » Et elle le força de se retirer.

Cependant les brigands qui avaient été dispersés par les grenadiers des gardes-françaises ne perdaient pas leur temps, ils pillaient les effets et les armes qu'ils trouvaient à l'hôtel des gardes-du-corps; et ils emmenaient les chevaux sur lesquels ils paradaient dans l'avenue de Versailles. Souvent ces chevaux les désarçonnaient et les renversaient dans la boue; ce qui occasionait de longs et bruyans éclats de rire. Ils avaient, le matin, jeté un malade par les fenêtres de l'hôtel. On fit partir, dès huit

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