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l'Assemblée nationale. Les gardes-françaises demandèrent à leur général de les conduire à Versailles, afin de venger la nation des injures qu'on leur dit avoir été faites à la cocarde nationale. « Le » peuple est malheureux, disaient ces soldats; la >> source du mal est à Versailles ; il faut aller cher>>cher le roi et l'amener à Paris. S'il est trop

;

>> faible pour porter la couronne, qu'il la dépose:

>> nous nommerons son fils; nous aurons un con>> seil de régence, et tout en ira mieux. » Ce furent leurs propres expressions: on les trouve citées à plusieurs reprises dans la procédure du Châtelet sur les événemens de cette journée.

M. de La Fayette descendit dans la place de Grève, monta à cheval, et essaya de les pérorer, mais en vain. Les seules réponses que l'on fit à ses discours furent de lui crier itérativement: A Versailles! Il observa qu'il ne pouvait rien faire sans un ordre des représentans de la commune. Ceux-ci lui donnèrent l'autorisation suivante : « Vu les circons>>tances et le désir du peuple, et sur la représen>>tation de M. le commandant-général qu'il est in

>>

dispensable de s'y refuser, l'assemblée autorise >> M. le commandant-général et même lui ordonne >> de se transporter à Versailles. » On se mit aussitôt en route. Il était alors environ quatre heures du soir. Le temps était pluvieux, la soirée obscure. Le sombre aspect de cette marche de trente mille hommes, dirigée par la vengeance, avait quelque chose d'épouvantable. La colonne de quatre

cents femmes parties le matin avec une centaine d'hommes à piques et deux pièces de canon, arrivait alors à Versailles.

Ce fut ainsi que fut déterminée cette révolution funeste.

Le roi chassait ce jour-là dans les environs de Meudon. Aussitôt que l'on eut connaissance à Versailles de la marche des femmes, la reine ordonna à M. de Saint-Priest, ministre de l'intérieur, de faire avertir ce monarque du danger qui le menaçait ainsi que sa famille. M. le marquis de Cubières, écuyer du roi, eut le bonheur de rencontrer le premier Sa Majesté, et de lui persuader d'ac"célérer son retour et celui de sa suite, de manière à pouvoir précéder à Versailles l'arrivée de ces furies. Après la rentrée du roi au château, plusieurs gardes-du-corps ou d'autres personnes du service, qui avaient été envoyés à la découverte de côté et d'autre, afin de rencontrer le roi, quelque direction qu'il eût prise, se trouvèrent dans la grande avenue au milieu de ces groupes de brigands des deux sexes, et furent assaillis d'injures et de coups de fusil. Plusieurs balles dirigées contre eux allèrent frapper les murs de la salle de l'Assemblée nationale.

Les propos, les outrages et les coups de fusil tirés par la première colonne de brigands, avaient donné un assez juste sujet d'inquiétude à la cour pour qu'on ordonnât à la garde du roi, au régiment de Flandre et à la garde nationale de Ver

sailles de prendre les armes. Les gardes de la porte fermèrent les grilles, et les gardes du roi, placés en dehors, recurent l'ordre de ne porter la main ni sur leurs sabres, ni sur leurs pistolets, et d'éviter tout ce qui pourrait irriter le peuple. Les gardesdu-corps se conformèrent avec tant de résignation à cet ordre, qu'ils auraient pu être très-paisiblement égorgés les uns après les autres, pour peu que leurs ennemis eussent osé l'entreprendre. Le seul mouvement qu'il y eut, fut une légère opposition à la tentative que firent quelques poissardes de rompre la ligne des gardes-du-corps, pour pénétrer dans la cour des ministres. Les gardes du roi s'y opposèrent. Alors un des brigands parisiens, armé d'un sabre, qui se trouvait parmi les femmes, se jeta sur un brigadier et allait le percer. Heureusement celui-ci se tourna avec tant de célérité qu'il évita le coup que son cheval reçut dans le flanc. Ce mouvement ayant été aperçu du comte de Savonnières, lieutenant des gardes-du-corps, il accourut l'épée à la main au secours de son brigadier. En même temps un garde national de Versailles, que l'on m'a dit depuis être le perruquier de l'hôtel des gardes, prit la défense du brigand, quoiqu'il eût bien vu que celui-ci était l'agresseur, et d'un coup de fusil cassa le bras à ce loyal et respectable officier qui mourut quelques jours après de sa blessure.

Le prince de Luxembourg, capitaine des gardesdu-corps, demanda à Sa Majesté si elle avait des

ordres à donner pour repousser cette agression faite par la lie des femmes. Elle répondit : « Allons » donc, Monsieur, des ordres de guerre contre >> des femmes ! vous vous moquez. »

Cependant les poissardes et les hommes à piques venus de Paris, la garde nationale et le peuple de Versailles, se jurèrent fraternité, se promirent secours mutuel et se réunirent contre les gardesdu-corps qui furent hués et lapidés pendant toute la soirée. Ces infortunés, qui avaient eu ordre de ne point résister quoiqu'on les eût mis en bataille, d'abord devant les grilles du château, puis sur la terrasse de l'orangerie, reçurent enfin, vers les huit heures, ordre de retourner à leur hôtel. En passant devant les écuries du roi, un enfant tira un coup de pistolet en l'air. Aussitôt les gardes nationaux du corps-de-garde de la place d'armes firent feu sur les gardes du roi, sous prétexte que, dans leur retraite, ils avaient tiré sur eux. Ces coups de fusil blessèrent quelques gardes du roi et tuèrent le cheval de l'un d'eux, M. Moncheton, qui pensa devenir, par cet accident, la victime de ces furieux. Ils se jetèrent sur lui pour l'égorger, mais il leur échappa; n'ayant pu le saisir, ils s'élancèrent, comme des animaux de proie, sur son cheval, en firent rôtir un morceau, et le mangèrent.

Vers les six heures, nous reçûmes au château la nouvelle positive que l'armée de Paris était en marche; qu'elle avait de grands projets, et qu'on ignorait quel serait le sort de Versailles. Alors la

consternation devint générale. Tous ceux qui craignaient pour les jours de leurs maîtres se portèrent au château.

Je n'eus rien de plus pressé moi-même que d'endosser un uniforme de garde national, et de me rendre au château portant un fusil à deux coups démonté, une paire de pistolets, deux grosses poires à poudre, et environ deux cents balles dans mes poches de veste; le tout caché sous une redingote.

Après avoir fait aux premiers officiers de service auprès de Leurs Majestés le rapport de tout ce que j'avais vu, je m'empressai aussi d'aller informer madame Thibault, première femme de chambre," et madame Campan, bibliothécaire et secrétaire du cabinet de la reine. Je leur communiquai mon projet de passer la nuit dans le salon des nobles de la reine, afin d'être plus à portée d'avertir Sa Majesté des dangers qu'elle pourrait courir; seconder le zèle de ses gardes pour résister aux rebelles, et donner à l'infortunée princesse le temps de fuir en cas d'irruption dans ses appartemens. Mais ces personnes, moins effrayées que moi sur les dangers de la situation de leur maîtresse, me détournèrent de mon projet en me disant (1): «Que le même bruit » avait déjà couru plusieurs fois; que le départe>> ment de la police, ceux des ministres de l'inté

(1) Madame Campan, dont il est ici question, joignait aux lumières d'un esprit très-cultivé les plus honorables sentimens ; la reine lui avait accordé sa confiance: elle en était digne. Ravie trop

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