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des tables, fière de faire voir aux généreux défenseurs du trône, le bel enfant qui en était l'héritier présomptif. A l'aspect de tant de majesté et de grâces, de tant de beauté et d'innocence, l'ivresse du sentiment et de l'admiration fut portée à son comble; des larmes de sensibilité remplirent tous les yeux, et la musique entonna aussitôt l'air touchant de Richard-Coeur-de-Lion :

O Richard! ô mon roi !
L'univers t'abandonne.

Cet air, qui faisait une allusion si frappante à la situation de Louis XVI, et qui, depuis si longtemps, est proscrit en France, fut répété en choeur par toutes les bouches. Jamais il n'y eut concert aussi loyal. Jamais un sentiment plus pur n'électrisa toute une assemblée. Les physionomies augustes du roi et de la reine portèrent ce soir-là l'empreinte du contentement et du bonheur, au lieu de celle de la mélancolie qu'elles offraient depuis plusieurs

mois.

J'étais présent à cette fête; et, comme témoin oculaire, je puis assurer que tout ce qui s'y passa n'excéda pas les bornes de la gaieté et de la décence la plus scrupuleuse. C'est un fait absolument faux et uniquement inventé par les Jacobins, que l'action prétendue de ce soldat que l'on a dit avoir été tellement touché du spectacle qu'il avait sous les yeux, qu'il se plonga son sabre dans le corps, pour se punir, disait-il, des crimes qu'il avait commis

t-on,

contre l'autorité du roi, et avoir été arraché vivant encore à sa propre fureur, par deux gardes-ducorps, et emporté par ses camarades qui, ajoutal'assommèrent pour empêcher les révélations qu'il se disposait à faire sur les projets du parti d'Orléans. Cet acte de folie d'une part, et de cruauté de l'autre, est d'ailleurs improbable. Des conspirateurs n'admettaient pas des soldats à la participation de leurs mystères. Mais peu importait alors à la faction que les bruits qu'elle répandait fussent extravagans; son objet était d'échauffer la populace; et l'on anime plus le peuple avec des exagérations absurdes qu'avec des vérités raisonnables.

La seule irrégularité dont j'eus connaissance fut le trait de quelques soldats du régiment de Flandre qui, se trouvant dans les cours pendant que la salle du banquet retentissait d'acclamations, firent quelques efforts pour monter au balcon du château en grimpant le long des colonnes. Soit qu'ils voulussent témoigner par-là qu'ils participaient à l'allégresse générale, ou simplement s'amuser à montrer leur agilité; ce divertissement n'avait rien que de très-innocent.

Dans la soirée, l'on vit des dames du service de la cour former, avec quelques morceaux de papier blanc, des cocardes qu'elles distribuèrent dans les appartemens du château à des gardes-du-corps et à des officiers qu'elles rencontrèrent sur leur passage. Tout cela était simple, gai, et ne devait

être regardé que comme parfaitement dans le caractère français; c'était l'expression d'un grand dévouement pour le roi et sa famille. Une semblable démonstration de joie dans le château royal devaitelle être imputée à crime?

il se

Dans la foule des spectateurs de ce repas, trouva, comme partout ailleurs, des hommes ardens et républicains qui, furieux d'un amour si vrai et si touchant, allèrent aussitôt publier dans toute la ville et à l'Assemblée nationale, qu'ils avaient assisté au repas des gardes-du-corps; qu'ils s'y étaient aperçus des complots et des conspirations de la cour contre la ville de Paris; qu'il y avait tous les jours de pareilles orgies; que les militaires avaient foulé aux pieds la cocarde nationale et arboré la cocarde noire; qu'ils avaient insulté la nation et qu'il fallait venger cet affront.

Ces propos étaient surtout répandus par un habitant de Versailles qui avait quelque influence dans la ville. Cet homme, d'un caractère sombre et mélancolique, était un marchand de toiles nommé Lecointre qui tenait toute sa fortune de la cour (1). Il ambitionnait la place de commandant de la garde nationale de Versailles, et il l'obtint lorsque le comte d'Estaing donna sa démission. Ce scélérat

(1) Il parut, dans le temps, une déclaration de Lecointre, appuyée de pièces officielles. Nous en rendrons compte dans le résumé que nous comptons présenter au lecteur, à la fin du volume, de l'affaire des 5 et 6 octobre.

(Note des nouv. édit.)

était entièrement dévoué à la faction d'Orléans ; il ne cessait, depuis trois mois, de faire les motions les plus incendiaires contre le roi et la famille royale ; et depuis lors, il fut constamment, pendant longues années, le persécuteur de tous les honnêtes gens.

Ce Lecointre fournit au journaliste Gorsas, écrivain absolument vendu au parti orléaniste, tous les matériaux qui pouvaient lui servir à présenter les circonstances de cette fête comme un attentat à la souveraineté du peuple. Ce fut ce Gorsas qui donna, dans sa feuille du 2 octobre, de la publicité aux bruits qui ne faisaient encore que circuler sourdement parmi les échos de la faction. Il y ajouta qu'il devait y avoir incessamment une fête générale à laquelle se réuniraient quatre mille chevaliers de Saint-Louis, et qu'on projetait de dissoudre l'Assemblée nationale.

Gorsas avait sonné le tocsin sur les gardes-ducorps dans sa feuille du samedi. Le dimanche, 4 octobre, le peuple se porta à des voies de fait, dans les promenades publiques, contre des officiers de l'armée et d'autres individus qu'on lui signalait comme aristocrates. Il y eut dans Paris une agitation extrême. Les symptômes d'une violente insurrection se manifestèrent dans la soirée d'une manière effrayante. Le lundi 5, dès le matin, on vit des femmes, des espèces de furies, courir dans les rues, en criant qu'il n'y avait point de pain chez les boulangers. Il se joignit bientôt à elles un nombre

d'hommes assez considérable sur la place de l'Hôtel-de-Ville. Leur première opération fut de pendre à une lanterne un boulanger qu'on accusait d'avoir vendu du pain au-dessous du poids. Cet homme fut sauvé par M. de Gouvion, major de la garde nationale. Ces forcenés voulurent s'introduire dans la maison commune; ils y bouleverserent les papiers de quelques bureaux, ils menacèrent d'y mettre le feu; mais ils furent arrêtés dans l'exécution de leur projet. Elles chargeaient des injures les plus atroces MM. Bailly, de La Fayette et les représentans de la commune; et cette circonstance prouve mieux que tous les raisonnemens qu'on pourrait faire, que l'autorité qui gouvernait alors la ville de Paris était étrangère aux factieux qui dirigeaient ce désordre.

Tout-à-coup le cri à Versailles! se fait entendre au milieu du tumulte. A midila colonne des femmes se met en route pour aller chercher le roi. Sur les quais, sur les ponts, dans les Champs-Élysées, elles arrêtent toutes les femmes qu'elles rencontrent, et les obligent de les suivre au moins une partie du chemin. On les vit vouloir se faire accompagner par de jeunes hommes sous prétexte qu'ils étaient des femmes déguisées.

Le tocsin sonnait dans tout Paris. Le peuple accourait de tous les quartiers de la capitale. La garde nationale était, pour ainsi dire, sans chef. M. de La Fayette était occupé, dans l'intérieur de la maison commune, à écrire aux ministres et à

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