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regard audacieux de l'impudence, se mit un jour en marche pour Versailles, à la tête d'un attroupement considérable de furieux, armés de bâtons, qui déclarèrent effrontément, sans déguisement, leur intention d'aller assommer les prêtres et les amis des deux chambres. Il fallut employer la force armée pour dissiper cette horde factieuse. Elle fut dispersée à quelque distance de Paris.

Les membres du comité de constitution recevaient chaque jour des lettres anonymes qui les menaçaient de la colère du peuple, et qui leur annonçaient ouvertement que quinze mille hommes allaient se mettre en marche pour éclairer leurs châteaux et leurs maisons, s'ils persistaient à proposer à donner au roi un véto qui blessait la souveraineté du peuple, et qui pouvait bien appartenir à vingt-cinq millions d'hommes, mais jamais à un seul individu.

Si l'on avait demandé à un seul de ces factieux la définition de ce véto qui les inquiétait si vivement, ils n'auraient pu la donner. Mais on leur avait tant répété que c'était une invention des aristocrates, qu'il n'en fallut pas davantage pour exciter une insurrection contre le véto; et comme les objets physiques sont plus à la portée du petit peuple que les abstractions, il personnifia sur-le-champ ce véto. Louis XVI et Marie-Antoinette furent appelés monsieur et madame Véto.

Ces mouvemens populaires effrayèrent tellement le ministère, que, malgré la proposition d'accorder

au monarque un véto absolu; malgré l'assentiment d'une très-grande partie de l'Assemblée; malgré que le comte de Mirabeau lui-même eût dit qu'il aimerait mieux vivre à Constantinople qu'à Paris, si le roi n'avait pas le droit absolu de rejeter les lois qu'il jugerait mauvaises ou impraticables, le Conseil adopta un rapport fait par M. Necker, tendant à faire déclarer par le roi qu'il se contenterait d'un véto suspensif. Ce rapport devait être lu à l'Assemblée nationale le lendemain du jour où il l'avait été au Conseil. M. Mounier, membre du comité de constitution, en eut connaissance, et, tout ami qu'il était de M. Necker, il empêcha la lecture de ce mémoire. M. Necker tenait beaucoup à quelques phrases ambitieuses qu'il y avait semées; et il se vengea du service que lui avait rendu M. Mounier, en faisant imprimer le mémoire dès le lendemain. De ce moment il perdit le crédit qu'il avait conservé jusque-là parmi un petit nombre d'amis; sa réputation ne s'en releva pas, et toute son influence fut éteinte (1).

Les débats de l'Assemblée prenaient tous les jours un nouveau degré d'animosité. Dans ces circonstances, un député que les ministres et leurs agens avaient employé avec trop de succès dans la

(1) Voyez dans les pièces justificatives, sur M. Necker et les divers jugemens dont ce ministre a été l'objet, une note que son étendue nous force de renvoyer à la fin du volume (note K).

(Note des nouv. édit.)

province de Bretagne, pour y exciter les bourgeois et la populace contre la noblesse et le clergé, M. de Volney fit une proposition assez sage en principe, mais dont l'exécution aurait entraîné des difficultés sans nombre. Il demanda que l'on posât sur-lechamp les bases fondamentales de la constitution, et que l'on cédât la place à de nouveaux députés qui, n'ayant pas les mêmes raisons pour se trouver à chaque instant en opposition les uns aux autres, seraient beaucoup plus en état d'opérer le bien public. Cette motion fut d'abord reçue avec enthousiasme. Elle avait été faite vers le 20 septembre, et cette circonstance la fit appeler dans les pamphlets du temps le coup d'équinoxe qui devait épurer l'atmosphère et éclaircir l'horizon politique. Cependant la discussion ayant été renvoyée au lendemain, elle eut beaucoup moins d'approbateurs. Plusieurs des factieux, ainsi que nombre de membres du côté droit, voyaient tous également dans leur nomination aux états-généraux, qui avait tiré la plupart d'entre eux de l'obscurité, un moyen de satisfaire leurs ambitions diverses. Les uns attendaient une fortune immense dans le grand pillage qu'ils préparaient, fixit leges pretio atque refixit; les autres espéraient un surcroît de considération et les faveurs de la cour , si la monarchie pouvait résister et subsister, si Pergama dextrá defendi possent; ainsi par fas et nefas chacun était intéressé à se maintenir, de son mieux, comme il était. Le vicomte de Mira

beau (1) ayant ajouté à la motion de M. de Volney qu'aucun des députés actuels ne pût faire partie de la nouvelle assemblée, la proposition fut rejetée sous le prétexte du bien public, du danger de l'État, de la situation des finances, et du serment fait de ne pas se séparer sans avoir fait une constitution.

Cependant la pénurie du Trésor public créait chaque jour de nouveaux embarras. Depuis la nuit du 4 août, les impositions suivaient le sort des droits féodaux, qui avaient été supprimés. On démolissait les châteaux aussi vite qu'on avait

(1) Le vicomte de Mirabeau (Boniface Riquetti), né en 1754, frère puîné du comte, fut nommé député à l'Assemblée constituante par la noblesse de la sénéchaussée de Limoges. Il était alors colonel du régiment de Touraine. Quoiqu'il eût servi avec distinction dans la guerre de l'indépendance américaine, il ne partageait pas les opinions de la plupart de ses jeunes camarades. Il combattit plusieurs fois son frère dans l'Assemblée, sans cesser d'être bien avec lui; il en reçut même plusieurs services. Le vicomte de Mirabeau faisait d'une manière plaisante les honneurs de ses parens. <«< Dans toute autre famille, disait-il, je passerais pour un mauvais >> sujet et pour un homme d'esprit : dans la mienne on me tient » pour un sot, mais pour un homme rangé. » Son intempérance lui valut cependant un embonpoint tel qu'ayant la forme d'un tonneau on lui en donna le surnom. Son frère lui faisait des représentations sur cette intempérance; « De quoi vous plaignez>> vous ? lui répondit-il; de tous les vices de la famille, vous ne m'avez laissé que celui-là. » Blessé en duel par M. de La TourMaubourg, il reçut la visite du comte de Mirabeau. Le vicomte remercia son frère en le reconduisant. «Ma recon naissance, lui dit>> il, est d'autant plus vive, que vous ne me donnerez jamais l'occa» sion d'aller vous visiter pour un pareil sujet.» Ce sarcasme, joint à

démoli les barrières de Paris, et les vingtièmes ne se payaient pas plus que les dîmes. Lorsque M. Necker venait demander des secours à l'Assemblée, elle lui accordait, de confiance, par une espèce de dérision, tout ce qu'il lui demandait; c'était à lui à faire des miracles s'il le pouvait avec ses affidés les banquiers, les capitalistes, les rentiers et les agioteurs du Palais-Royal. M. Necker ne déguisait pas toujours l'humeur que lui causait la légèreté avec laquelle on le traitait à l'Assemblée

tant d'autres que nous pourrions 'citer, n'altéra pas l'amitié de Mirabeau pour son frère. Le vicomte se distingua, dans l'Assemblée, par des saillies plaisantes et par la violence de son opposition, bien plus que par le talent d'orateur dont il paraît avoir été dépourvu. Lorsque, le 4 février 1790, le roi vint promettre d'être fidèle à la constitution à peine ébauchée, le vicomte brisa son épée en s'écriant que, puisque le roi de France ne voulait plus l'être, un gentilhomme n'avait plus besoin d'épée pour le défendre. Son régiment s'étant révolté, le vicomte partit en poste de Paris pour se rendre à Perpignan où ce régiment était en garnison. Après d'inutiles efforts pour le faire rentrer dans le devoir, il s'empara des cravates qui faisaient partie des drapeaux, et se remit en route pour la capitale. Dénoncé pour ce seul fait, il fut défendu par son frère, dont l'éloquence arrêta les poursuites. Peu de temps après, il émigra, et des frontières il adressa sa démission à l'Assemblée, avec une protestation contre tout ce qu'elle avait fait ou ferait par la suite. L'Assemblée lança contre lui un décret d'accusation. Il leva une légion de royalistes qui conserva son nom jusqu'au moment de sa réunion au prince de Condé. Le vicomte de Mirabeau mourut d'une fluxion de poitrine, le 15 août 1792. A une bravoure téméraire, il joignait une gaieté inaltérable. Sa lutte contre son régiment et la relation qu'il en a faite attestent l'une et l'autre. Cette relation est intitulée Voyage national de Mirabeau cadet. (Note des nouv. édit.)

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