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été chargé de le préparer. Je ne m'étendrai pas sur les vices et les avantages du plan qu'il présenta. Cet examen devient inutile à l'objet que je me suis proposé.

Jamais le mouvement révolutionnaire ne fut plus actif que dans les deux mois d'août et de septembre, pendant la discussion de la constitution et des droits de l'homme. Mirabeau était l'ame de ce mouvement, c'est à lui que s'attachaient alors les anarchistes qui formèrent depuis les deux grandes et fameuses subdivisions de Jacobins et de Cordeliers, les républicains francs, et les personnages de la maison du duc d'Orléans qui composaient ce qu'on appelait le parti d'Orléans. Le comité de constitution était composé de membres entièrement voués à M. Necker. Ils voulurent transiger avec leur devoir, en introduisant dans leur projet des principes qui détruisaient les bases de l'ancienne monarchie, et en asseyant leur nouveau gouvernement à peu près sur les mêmes bases que celui des États-Unis de l'Amérique. Ainsi, n'osant pas proposer la continuation des trois ordres, comme par le passé, ils y substituèrent le projet de deux chambres qui devaient être investies du pouvoir législatif: mais, toujours jaloux de conserver leur popularité, ils ne voulurent s'écarter que le moins possible du système d'égalité qui était déjà consigné dans la déclaration des droits de l'homme. Au lieu de proposer à l'Assemblée une chambre des Pairs, héréditaire à l'instar de celle d'Angleterre,

ils se contentèrent de proposer un sénat dont les membres, nommés à vie, seraient choisis seule→ ment parmi les grands propriétaires du royaume (1).

(1) Cette question de la plus haute importance reçoit des circonstances présentes un nouvel intérêt. Au mois d'août 1789, le comité de constitution proposa, dans un rapport, la division du corps législatif en deux chambres, et Mounier, qui faisait partie de ce comité, publia ses Considérations sur le gouvernement qui convient à la France : Considérations dans lesquelles il établit le principe des deux chambres. Lorsqu'elles furent rejetées, l'Assemblée était composée de mille soixante votans. Quatre-vingtneuf opinèrent pour l'établissement de ces deux chambres; cent vingt-deux déclarèrent ne pas entendre la question, et huit cent quarante-neuf se prononcèrent pour une chambre unique et permanente. L'influence que l'auteur des Mémoires attribue à M. Necker sur le comité de constitution qu'il prétendait composé de membres entièrement dévoués à ce ministre, semble démontrée par le résultat, c'est-à-dire par la proposition des deux chambres, proposition qu'ils firent et qui fut rejetée. Madame de Staël, dans ses Considérations sur la révolution française (T. I, p. 317 et 325), fait, soit sur la question en général, soit sur l'intervention de son père, soit enfin sur les motifs de son opinion, des observations qu'on nous saura gré de rappeler parce qu'elles ont, avec le récit de Weber, une liaison qui semble ajouter à leur importance.

« Il y a', dit-elle, dans une nation une certaine masse de sentimens qu'il faut ménager comme une force physique. La république a son enthousiasme que Montesquieu appelle son principe; la monarchie a le sien; le despotisme même, quand il est, comme en Asie, un dogme religieux, est maintenu par de certaines vertus. Mais une constitution qui fait entrer dans ses élémens l'humiliation du souverain ou celle du peuple, doit être nécessairement renversée par l'un ou par l'autre. Le même empire des circonstances, qui en France décide de tant de choses, empêcha de proposer une chambre des pairs. M. de Lally, qui la voulait, essaya d'y suppléer en demandant au moins un sénat à vie: mais le parti populaire était irrité contre les privilégiés qui

Les tribunes trouvaient encore trop d'aristocratie dans la proposition du comité de constitution; et ceux qui vantaient la constitution des États-Unis, celle de l'Angleterre et l'ancienne constitution de France, ceux qui invoquaient un sénat à vie, une

se séparaient constamment de la nation, et ce parti rejeta l'institution durable par des préventions momentanées. Cette faute était bien grande, non-seulement parce qu'il fallait une chambre haute comme intermédiaire entre le souverain et les députés de la nation, mais parce qu'il n'existait pas une autre manière de faire tomber dans l'oubli la noblesse du second ordre, si nombreuse en France.

» Le côté droit de l'Assemblée constituante pouvait faire adopter le sénat à vie, en se réunissant à M. de Lally et à son parti. Mais il imagina de voter pour une seule chambre, au lieu de deux, dans l'espoir d'amener le bien par l'excès même du mal: détestable calcul, quoiqu'il séduisît les esprits par un air de profondeur.

» L'institution d'une seule chambre et plusieurs autres décrets constitutionnels qui s'écartaient déjà en entier du système politique de l'Angleterre, causaient une grande douleur à M. Necker; car il voyait dans cette démocratie royale, comme on l'appelait alors, le plus grand danger pour le trône et pour la liberté. L'esprit de parti n'a qu'une crainte; la sagesse en éprouve toujours deux. On peut voir, dans les divers ouvrages de M. Necker, le respect qu'il portait au gouvernement anglais, et les argumens sur lesquels il se fondait pour vouloir en adapter les principales bases à la France. Ce fut parmi les députés populaires, alors toutpuissans, qu'il rencontra cette fois d'aussi grands obstacles que ceux qu'il avait combattus précédemment dans le Conseil du roi. Comme ministre et comme écrivain, il a toujours tenu à cet égard le même langage.

>> L'argument que les deux partis opposés s'accordaient à faire contre l'adoption de la constitution anglaise, c'était que l'Angleterre pouvait se passer de troupes réglées, tandis que la France,

pairie héréditaire, ou les trois ordres, étaient également attaqués par des cris, des injures, des huées, et des menaces d'être assommés sur la place.

A cette discussion importante se joignit bientôt celle de la sanction que le roi pourrait donner ou

comme État continental, devant maintenir une grande armée, la liberté ne pourrait pas résister à la prépondérance que cette armée donnerait au roi. Les aristocrates ne s'apercevaient pas que cette objection se retournait contre eux : car, si le roi de France a, par la nature des choses, plus de moyens de force que le roi d'Angleterre, quel inconvénient y a-t-il à donner à son autorité au moins les mêmes limites?

>> Les argumens du parti populaire étaient plus spécieux, puisqu'il les appuyait sur ceux même de ses adversaires. L'armée de ligne, disait-il, assurant au roi de France plus de pouvoir qu'à celui d'Angleterre, il faut donc borner davantage sa prérogative, si l'on veut obtenir autant de liberté que les Anglais en possèdent. A cette objection M. Necker répondait que, dans un gouverncment représentatif, c'est-à-dire fondé sur des élections indépendantes, et maintenu par la liberté de la presse, l'opinion a tou-. jours tant de moyens de se former et de se montrer, qu'elle peut valoir une armée ; d'ailleurs l'établissement des gardes nationales était un contrepoids suffisant à l'esprit de corps des troupes de ligne, en supposant, ce qui n'est guère probable, que, dans un État où les officiers seraient choisis, non dans telle classe exclusivement, mais d'après leur mérite, l'armée ne se sentirait pas une partie de la nation, et ne ferait pas gloire d'en partager l'esprit.

» La chambre des pairs déplaisait aux deux partis : à l'un, comme réduisant la noblesse à cent ou cent cinquante familles dont les noms sont historiques; à l'autre, comme renouvelant les institutions héréditaires, contre lesquelles beaucoup de gens en France sont armés, parce que les priviléges et les prétentions des gentilshommes y ont blessé profondément la nation entière. M. Necker fit de vains efforts néanmoins pour prouver aux com

refuser aux lois. On présenta cette sanction sous la dénomination de véto, et l'on mit en discussion si ce véto devait être absolu ou seulement suspensif pendant deux législatures. Sur cette seule question, l'assemblée des groupes du Palais-Royal entra dans des mouvemens de rage convulsifs. Un rustre, nommé le marquis de Saint-Huruge, homme sans talens et sans courage, qui n'avait d'autre moyen qu'une voix de Stentor, une figure ignoble et le

munes que changer la noblesse conquérante en magistrature patricienne, c'était le seul moyen de détruire radicalement la féodalité; car il n'y a de vraiment détruit que ce qui est remplacé. Il essaya de démontrer aussi aux démocrates qu'il valait beaucoup mieux procéder à l'égalité en élevant le mérite au premier rang, qu'en cherchant inutilement à rabaisser les souvenirs historiques dont l'effet est indestructible. C'est un trésor idéal que ces souvenirs dont on peut tirer parti, en associant les hommes distingués à leur éclat. Nous sommes ce qu'étaient vos aïeux, disait un brave général français à un noble de l'ancien régime; et c'est pour cela qu'il faut une institution où les anciennes tiges des races se mêlent aux nouveaux rejetons: en établissant l'égalité par le mélange, on y arrive bien plus sûrement que par les tentatives de nivellement. Cette haute sagesse ne put cependant rien contre les passions dont l'amour-propre irrité était la cause. L'espoir d'une monarchie constitutionnelle fut donc de nouveau perdu pour la France, dans un temps où la nation ne s'était point encore souillée de grands crimes, et lorsqu'elle avait sa propre estime aussi-bien que celle de l'Europe. >>

Cet espoir n'était pas perdu sans retour puisqu'il s'est réalisé. Nous avons cru que le souvenir des obstacles qu'il éprouva, et les observations que ces obstacles ont fait naître dans l'esprit de madame de Staël, pouvaient offrir des rapprochemens curieux, et c'est par ce motif que nous avons cité cette femme célèbre.

(Note des nouv. édit.)

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