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était toujours resté bon pour sa famille, et cette vertueuse terreur d'avoir à porter dans un âge si jeune un fardeau si pesant. Des témoins oculaires m'ont retracé souvent le tableau qu'offrit Versailles le jour où le roi, touchant au terme de sa vie, avait rempli ses derniers devoirs de chrétien. C'était le soir; la famille royale et toute la cour étaient prosternées dans cette superbe et imposante chapelle du château. Le sacrement des autels était exposé on chantait les prières de quarante heures, et l'on demandait encore à Dieu la guérison du monarque expirant. Tout-à-coup, des nuages sombres voilèrent le ciel; la nuit sembla envelopper de ses ténèbres toute la chapelle; un premier coup de tonnerre se fit entendre. Bientôt le sifflement des orages, les torrens de pluie qui battaient contre les fenêtres; les éclairs qui, de minute en minute, faisaient pâlir les flambeaux allumés sur l'autel, et lançaient un jour terrible dans une obscurité lugubre; tantôt le roulement sourd, tantôt les éclats menaçans de la foudre qui semblait déchirer le voile du temple; les chants de l'église qui continuaient à travers la tempête; l'impression de la terreur dans toutes les voix comme sur tous les visages; le ciel tonnant quand on invoquait un Dieu miséricordieux ; cette guerre de tous les élémens, qu'il était impossible de ne pas associer par la pensée avec la destruction du plus puissant entre tous les hommes; la vue du jeune héritier, de sa jeune compagne, tous deux saisis, tous deux

fondant en larmes entre l'autel qu'ils imploraient en vain, le tombeau où ils voyaient descendre leur père, le trône où ils frémissaient de monter; enfin la sortie de la chapelle quand le service fut terminé, le recueillement, le silence profond au milieu duquel on n'entendait pas un son de voix, mais seulement des pas précipités, chacun s'empressant d'aller dans son intérieur respirer du poids dont il se sentait oppressé; cette scène que je crois avoir vue, tant elle m'a été vivement représentée sur le lieu, fut encore rangée entre les auspices menaçans sous lesquels allait s'ouvrir le nouveau règne (1).

(1) Il était de plus favorables auspices. Le matin même du jour où mourut Louis XV, et où le dauphin fut proclamé roi, il écrivit la lettre suivante à l'abbé Terray :

<< Monsieur le contrôleur-général, je vous prie de faire distri>> buer deux cent mille livres aux pauvres des paroisses de Paris, » pour prier pour le roi. Si vous trouvez que ce soit trop cher » vu les besoins de l'État, vous les retiendrez sur ma pension » et sur celle de madame la dauphine. » Signé Louis-Auguste.

« Quelque peu de foi qu'on ait aux augures, remarque la correspondance de Grimm, peut-on la refuser à celui-ci? Tout Paris en a été transporté et attendri jusqu'aux larmes. On a trouvé dans cette lettre, dont le style rappelle si bien celui de Henri IV, l'expression la plus sensible et la plus vive d'une piété vraiment filiale et d'une attention paternelle aux besoins du peuple. Un nouveau règne pouvait-il s'annoncer sous des auspices plus saints et plus heureux ? »>

Le trait qui suit, rapportent les Mémoires du temps, peint la bonté de Louis XVI. On assure qu'il a dit à Monsieur et à M. le comte d'Artois : Je ne veux pas que vous m'appelliez ni roi, ni majesté je perdrais trop en renonçant au titre de frère.

(Note des nouv. édit.)

Il était commencé. Tandis que Louis XVI, par une lettre touchante, appelait au secours de sa jeunesse l'expérience des années et celle des affaires; tandis qu'il annonçait aux peuples sa nouvelle puissance par un premier bienfait (1), la reine consignait toute la générosité de son caractère dans une réponse qui en rappelait une de ce roi, surnommé par les Français, le Père du Peuple. Le marquis de Pontécoulant, major des gardes-du-corps, avait eu, du vivant de Louis XV, le malheur de déplaire à la dauphine. Quoique l'objet ne fût pas bien grave en lui-même, la jeune princesse l'avait ressenti avec toute la vivacité de son âge, et avait été jusqu'à dire qu'elle ne l'ou

(1) La remise du tribut appelé le joyeux avénement. La reine se distingua par un acte semblable de générosité.

` Il existait encore chez les Français un usage antique et galant, dont les reines de France avaient désiré la conservation. A la mort du Roi, les Français payaient à la nouvelle reine un droit connu sous le nom de ceinture de la reine. Marie-Antoinette apprend que ce droit pèse sur les classes les plus infortunées ; que les privilégiés ont trouvé moyen de ne pas y contribuer; elle supplie le roi de s'opposer à sa perception. Cet acte généreux plaît à Louis XVI`; et l'universalité de la nation applaudit au désintéressement, à la bienfaisance de la jeune reine. La poésie devait conserver le souvenir de ce sacrifice. Le comte de Coutourelle se fit l'organe du peuple reconnaissant; il adressa à la reine le quatrain que nous citons :

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blierait jamais. Le marquis de Pontécoulant, qui n'avait pas oublié cette parole, ne vit pas plutôt Marie-Antoinette sur le trône, qu'il se crut menacé d'un désagrément, et résolut de le prévenir : il alla remettre sa démission entre les mains du prince de Bauveau, capitaine des gardes, lui expliquant avec franchise le motif de sa douloureuse démarche ; ajoutant qu'il serait au désespoir de quitter le service du roi, et qu'il se trouverait trop heureux si Sa Majesté voulait l'employer autrement. Le capitaine des gardes, qui voyait la douleur et connaissait le mérite du major, se charge de la démission; mais, avant de la présenter au roi, va chez la reine, lui expose l'amertume dans laquelle est plongé M. de Pontécoulant, l'utilité, l'ancienneté de ses services, et demande les ordres de la reine sur l'usage à faire de cette démission. La vue seule du prince de Bauveau eût inspiré une action généreuse, et Marie-Antoinette en avait le principe dans son propre cœur. « La reine, ré» pond-elle, ne se souvient point des querelles » de la dauphine, et c'est moi qui prie M. de >> Pontécoulant de ne plus songer à ce que j'ai ou» blié. »

Je cours d'année en année, et je choisis un fait entre cent, pour montrer la bienfaisance qui se perpétue.

L'hiver fut rigoureux en 1776, et le roi de son côté, et la reine du sien, allaient en secret

visiter les chaumières, réchauffer et nourrir les

indigens.

O princesse, dans qui la France
Sous les traits d'Hébé voit Pallas,
Heureuse par ta bienfaisance,
Les vrais plaisirs guident tes pas :
Ton bonheur est d'entendre dire :
<< Elle fait chérir son empire;
» Du peuple elle comble les vœux;
» Et, sensible à notre misère,
» Elle veut, imitant sa mère,
>> Être celle des malheureux. >>

Tout le monde répétait ces vers. Un hommage suivait un autre. Tous les sujets ramenaient à celui-là (1). Voltaire avait prié une dame du palais d'être sa protectrice auprès de la reine, pour obteLekain pût aller jouer Orosmane à Ferney.

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que

(1) Dans la foule des vers adressés à la reine pendant les premières années de son règne, on doit distinguer ceux qui lui furent présentés par le fils du fameux Arnaud Baculard. L'enfant n'avait alors que douze ans ; ses vers sont pleins de grâce dans leur

naïveté.

A mon papa souvent je demandais :
Quels sont donc ces divins objets

Dont tu vantes toujours la beauté souveraine;
La jeune Hébé, Flore à la douce haleine,

Diane, dont l'aspect ranime les forêts,

Vénus aux immortels attraits,

Les trois Grâces, l'enfant qui de fleurs les enchatne?

Sois sage, disait-il, et tu verras cela;

A la cour on te conduira

Aux pieds de notre auguste reine.....
Madame, vers vous on m'amène :

J'ai vu tous les dieux de papa.

(Note des nouv. édit.) 1

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