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rité égale à celle de son beau-frère, le marquis de La Fayette. Il se leva tout-à-coup, et motivant son opinion sur les troubles actuels, qui ne pouvaient être apaisés que par des sacrifices, il proposa l'abolition des droits féodaux personnels, et le rachat de tous les droits féodaux portant sur des terres. Cette proposition électrisa l'Assemblée; l'ivresse générale du moment tint lieu d'examen et de discussion. Ce fut alors à qui inventerait une nouvelle destruction. Nobles (1), évêques, archevêques, curés, chacun crut devoir, à l'envi, faire sur l'autel de la patrie le sacrifice du bien d'autrui.

La révolution avait fait cesser la perception de presque tous les impôts et notamment celle des entrées de Paris. Sur la demande du ministre, l'Assemblée décréta qu'il serait ouvert au Trésor royal un emprunt de trente millions. M. Necker pròposait d'accorder aux prêteurs un intérêt de cinq pour cent. Les députés, jaloux de donner une nouvelle preuve de leur zèle, voulurent que cet intérêt ne fûl que de quatre et demi. Les capitalistes ne partagèrent point l'avis des députés. M. Necker ne reçut rien, et il fut obligé de venir, quelques jours après, solliciter l'Assemblée de sanctionner un nouvel emprunt de quatre-vingts millions payables,

(1) Dans le nombre de ceux qui proposèrent les divers sacrifices de cette nuit, on compta huit ducs: le duc d'Orléans, le duc du Châtelet, le duc de Mortemart, le duc de Villequier, le duc d'Aumont, le duc de Castries, le duc de Liancourt et le duc de La Rochefoucauld.

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moitié en argent, moitié en papiers discrédités. L'Assemblée, étourdie des leçons que lui donnaient le ministre et les Parisiens (1), accorda à M. Necker sa demande de confiance. Mais, comme la confiance est impossible dans un pays où l'on tue impunément les personnes et où l'on pille les propriétés, le second emprunt ne réussit pas plus que le premier, et le Trésor royal restait à sec tandis qu'on achevait la déclaration des droits de l'homme et la promulgation de l'égalité.

Et comment le plus léger emprunt aurait-il pu se remplir, lorsque le ministre n'offrait aux prêteurs d'autre gage que la loyauté française représentée par une Assemblée dont toutes les opérations portaient l'empreinte de la déloyauté ? D’ailleurs tous les grands propriétaires frappés, ou menacés et à la veille de se disperser, avaient retiré leurs fonds de la circulation. Il sortait de France des sommes considérables, soit par l'émigration, soit par la nécessité de tirer des subsistances de l'étranger. Au milieu de l'anxiété universelle, le crédit n'existait plus; la plus grande partie des impositions ne se payait pas; les transactions journalières entre les individus étaient suspendues; cha

(1) Il parut à cette époque un écrit publié au nom des créanciers de l'État, dont le titre original indiquait déjà que l'Assemblée ne jouissait pas d'un respect absolu. Cet écrit était intitulé Sauveznous ou Sauvez-vous. Son objet était d'engager les députés à se laisser guider aveuglément par M. Necker sur tout ce qui était relatif aux finances.

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cun était privé d'une partie de ses revenus; la justice ne se rendait nulle part; on ne voyait partout que désordre et impunité : il était absurde d'imaginer que les capitalistes viendraient prêter leur argent à un gouvernement qui n'avait pas même la force de faire respecter les engagemens particuliers.

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Alors commença, pour la première fois, la querelle du ministère contre l'Assemblée nationale. Chacun de ces deux pouvoirs chercha à accuser l'autre des malheurs publics, et à l'en rendre responsable. Le garde-des-sceaux parut à la barre de l'Assemblée, et y fit une peinture vraie et effrayante de la situation du royaume. « On envoie, dit-il, la » terreur et les alarmes partout où l'on ne peut >> envoyer les déprédateurs ; la licence est sans » frein, les lois sont sans force, les tribunaux sans >> autorité : la désolation couvre une partie de la » France, l'effroi l'a saisie tout entière. » M. Necker, irrité du mauvais succès de ses emprunts, apporta son ultimatum à l'Assemblée nationale. Il déplora, dans un discours très-long, l'état affreux où les précipitations et les lenteurs de l'Assemblée nationale plongeaient la France; précipitations de l'enthousiasme et de la peur quand il s'agissait d'attaquer l'autorité royale et d'exterminer partout le gouvernement; lenteurs et longues délibérations lorsqu'il fallait promptement rétablir l'ordre.

Il termina son discours en proposant diverses économies et réformes dans la maison du roi et des

princes, dans les traitemens, dans les pensions; une répartition égale des impositions sur les terres; l'érection de la caisse d'escompte en banque nationale, afin d'avoir du papier-monnaie; enfin une contribution volontaire du quart du revenu, avec l'invitation de porter la vaisselle plate et les bijoux aux hôtels des monnaies. Il accompagna ces propositions du don de cent mille francs qu'il déposa en billets de caisse sur le bureau du président, en déclarant que cette somme excédait le quart de

son revenu.

Leurs Majestés avaient déjà donné l'exemple des sacrifices en envoyant leur argenterie à la Monnaie. « Le roi, disait alors Barrère dans sa feuille du » Point du jour, le roi, dédaignant un faste inu» tile à sa grandeur, a envoyé à la Monnaie toute >> son argenterie et celle de la reine. Le même trait » honora la vie de Louis XIV, mais c'était pour » les frais de la guerre qui désolait l'Europe. >> Louis XVI veut s'en servir pour assurer les bases » de la liberté qui doit régénérer ses peuples. »

L'Assemblée partagea la sensibilité de Barrère sur les sacrifices du roi, et crut qu'elle devait inviter Sa Majesté de s'en abstenir. Mirabeau vit la chose en véritable homme d'État, et dit : « Je ne » m'apitoie pas aisément sur la faïence des grands » et la vaisselle des rois, mais je pense comme les >> préopinans par une raison différente, c'est qu'on >> ne porte pas un plat d'argent à la Monnaie, qu'il >> ne soit aussitôt en circulation à Londres. >>

L'Assemblée nationale envoya à Sa Majesté une députation qui la pria de garder sa vaisselle. Mais ce prince répondit que, « ni la reine ni lui n'attachaient d'importance à ce sacrifice, et qu'ils y persistaient.» Cette réponse reçut les applaudissemens les plus vifs. « Quand la justice et la pro»bité sont sur le trône, écrivait à cette occasion » Barrère, toutes les vertus règnent avec elles. »

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Cependant cette imposition du quart du revenu, qui devait combler le déficit de l'année, ne rapporta que quatre-vingt-dix millions dans l'espace de trois ans. En vain des femmes d'artistes vinrent apporter leurs bijoux dans l'espèce de lombard qui avait été ouvert à la porte de l'Assemblée, en vain des députés, détachant patriotiquement leur chaussure, invitèrent à faire à la nation le don de toutes les boucles de souliers en argent; ni la vaisselle ni les bijoux offerts ne se montèrent jamais à quatre millions. La place que j'occupais au contrôle général, me permit de prendre connaissance du résultat de cette contribution. Elle ne s'éleva pas au delà des sommes que je viens de mentionner. Les autres propositions de M. Necker, renvoyées au comité des finances, furent approuvées de confiance, mais ne reçurent jamais d'exécution. Mirabeau accabla encore à cette occasion son rival de

ce mépris sardonique dont personne ne sut jamais faire un aussi cruel usage que lui.

Le mois de septembre se passa à discuter le projet de constitution que présenta le comité qui avait

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