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que

le roi venait de faire, que la paix aurait dû être rétablie ; que le peuple rassuré aurait dû retourner à ses occupations paisibles; et que l'Assemblée nationale ne devait plus avoir qu'à travailler tranquillement à rédiger une constitution, puisque c'était la folie du temps.

Mais les chefs d'un club secret et perfide qui voulait déplacer le chef de l'État et le remplacer par un lieutenant-général du royaume, en ordonnèrent autrement. Ce club exerçait par ses agens une influence continue sur les opérations de la nouvelle municipalité de Paris, sur celles de l'Assemblée nationale, sur les clubs des diverses autres factions et sur les motionnaires des districts et du Palais-Royal ses émissaires se répandaient partout; on versait l'or à pleines mains; il en coûta des sommes d'argent prodigieuses; et le fait est facile à prouver, car on poussa l'effronterie jusqu'à présenter publiquement à la Bourse des billets à escompter, portant la signature du duc d'Orléans et souscrits à l'ordre de ses partisans. Ceux qui pensaient de bonne foi ne travailler qu'à l'établissement d'une liberté raisonnable, se trouvèrent servir indirectement les projets de cette faction, en prêtant les mains à la destruction de tout l'ancien édifice de la monarchie.

L'autorité royale se trouva paralysée partout à la fois. Chaque paroisse eut sa municipalité et sa garde nationale particulière, indépendantes les unes des autres. Il se forma ainsi, tout d'un coup,

dans le sein d'une vaste monarchie, quarantequatre mille républiques.

La municipalité de Paris, organisée la première, exerça d'abord une espèce de suprématie sur les municipalités voisines. Elle s'était emparée des finances de l'État ; elle puisait librement au Trésor public, pour les dépenses, sans cesse renaissantes, auxquelles l'anarchie la forçait de fournir; chaque jour, à la veille de voir manquer l'approvisionnement de Paris, elle envoyait enlever à main armée les subsistances des villages et des bourgs voisins. Ses expéditions ne réussirent pas toujours; ses envoyés furent souvent maltraités, et les craintes que la populace lui inspirait firent plus d'une fois repentir les membres de cette république de l'avidité avec laquelle ils avaient saisi les rênes du gouvernement.

M. Necker revint à Versailles au milieu de cette combustion générale. Il fut témoin en route des incendies qui consumaient les châteaux dans la Bourgogne et la Franche-Comté, et des dévastations de tout genre qui se commettaient impunément à la honte et au scandale de la France. Il n'y avait plus de gouvernement dans toute sa vaste étendue; la dernière trace en était effacée. On observa un jour au roi que l'Assemblée nationale avait tous les pouvoirs, et qu'elle ne lui en laissait qu'une vaine représentation; il répondit : "Tant mieux, mille fois tant mieux; que le >> crédit et la puissance de l'Assemblée nationale

>> augmentent à mes dépens, pourvu qu'elle s'en » serve pour le bonheur du peuple. » Toujours le bonheur du peuple l'emporta dans sa pensée sur le soin de la conservation de son autorité qui, pourtant, était le seul garant de ce bonheur ! L'Assemblée nationale, incapable d'opposer une digue aux fureurs populaires, crut que la présence de M. Necker à Paris opérerait comme un charme magique, et remédierait subitement à tous les maux. Les beaux esprits de la capitale, fidèles au caractère national, ne perdaient pas l'occasion de faire une plaisanterie au milieu des plus horribles scènes : ils disaient que la cour et l'Assemblée nationale avaient voulu opposer ce ministre aux fureurs du peuple, comme en certains pays on exposait encore des reliques pour arrêter les incendies et les inondations.

que

Le retour de ce ministre à Paris ressembla à une entrée triomphale. Ce fut une parodie de celle le roi y avait faite quelques jours auparavant. On observa que le monarque n'avait entendu à l'Hôtel-de-Ville, que des cris vive la nation! et que le ministre n'entendit que des cris vive M. Necker! qu'on n'avait offert qu'une cocarde au monarque, et qu'on avait décerné une statue à son ministre ! La vanité de M. Necker fut à son comble, à l'aspect de l'ivresse populaire qu'il fit naître. Il se crut alors le législateur suprême et le gouverneur à vie de cette pauvre France qu'il avait charitablement adoptée pour sa patrie, à condition

pas àt

qu'il l'administrerait à son gré. Il ne tarda s'apercevoir que c'est une funeste erreur que de vouloir gouverner les États dans les temps de troubles et de malheur, et que le crédit de l'homme le plus vénéré est alors sujet à tomber.

On avait recomposé un ministère des élémens les plus populaires qu'il eût été possible de réunir. M. de Montmorin avait été replacé aux affaires étrangères, et M. de La Luzerne au ministère de la marine. M. Necker reprit le timon des affaires et la direction du Conseil. Il fit donner le département de l'intérieur, qui s'appelait alors le ministère de Paris, à M. de Saint-Priest, son ami. Deux membres de l'Assemblée nationale, qui avaient une grande réputation comme administrateurs, furent choisis pour compléter la formation du Conseil. L'archevêque de Bordeaux, Champion de Cicé, fut nommé garde-des-sceaux, et le comte de La Tour-du-Pin eut le ministère de la guerre. Malheureusement pour M. Necker, dans cet hommage rendu à l'Assemblée nationale, il oublia ou dédaigna de comprendre Mirabeau, dont l'ambi→ tion suprême était d'entrer dans un ministère par fas et nefas, et dès lors commença à exister cette rivalité et cette haine contre lui Mirabeau conserva jusqu'à la mort.

que

L'Assemblée nationale était alors dans la situation la plus brillante; tous les pouvoirs étaient entre ses mains : les Cours souveraines avaient déposé à ses pieds le tribut de leurs hommages et de

leurs respects: les félicitations et les adhésions lui arrivaient de toutes les parties de la France, mais elle avait à ses portes cette capitale violente dont elle s'était servie pour renverser le trône. Elle avait changé un souverain débonnaire et juste pour un despote farouche et ombrageux, et toujours plus disposé à user de sa force que de ses droits.

Pour plaire à ce peuple de rois dont la turbulence ne l'inquiétait pas médiocrement, elle annonça qu'avant de se livrer au travail de la constitution, elle allait proclamer une déclaration des droits de l'homme; ce qui fit dire qu'au lieu de donner un livre utile, elle allait s'amuser à faire une préface dangereuse.

. Comme cette déclaration ne contenait que des propositions métaphysiques et sans substance, que le peuple s'ennuyait d'entendre discuter depuis quinze jours, l'Assemblée nationale, brûlant de signaler son zèlé, se leva enfin en masse dans la seance du soir du 4 août. Le feu prit à toutes les têtes, sur une proposition inatten lue que fit le vicomte de Noailles (1), jeune militaire, ambitieux de paraître, et jaloux d'obtenir une popula

(1) L'enthousiasme de M. le vicomte de Noailles était à un si haut degré qu'il croyait que la France seule jouissait de la liberté. S'entretenant, quelque temps après la prise de la Bastille, de cet événement avec M. le duc de Dorset, il lui dit : Savez-vous bien, » milord, que de cette affaire votre pays pourrait bien devenir » libre aussi? » Ce mot est rapporté dans la Correspondance de Grimm (juillet 1789). (Note des nouv. édit.)

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