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on était sûr l'attendait, et escorta ses voitures, qui furent en outre accompagnées par deux pièces de canon jusqu'à une certaine distance. M. le prince de Condé partit de Chantilly, et faillit d'être précipité dans l'Oise à Pont-Sainte-Maxence, petite ville du bailliage de Crépy en Valois, dont le duc d'Orléans était seigneur. Des hommes envoyés de Paris étaient accourus à bride abattue sur le passage du prince, et avaient fait soulever tous les paysans des environs. Heureusement les voitures, attelées des plus vigoureux chevaux, avaient dépassé Sainte-Maxence avant que ces bandes de furieux ne fussent arrivées, et il ne leur fut pas possible de les atteindre.

M. le maréchal de Castries fut aussi du nombre de ceux qui furent obligés de quitter la capitale à cette époque. Ainsi la France se vit privée, le même jour et à la même heure, de presque tous les princes du sang, et de trois généraux qui, par des victoires et des actions brillantes, avaient soutenu l'honneur des armes françaises dans la guerre de sept ans. Telle était la récompense qu'ils obtenaient après trente ans de gloire!

L'amitié devait, ainsi que l'honneur, éprouver ses pertes. La reine était instruite de toutes les motions qui étaient faites au Palais-Royal, nonseulement contre elle, mais encore contre toutes les personnes qu'elle honorait de son attachement et de sa confiance intime. Le 16 juillet, à huit heures du soir, elle envoya chercher le duc et la

duchesse de Polignac (1) et les conjura de partir dans la nuit même.

Cette prière, qui devenait un ordre pour ces fidèles serviteurs du roi et de la reine, occasiona un vif combat de sensibilité entre ces augustes et malheureux amis. M. et madame de Polignac ne voyaient point leurs propres dangers; ils ne voyaient que ceux que courait la famille royale et les enfans précieux dont ils devaient laisser le dépôt. Ils voulaient absolument rester; mais la reine, qui connaissait le prix des instans, fut inébranlable, et leur dit en fondant en larmes les paroles suivantes que j'ai copiées sous la dictée de madame de Polignac elle-même : « Le roi va demain à Paris; si on lui >> demandait..... Je crains tout au nom de notre >> amitié, partez.... Il est encore temps de vous >> soustraire à la fureur de mes ennemis; en vous >> attaquant, c'est bien plus à moi qu'on en veut, » qu'à vous-mêmes. Ne soyez pas la victime de >> votre attachement et de mon amitié. » Le roi

(1) Je fus souvent témoin des motions atroces qui se faisaient au sujet de la duchesse de Polignac; mais ce qu'on aura peine à croire, c'est que cette dame avait déjà été dénoncée en public au Théâtre-Français, par un vil bouffon nommé Dugazon, qui avait été comblé de bontés et de présens par la reine et son amie. J'entendis un jour cet histrion, jouant le rôle de Lucas dans la Partie de chasse de Henri IV, par Collé, faire la parodie d'un passage de son rôle où il était question d'une favorite de la reine Marie de Médicis, et changer le nom de la signora Léonora Galigaï en celui de la signora Polignaqui, et le parterre applaudir à cette indécente

et insolente bouffonnerie !...

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entra dans cet instant, et la reine lui dit : «< Venez » m'aider à persuader à ces honnêtes gens, à ces fi»dèles amis, qu'ils doivent nous quitter. » Le roi, s'approchant du duc et de la duchesse de Polignac, les assura que le conseil de la reine était le seul à suivre. Il ajouta ces mots : « Mon cruel destin me » force d'éloigner de moi tous ceux que j'estime » et que j'aime je viens d'ordonner au comte » d'Artois de partir ; je vous donne le même ordre. Plaignez-moi, mais ne perdez pas un seul mo›› ment; emmenez votre famille; comptez sur moi >> dans tous les temps; je vous conserve vos charges.» Le roi ne put retenir ses larmes en se séparant de M. et de madame de Polignac. Pour Marie-Antoinette, la situation où elle se trouvait en ce moment est impossible à décrire. Elle se voyait nécessairement délaissée de tout ce qui avait formé jadis sa société intime; son époux devait le lendemain se présenter à une foule exaspérée, et tenter de calmer la rébellion par sa présence : le résultat de son voyage ne pouvait pas se prévoir. Accablée de peines de toute espèce, la reine recueillit ses forces et envoya à minuit le billet suivant à la duchesse de Polignac. <«< Adieu, la plus tendre des amies! que >>ce mot est affreux! mais il est nécessaire. Adieu! je n'ai que la force de vous embrasser. >>

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M. et madame de Polignac, leur sœur, madame la comtesse Diane de Polignac, et leur fille, madame la duchesse de Guiche, prirent la route de Bâle où ils arrivèrent en trois jours, non sans avoir

couru les plus grands risques. Ils y trouvèrent M. Necker qui de Bruxelles s'était rendu en Suisse, et ils lui racontèrent les premiers les événemens de ces funestes journées.

Les meurtres qui eurent lieu à Paris quelques jours après le 17 juillet, lorsqu'on avait lieu d'espérer que tous les mouvemens étaient calmés, ne justifieraient que trop ce commencement de l'émigration qui bientôt devint générale, parce que la proscription devint universelle. On forçait par toutes sortes d'attentats la fuite des amis du roi ; et lorsque les victimes échappaient aux fureurs de la populace, on les taxait de lâcheté et d'égoïsme on versait l'opprobre sur ceux dont on ne pouvait verser le sang.

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Le 17 juin, le tiers-état, en se déclarant Assemblée nationale, avait porté le premier coup à l'organisation du royaume. Le 17 juillet, le roi confirma ce nouvel ordre de choses en allant à Paris.

Je me mêlai au petit cortége qui suivait le roi en sortant de Versailles. Je vis ce prince, en arrivant à la barrière de la Conférence, obligé de congédier le peu de gardes-du-corps qui l'avaient accompagné, et marcher entouré de ces mêmes soldats rebelles qui, peu de jours auparavant, étaient ses gardes-françaises, et précédé des canons qui avaient été enlevés aux Invalides et à la Bastille. Ces trophées de l'insurrection étaient même tournés contre la voiture du roi, et semblaient le me

nacer.

J'entendis un coup de fusil qui partit non loin de la voiture du roi, et qui alla frapper mortellement une pauvre femme. Que ces accidens arrivassent par imprudence ou par l'effet de quelque intention perverse, la situation du roi n'en était pas moins périlleuse et alarmante (1).

Le corps électoral de Paris, qui avait envoyé à la barrière une députation nombreuse pour recevoir Sa Majesté, eut l'insolence de faire proposer aux habitans de Versailles qui avaient suivi le roi, de leur donner huit bourgeois de Paris pour otages, comme si le roi n'avait appartenu qu'à Versailles, et comme si huit bourgeois inconnus pouvaient représenter le chef auguste de la nation. Mais un délire général s'était alors emparé des têtes des habitans de Paris.

Ce ne fut que sur les neuf heures du soir que le roi eut la faculé de retourner à Versailles, et de prendre quelque repos et quelques rafraîchissemens. Sa présence dissipa les inquiétudes de la reine. On peut se figurer combien cette journée fut cruelle pour Marie-Antoinette. Des courriers, apostés par ses ordres, se succédaient d'heure en heure pour lui porter des nouvelles de son époux.

Il aurait semblé, après l'acte de condescendance

(1) Le roi avait permis à quatre seigneurs de l'accompagner. C'étaient le maréchal de Beauveau, le duc de Villeroi, le duc de Villequier et le comte d'Estaing.

W.

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