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Dès son entrée aux états, on le vit annoncer l'envie d'y jouer un grand rôle, l'ambition de faire du bruit, et les plus sinistres projets. Le jour de l'ouverture, en considérant le roi qui portait sur ses habits plusieurs diamans de la couronne, on l'entendit dire à ses voisins: Voilà la victime (1). Né avec un caractère impétueux et des passions extrêmement ardentes, il eut une jeunesse remplie d'orages de toute espèce : « Il fut toute sa vie, dit M. de Laharpe,

>> des Gracques; mais, avant d'expirer, il lança de la poussière » vers le ciel, en attestant les dieux vengeurs ; et de cette pous» sière naquit Marius ! Marius, moins grand pour avoir exterminé » les Cimbres, que pour avoir anéanti, dans Rome, l'aristocratie » de la noblesse. » De ce moment il acquit une grande popularité. Il sut profiter avec habileté de son ascendant pour apaiser des troubles. La multitude le porta même en triomphe, et les deux villes d'Aix et de Marseille le proclamèrent député; il opta pour la première. S'il s'était établi marchand de draps, il ne se serait point présenté à l'assemblée de la noblesse qui l'aurait regardé comme ayant dérogé. Prendre cette enseigne c'était déclarer positivement, dans les idées du temps, qu'il renonçait à la noblesse, et qu'il ne faisait plus partie de cet ordre. Or, il est certain qu'il se présenta lors de la réunion des gentilshommes du bailliage d'Aix. Il est probable que le refus qu'on fit de le recevoir n'eut pas, sur le parti qu'il prit ensuite, une médiocre influence. (Note des nouv. édit.)

(1) Foilà la victime. Il est douteux que ce mot, attribué par l'auteur au comte de Mirabeau, ait réellement été prononcé par cet orateur. Il ne se trouve que dans les Mémoires de Weber : aucun historien, aucun journaliste n'en fait mention. Il blesse toutes les vraisemblances dans la circonstance où l'auteur suppose qu'il fut prononcé. C'était à l'ouverture des états-généraux. Le roi n'y parut point comme une victime, et l'on ne pouvait prévoir qu'il serait un jour immolé. Mirabeau lui-même n'était pas encore dans une situation qui lui permît beaucoup d'assurance. Quand la députation de Provence, dont il faisait partie, fut introduite, elle

» le plus immoral des hommes: mauvais fils (1), >> exécrable mari, amant brutal, maître impérieux;

était, comme on vient de le voir dans la note de la page 327, précédée de la députation du Dauphiné qu'on avait couverte d'applau dissemens. Quelques personnes se préparaient à lui faire le même accueil, lorsqu'elles furent arrêtées, ainsi que nous l'avons remarqué plus haut, par un murmure désapprobateur, dont l'application personnelle ne put échapper à la sagacité de M. le comte de Mirabeau. Plus tard, le même propos, sans rien perdre de ce qu'il d'inconvenant ou d'odieux, eût au moins été plus vraisemblable. (Note des nouv. édit.)

(1) Laharpe, souvent si passionné, ne laisse à Mirabeau rien de recommandable. L'Ami des hommes fut peut-être plus mauvais père, et il serait de toute justice d'examiner l'influence que durent nécessairement avoir sur le fils l'exemple et la conduite du père plaidant contre sa femme. Du reste, Laharpe ne faisait pas grand cas du marquis, et nous croyons devoir rapporter son jugement sur cet économiste : jugement qui d'ailleurs peut servir de correctif à celui dont le comte est l'objet. « L'exagération en tout, dit La>> harpe, a été une des maladies du siècle, et ce fut celle des écri>> vains économistes, particuli 'rement du marquis de Mirabeau » dont le nom est à peu près oublié dans l'histoire des lettres, » tandis que celui de son fils appartiendra toujours à l'histoire de » France. Le père fit pourtant beaucoup de bruit dans son temps, » comme bien d'autres. Ce Mirabeau l'économiste n'avait de >> l'imagination méridionale que le degré d'exaltation qui touche à » la folie. Il se faisait l'avocat du paysan dans ses livres, et le tour>> mentait dans ses domaines par ses prétentions seigneuriales dont >> il était extrêmement jaloux. Il le fut encore plus de son fils, » dont il haïssait la supériorité bien plus que les vices, et dont il » aigrit le caractère par des persécutions haineuses et continuelles. » On sait d'ailleurs que cet ami des hommes ne faisait apparem>>ment pas entrer sa famille en ligne de compte: car il fut toute » sa vie en procès avec elle, et obtint contre tous ses proches >> quantité de lettres-de-cachet.» (Cours de littérature.) M. Weber aurait dû citer ce passage. (Note des nouv. édit. )`

» son caractère tantôt lâche, tantôt sévère, n'avait » pas même de fixité; son sentiment prédominant » fut l'orgueil; son tempérament fut irascible au >> plus haut point; et ce fut souvent à ces deux » causes que l'on dut les lueurs de patriotisme » qu'il fit éclater dans quelques circonstances épi» neuses et qui lui valurent tant de célébrité. On » les dut aussi à son goût pour l'intrigue, surtout » à ses besoins pécuniaires; de sorte que ces éclairs » brillans de génie, ces expressions de sentiment >> qui auraient honoré l'homme le plus vertueux » n'étaient pour ce profond machiavéliste qu'une » marchandise. Cet homme vigoureux mais cor» rompu n'avait point de secret, car il n'avait au>> cun système ; mais il servait son intérêt et son » orgueil aux dépens de tous les partis. Tantôt plé» béien, tantôt patricien, tantôt républicain, tantôt despote, il voulait se placer entre tous les événe» mens pour profiter de ceux qui prévaudraient. » Marie-Antoinette avait prévu tous les dangers qu'un caractère semblable, revêtu d'un pouvoir populaire, devait faire courir à la monarchie et à la personne du monarque. Elle savait que Mirabeau, couvert de dettes et avide de célébrité, voulait de l'argent et des places. Elle insista auprès des ministres pour qu'on éloignât ce turbulent démagogue en acquittant ses dettes et en lui donnant l'ambassade de Constantinople ou celle de Philadelphie. Malheureusement M. Necker crut pouvoir lutter corps à corps contre Mirabeau. Il crut qu'une pe

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tite faction de beaux esprits et de banquiers attachés à sa fortune et combinés avec lui, pouvait contrebalancer les talens et l'activité de cet homme infatigable, et qu'elle contiendrait facilement, au nom de la morale publique, les mouvemens populaires à la tête desquels il se mettrait. La suite des événemens prouva que Marie-Antoinette avait mieux jugé que le ministre du roi le caractère de ce représentant du peuple.

Mirabeau cherchait des hommes qui voulussent le seconder dans ses projets séditieux. Il se lia naturellement avec le duc d'Orléans. Aussi avides de vengeance, non moins dévorés d'ambition l'un que l'autre, le crime et l'intérêt les eurent bientôt réunis. Ils prirent si peu de peine pour cacher leurs liaisons , que l'on vit négocier publiquement alors sur la bourse de Paris, les billets à ordre que le duc d'Orléans souscrivait à Mirabeau, lorsque l'épuisement du trésor de ce prince le réduisait à faire usage de son crédit.

Marie-Antoinette n'ignorait aucune de ces manœuvres. Elle prévoyait bien quel serait un jour son sort et celui de son époux ; mais elle ne voulut point séparer ses intérêts de ceux du roi, ni abandonner le monarque. Son auguste frère l'empereur Joseph, Sa Majesté la reine de Naples, la firent solliciter en vain de quitter la France pendant la révolution, et de venir à leurs cours jouir de la tranquillité qu'elle ne pouvait plus espérer en France Marie-Antoinette refusa leurs offres, et

se dévoua entièrement à son époux et à ses enfans. Elle ne voulut pas les perdre de vue un instant, malgré les orages au milieu desquels elle était placée. «< Mon devoir, disait-elle, est de rester fer» mement au poste où la Providence m'a placée, » et d'opposer mon corps, s'il le faut s'il le faut, aux poi>> gnards des assassins qui voudraient arriver jus» qu'au roi. >>

Les états-généraux s'étaient divisés dès leurs premières séances. Les deux premiers ordres voulaient que les pouvoirs de chaque député fussent vérifiés dans la chambre à laquelle il appartenait, et le tiers prétendait qu'on devait faire cette vérification en commun. Tant que cette querelle dura, Louis XVI fit ses efforts pour tout concilier. « C'est en main>> tenant l'harmonie, leur écrivait-il, que les états» généraux peuvent acquérir l'activité nécessaire » pour opérer le bonheur général. >> Il répondit au tiers-état, qui se plaignait des distinctions accordées au clergé et à la noblesse : « Tous les ordres » de l'État ont un droit égal à mes bontés. »

Le tiers-état s'intitula de suite les communes. Il ne voulut pas même laisser soupçonner qu'il se regardât comme un ordre constitué à part; un moyen sûr de lui déplaire, aurait été de se servir, en parlant de lui, de l'ancienne dénomination de tiers-état.

La noblesse, avec des intérêts différens, suivait une marche opposée; elle se déclara constituée le 11 mai, après avoir vérifié ses pouvoirs. Le clergé

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