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de janvier 1804 (1). Est-ce là une affection ordinaire? Sont-ce des liaisons suspectes que celles qui se prolongent ainsi au-delà du tombeau, et font du dévouement et de la reconnaissance une substitution inaliénable?

On m'objectera peut-être que j'anticipe ici sur les événemens, que je mêle les époques. Mais je m'apprête à parler des malheurs de Marie-Antoinette, et, tandis que j'écris, de nouveaux malheurs se présentent à mon imagination. Marie-Antoinette éprouve une seconde mort dans les coups qui frappent encore à présent ses amis. Il est naturel que mes sentimens et mes souvenirs se confondent; que les dates, les époques se brouillent devant mes yeux affaiblis par les larmes que j'ai répandues, noyés dans celles que je répands encore tous les jours.

Le roi, qui avait conçu le même attachement que la reine pour la famille de Polignac, approuva l'idée que cette princesse lui suggéra de donner au comte Jules le titre de duc héréditaire. « C'était » disait la reine, un moyen de prouver au public >> l'estime qu'il leur avait inspirée, et celui d'assu»rer en partie le bonheur de ses enfans. » Ce fut avec la manière séduisante qui n'appartenait qu'à elle seule, que la reine apprit au comte Jules de Polignac cette nouvelle grâce.

(1) MM. Armand et Jules de Polignac sont tous deux pairs de France. (Note des nouv. édit.)

La princesse de Rohan-Guémenée ayant quitté la charge de gouvernante des enfans de France, la reine voulut la confier à l'amitié. Madame de Polignac tremblait d'accepter cet emploi important; elle n'ignorait pas combien de rivales, des premiè res maisons de France, l'enviaient, et conséquemment à combien de jalousies elle serait en butte; mais la reconnaissance qu'elle devait à la reine, et le dévouement qu'elle lui avait juré lui firent une loi d'accepter. La faible santé du dauphin qui n'avait alors qu'un an, rendait les devoirs de la nouvelle gouvernante très-pénibles. Elle tremblait à chaque instant pour les jours de ce précieux rejeton qui faisait le bonheur de la reine et l'espoir de la France. Trois années après sa nomination, la naissance d'un second prince, et bientôt après, celle d'une seconde princesse, vinrent ajouter à ses fatigues.

Leurs Majestés voulurent que la duchesse de Polignac tint un état digne de la charge dont elle avait été revêtue, et que tous les étrangers de distinction, et toute la noblesse de la cour fussent admis chez elle. La reine désirait aussi qu'il y eût des jours où la société, moins nombreuse et choisie par elle, lui fit passer des momens plus doux et plus tranquilles. C'est là qu'elle disait comme Henri IV: Je ne suis plus la reine, je suis moi. Quel mot dans la bouche d'une souveraine (1)!

(1) Nous avons déjà remarqué combien la reine aimait à fuir la grandeur royale, pour goûter le charme de la vie privée : ce pen

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Il est de mon devoir de citer et réfuter ici quelques-unes des causes de l'acharnement subit qui se manifesta à la cour et à la ville contre l'infortunée Marie-Antoinette.

Peu de temps après la conclusion de la guerre, lorsque la France victorieuse, pacifiée, agrandie, paraissait avoir atteint le plus haut degré de prospérité, la reine crut pouvoir demander l'exécution d'un des articles de son contrat de mariage, dans lequel il était stipulé qu'il lui serait formé un établissement particulier. Toutes les reines de France qui l'avaient précédée, en avaient eu un semblable, et le sentiment des convenances en indique assez la nécessité pour que je n'aie pas besoin de parler ici ni de la construction du palais du Luxembourg où Marie de Médicis fixa sa résidence après la mort de Henri IV, ni des acquisitions de domaines et de palais particuliers par plusieurs autres souveraines. La reine de France jeta les yeux sur le château de Saint-Cloud qui appartenait à la maison d'Orléans, pour en faire l'acquisition. La salubrité de l'air de ce beau lieu, si essentielle à la santé des précieux gages qu'elle avait donnés à l'État, sa position charmante entre Paris et Versailles, l'habitude qui en avait fait une espèce de jardin public pour les Parisiens, le plaisir de s'y trouver, aux jours de fête où la foule s'y réunissait, au milieu de ses sujets, comme une mère au milieu de sa famille chérie, déterminèrent la préférence que Marie-Antoinette donna à Saint-Cloud pour en

faire son habitation. Cependant elle voulut savoir, avant de conclure cette acquisition, si l'état des finances le permettait. Comment pourrait-on croire qu'il eût été possible à la reine d'être en garde contre les assurances séductrices d'un ministre qui, au peu de demandes qu'elle lui faisait, lui répondait toujours d'une manière si délicate et si aimable: « Si ce que Votre Majesté désire est possible, c'est >> fait; si c'est impossible, cela se fera (1). » Était-ce à Marie-Antoinette à contester les assertions du ministre des finances, et à vérifier alors s'il existait ou non un déficit ?

L'acquisition de Saint-Cloud fut conclue pour six millions de livres tournois. Les réparations qu'il fallut faire au château, l'ameublement dont il fut nécessaire de le décorer pour le rendre digne de recevoir la famille royale de France, augmentèrent à la vérité le prix de cette acquisition; cependant Saint-Cloud fut moins meublé avec magnificence qu'avec goût, et si j'avais besoin d'en fournir une preuve, il me suffirait de dire que cet ameublement n'a pas été trouvé assez splendide par ceux qui, depuis, se sont emparés de cette résidence royale.

Je me rappellerai toujours combien le public qui se portait en foule dans ces jardins enchantés, tous les dimanches au soir, était heureux lorsque la reine et ses enfans s'y promenaient en calèche

(1) M. de Calonne.

au milieu des acclamations et des bénédictions générales (1). Alors Saint-Cloud présentait l'image d'une grande réunion de famille; aucune espèce d'inquiétude n'en écartait les curieux; les appartemens, les jardins, le cœur de ses augustes habitans, tout était ouvert aux Français.

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(1) La reine aimait beaucoup les jardins : les embellissemens de Trianon, le choix de Saint-Cloud prouvent assez combien elle était sensible aux charmes d'un site agréable, aux beautés d'un riant paysage. Le parc d'Ermenonville devait à l'aspect des lieux, au goût de son propriétaire, aux souvenirs du grand homme qui l'avait habité quelque temps, une célébrité qu'il conserve encore aujourd'hui : Marie-Antoinette désira le visiter. La Correspondance de Grimm rend compte en ces mots du séjour qu'y fit la reine « La reine a été voir ces jours passés les jardins d'Ermenonville, accompagnée de toute la cour, excepté le roi. On a su qu'elle s'était arrêtée assez long-temps dans l'île des Peupliers, dans cette île bienheureuse où reposent les cendres de Jean-Jacques, et l'on aurait bien voulu se persuader (ce n'est pourtant pas à l'Académie) que la dévotion à la mémoire du saint philosophe avait été le principal objet de l'auguste pèlerinage. Mais tant de gloire ne paraît pas avoir été réservée à ses paisibles mânes. On a considéré le tombeau, on en a trouvé l'architecture simple et de bon goût, le site des lieux qui l'entourent d'une mélancolie douce et romanesque, et l'on a paru s'occuper ensuite d'autres objets, sans avoir marqué aucune espèce d'intérêt pour le souvenir de l'homme auquel ce monument a été érigé. Que de haines et de jalousies ce silence a consolées ! >>

La jalousie et la haine de Grimm n'étaient sans doute pas les moins consolées de toutes. Avant toutefois de chercher dans cette indifférence, apparente ou réelle, un motif de consolation et de joie, les ennemis de Jean-Jacques auraient dû réfléchir un peu sur la position où se trouvait Marie-Antoinette. Même en considérant plusieurs des opinions de Rousseau comme des erreurs, il était impossible qu'une princesse dont l'imagination était si vive, le

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