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ceux par lesquels on travailla dans ces dernières années à avilir la noblesse et le clergé, protecteurs naturels des pauvres, mais protecteurs délicats et silencieux, et cela, en lui présentant dans les soins d'une famille protestante et appartenant au tiersétat, plus d'intelligence et de générosité que dans les premières familles du royaume. Détestable hypocrisie que celle qui cache ainsi l'ambition et la vanité, sous les dehors d'une fausse humanité et d'une fausse philanthropie !

M. Necker n'avait été appelé au ministère que pour faire disparaître les embarras de finance sous lesquels avait succombé l'archevêque de Sens; mais il profita de l'engouement que les Parisiens lui témoignaient, pour prétendre devenir le chef et l'arbitre du Conseil du roi, dont jadis M. de Vergennes et M. de Maurepas lui avaient fermé l'entrée. Il abandonna sur-le-champ à un commis l'objet pour lequel on l'avait appelé; et tandis que M. Dufresne négociait quelques rescriptions avec les banquiers de Paris pour alimenter le Trésor royal, M. Necker fit évoquer à lui toutes les affaires relatives à la formation des états-généraux et à la réformation de l'État; en sorte, a-t-on déjà dit quelque part, qu'il parut très-plaisant aux esprits sains et paisibles, qu'un étranger, qu'un ministre des finances osât s'arroger et unir à ses bureaux les questions qui ne pouvaient être que de la compétence

du chancelier de France : mais les fureurs du PalaisRoyal faisaient tout fléchir à la cour devant le mi

nistre favori de la populace, lequel ne cessait à son tour de fléchir le genou devant la populace du Palais-Royal.

M. Necker et ses partisans ne justifieront jamais son administration de la double représentation du tiers. Un ministre habile et prudent doit toujours chercher à mettre en harmonie tous les corps de l'État. C'est de cette harmonie que se composait le gouvernement français, et que se compose tout système de gouvernement monarchique. Jusqu'à ce ministre, tous les rangs de la société en France avaient été animés d'un même esprit. En 1788, les deux premiers ordres avaient donné le plus grand exemple de générosité et de patriotisme, en résistant à quelques impulsions arbitraires d'un ministre inepte, et en faisant l'abandon de tous leurs priviléges pécuniaires. Qu'est-ce que M. Necker pouvait donc espérer de plus, en mettant en mouvement le tiers-état, qui jusque-là n'avait joué aucun rôle ? Que prétendait-il en soufflant le feu de la discorde? en soulevant la masse du peuple contre les deux premiers ordres de l'État, en créant un patriotisme exclusif dans celui du tiers, en dénaturant l'opinion nationale ? Était-ce une réforme qu'il pouvait attendre? non, c'était une révolution sociale. Dès son premier ministère, il avait été odieux à la noblesse et au clergé; il voulait s'en venger. Il avait trouvé les provinces de France administrées depuis des siècles par les autorités différentes des pays d'états ou des intendans; il avait été mécon

tent de ces diverses coutumes, des institutions diverses, qui tout en gênant quelquefois la marche du gouvernement, en conservaient pourtant le corps. Malheureux dans les premières tentatives qu'il avait faites de donner aux provinces des administrations uniformes, il résolut de ne pas perdre cette occasion de niveler la France, et de la désorganiser entièrement, pour la réorganiser ensuite à sa guise (1).

Ce fut le 26 décembre 1788 que fut fait au Conseil d'État, par M. Necker, le fameux rapport sur le doublement du tiers-état, l'admission des curés dans l'ordre du clergé, et l'introduction de l'intérêt protestant dans la représentation du tiers. Si ces trois mesures, aujourd'hui généralement condamnées, ne furent pas les causes premières de la révolution, au moins personne ne pourra disconvenir qu'elles sont au nombre des moyens principaux qu'elle a eus de se développer.

Je terminerai ici ce que j'ai entrepris de dire sur les causes éloignées et prochaines de la révolution. Ce n'est pas sans quelque inquiétude que je pré

(1) Nous n'examinerons pas de nouveau la question si souvent débattue, du doublement du tiers. Nous ne répondrons pas davantage aux reproches adressés ici à M. Necker. Il aurait droit d'espérer peut-être de ceux qui critiquent ses fautes ou signalent ses erreurs, qu'ils épargnassent du moins ses intentions. M. Necker a aussi publié des Mémoires; son nom et son caractère doivent leur donner quelque poids. Tout lecteur impartial voudra les lire avant de prononcer sur les accusations portées contre lui dans ce chapitre et dans le reste de l'ouvrage. (Note des nouv. édit.)

sente au public les pages qui précèdent. J'avoue que j'ai cherché de bonne foi et avec des intentions loyales des matériaux instructifs sur un événement dont les conséquences étaient alors si peu prévues, et dont l'on chercherait en vain même encore aujourd'hui à prévoir les résultats possibles. Si j'ai blessé quelques amours-propres, et si j'ai ramené l'attention sur des souvenirs fâcheux, j'ai au moins la consolation de me voir appuyé dans tout ce que j'ai dit par le témoignage d'hommes qui ne sont pas suspects et pour n'en citer qu'un seul, qu'il me soit permis de transcrire ici ce qu'imprimait à Londres, il y a peu d'années, un membre distingué du parlement de Paris, un magistrat appelé à juste titre au Conseil de son roi, un des plus fermes défenseurs de la monarchie française et des lois qui formaient jadis la constitution de la France : la force de la vérité arrachait en 1796, à M. d'Outremont les lignes suivantes :

« Hélas! je ne l'ignore pas, les parlemens, >> comme tous les autres corps légitimes de la mo»> narchie, ont encouru la disgrâce de la nation. » Peut-être ont-ils bien eux-mêmes quelques re» proches à se faire. Ils sont devenus querelleurs,

humoristes, si je puis me servir de ces ex»pressions. En se mêlant de trop de choses, ils » ont fatigué la nation, quand ils croyaient ne fatiguer que l'autorité. Ils ont confondu un rôle passif que la constitution leur attribuait, avec un » rôle actif qui ne pouvait que tourner à leur pré

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judice et à celui de l'autorité royale. Ils ont » forcé tout le monde à rechercher les titres de

» leur puissance; et ces recherches n'ont pas toujours été à leur avantage (1). ›

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Un témoin aussi peu suspect, aussi irrécusable que celui qui vient d'être cité, serait ce même M. d'Éprémesnil, dont la résistance aux volontés du roi, dont les menées et l'emprisonnement aux îles d'Hyères sont détaillés dans le chapitre précédent. Attaqué, en 1792, par la populace de Paris, pour la fermeté qu'il avait déployée dans l'Assemblée nationale, et arraché par une espèce de miracle aux fureurs de cette même populace, dépouillé de ses habits et baigné dans son sang, il écrivit, de la prison de l'Abbaye, une lettre au roi, par laquelle il reconnaissait le coupable usage qu'il avait fait de son influence sur sa compagnie, et offrait son sang à Sa Majesté, en expiation de ses erreurs, et du sang qui avait déjà été répandu depuis la révolution. Il ignorait encore tout celui qui devait être versé à la suite de la révolution qu'il avait provoquée; et lorsqu'il porta sa tête sur le même échafaud où Louis XVI avait porté la sienne, il eut moins à souffrir sans doute de la barbarie que l'on exerçait contre lui, que du souvenir de ses imprudences (2).

(1) Le Nouveau Siècle ou la France encore monarchie, T. II, page 358. Londres, 1796; imprimé par Baylis.

W.

(2) Il n'y aurait qu'une mauvaise honte qui pourrait m'empê cher de répéter ici un mot de la reine, si connu à la cour. La ré

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