Imatges de pàgina
PDF
EPUB

bientôt il s'aperçut qu'il n'était plus que l'instrument et le jouet des factieux. Les rentiers et les banquiers le soutenaient encore, que le Palais-Royal le foulait déjà aux pieds. Mirabeau et l'abbé Sieyes l'attaquaient au milieu de sa gloire, et le traitaient dans leurs pamphlets comme un homme présomptueux, sans vues, sans moyen d'exécution, et incapable de remplir les promesses qu'il avait faites. Effectivement toutes ses démarches à cette époque démontrèrent quelle était la faiblesse et la briéveté de ses vues.

Jouissant de toute sorte d'influence sur la cour, possédant la confiance de la nation à un degré où aucun ministre n'en avait joui avant lui, avec du génie et de la probité, tout lui aurait été possible pour la restauration du crédit, des finances et de l'autorité; mais, au lieu de produire aucun grand effet, il ne développa successivement que des fractions de force qui furent perdues, et qui, réunies sur le même point, et dans le même moment, auraient pu prévenir la ruine de l'État.

M. Necker fut continuellement dévoré de l'envie de régenter la France. On ne peut dire si cette manie, moitié factieuse, moitié pédantesque, tenait plus aux habitudes générales des habitans de la ville qui lui avait donné naissance, qu'à une disposition particulière de tous les individus de sa famille. Depuis l'époque du fameux Compte rendu, publié en 1781, jusqu'à ce jour, il ne s'est guère écoulé d'année sans que cette famille ne se soit jetée, sur

l'Europe, avec quelque nouvelle production, relative soit aux finances, soit à l'administration, soit à la politique, soit à la littérature, soit aux passions, et même à la religion. Pour moi qui ai connu M. Necker assez particulièrement, je ne m'étonnerais pas qu'il eût poussé cette manie d'occuper perpétuellement le public de lui, au point de prendre de telles mesures, que, pendant de longues années encore après sa mort, l'Europe continuera d'être fatiguée des œuvres posthumes du mari et de la femme.

Il existait en France des institutions de piété et de charité qui avaient été fondées successivement par les rois, aidés des lumières et du zèle des premiers ou des plus saints personnages de leur temps. Ces établissemens se perfectionnaient et se multipliaient successivement selon l'accroissement de la population et le progrès des lumières et des richesses. Je veux parler des nombreux hospices répandus en France de toutes parts. Dans aucun pays du monde, peut-être, à l'exception de l'Angleterre, il n'existait autant d'asiles pour l'humanité souffrante qu'en France. Marie-Antoinette avait ajouté son nom à tous ceux des généreux bienfaiteurs du peuple qui l'avaient précédée. Deux hospices, fondés à Versailles par ses soins, fournissaient sans bruit et sans éclat les secours, les plus nobles et les plus abondans à un certain nombre de malades et de femmes en couche (1). Madame Necker, moins

(1) Le nom de la reine, dans l'époque que nous parcourons, se trouve mêlé continuellement à tous les actes qui avaient pour ob

poussée par la charité que par la vanité; par la sensibilité que par un esprit d'opposition, avait imaginé, de concert avec son époux, de fonder à Paris un hospice portant son nom : elle publiait tous les ans l'état des dépenses de cet hospice avec une affectation qu'on aurait pu regarder comme puérile, si elle n'avait pas été factieuse. On ne manquait pas de faire insérer dans tous les journaux du temps, à propos de ces comptes rendus annuels, des réflexions amères dont l'objet était de faire voir à la France, et surtout à Paris, la différence qui existait entre les soins qui étaient donnés aux pauvres par une vertueuse citoyenne de la république de Genève, et ceux qu'ils recevaient des mains du gouvernement dans les hôpitaux généraux. C'était une espèce d'appel continuel fait aux

jet ou de soulager l'infortune, ou de récompenser la vertu. On vient de voir qu'elle s'associait aux soins que recevaient les malades et les femmes enceintes sa libéralité, égale à sa bienfaisance, faisait les fonds de prix décernés soit à l'humanité courageuse, soit à la piété filiale.

« L'Académie française, dit Grimm dans sa Correspondance, a eu trois prix de vertu à distribuer. Deux de ces prix ont été donnés à un habitant de Chaillot et à son fils, qui, se dévouant héroïquement au plus grand péril, sont parvenus à sauver huit personnes qui se noyaient dans la Seine; le troisième, à une fille qui a sacrifié toute son existence pour rendre à sa mère, dans une maladie affreuse et qui a duré dix-sept ans, les soins les plus pénibles et les plus assidus. »>

Des trois prix accordés, l'un était celui fondé par M. de Monthion; les fonds des deux autres avaient été fournis extraordinairement par la reine et par M. le duc de Penthièvre.

(Note des nouv. édit.)

du

passions des pauvres contre l'insouciance prétendue gouvernement, et aux calculs des philosophes contre les vices de l'administration qui, en faisant de plus grands frais, traitait ses malades moins bien qu'un simple individu. La situation des pauvres était certes bien loin d'être bonne dans les réceptacles où ils étaient entassés; mais le roi avait annoncé son intention d'y remédier, et il n'avait pas même attendu la fin de la guerre, pour ordonner la construction de quatre nouveaux hôpitaux dans les faubourgs de Paris, afin de remplacer l'hôpital général, devenu insuffisant pour la population de la capitale. De leur côté, les personnes riches et charitables se contentaient de verser en secret des

aumônes abondantes pour les pauvres de leurs paroisses dans les mains de leurs pasteurs, sans mettre le public dans la confidence de leur bienfaisance, se conformant ainsi au précepte de l'Évangile : «Que votre main droite ne sache pas ce >> que fait votre main gauche! » Mais ce mystère n'aurait pas convenu à l'épouse du banquier Genévois qui voulait régénérer la France. Il était nécessaire aux vues des deux époux de faire maudire l'Hôtel-Dieu au peuple de Paris, pour lui faire bénir l'hospice et la maison Necker; et de faire célébrer par toutes les plumes les institutions charitables des deux républicains, aux dépens de fondations pieuses de soixante-six rois (1).

(1) Ces réflexions sont plus amères qu'elles ne sont exactes. Il n'est pas étonnant que dans une institution particulière, dirigée

Je me suis étendu sur ce fait, parce que je le regarde comme un de ceux par lesquels on chercha pendant long-temps à aliéner l'affection du peuple français pour son gouvernement, et à la détourner sur des amis étrangers; et surtout comme un de

avec intelligence, avec ordre, avec humanité, le pauvre fût cent fois mieux à moins de frais, que dans les établissemens alors régis par une administration sous laquelle l'ignorance de toutes choses le disputait aux abus de toute espèce. L'hôpital fondé par M. et madame Necker était moins une critique du mal qui existait, qu'un exemple du bien qu'on pouvait entreprendre. Pour juger de toutes les améliorations possibles, il suffit de comparer le tableau hideux des hôpitaux de la capitale, tel qu'il a été tracé par Bailly et M. de La Rochefoucauld, avec l'état de prospérité auquel sont parvenus ces établissemens sous la direction bienfaisante du conseil des hospices, et par les soins éclairés de deux administrateurs dont les noms sont chers à la ville de Paris, M. Frochot et M. le comte de Chabrol.

Quant à la noble générosité dont Weber fait ici l'éloge à juste titre, personne ne la conteste et chacun voudrait l'imiter. La bienfaisance est une vertu qui n'a de bornes en France, pour chaque classe de citoyens, que les moyens dont elle dispose. Il faudrait désirer peut-être que cette charité fût aussi éclairée dans ses vues qu'elle est respectable dans son principe. Le plus souvent les secours que prodigue la bienfaisance particulière se perdent sans fruit, et ne sont pas toujours exempts d'inconvéniens et de dangers. L'administration peut seule réaliser en France un bon système de secours publics. Il est à craindre autrement que les aumônes destinées à soulager la misère n'encouragent l'oisiveté. Jamais contrée n'a renfermé plus de mendians que l'Italie, où la religion et la charité ont fondé tant d'hospices pour les malheureux; et la taxe des pauvres en Angleterre, loin de réduire leur nombre, semble au contraire l'avoir multiplié en leur assuranţ d'autres ressources que le travail. Ce n'est point encore assez de faire le bien, il faut le bien faire.

(Note des nouv. édit.)

« AnteriorContinua »