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non an ordre politique; que les priviléges pécuniaires étaient injustes et odieux; que le tiers-état était tout; qu'il pourrait former seul une nation sans les nobles, et que les nobles et les prêtres sans le tiers-état n'oseraient pas avoir la même prétention. En un mot, il partait du droit naturel pour arriver à refondre tous les usages d'une société formée depuis quatorze siècles, et tenant le premier rang parmi les nations civilisées de l'Europe': aussi cet ouvrage fut-il accueilli avec fut-il accueilli avec avidité par la multitude, qui croyait avoir tout à gagner par la destruction des formes établies. En vain objectaiton à l'abbé Sieyes que les Français n'étaient pas des sauvages qui s'assemblaient pour se former en nation et se choisir un chef, mais une nation qui était appelée par son souverain légitime à l'aider à réformer quelques abus ; qu'elle allait s'assembler conformément à des usages établis de temps immémorial, pour remédier aux maux et produire de grands biens; que la noblesse et le clergé avaient offert au roi le sacrifice de leurs priviléges pécuniaires, et ne s'étaient réservé que de vains bonneurs et de frivoles distinctions, dont le tiers-état ne pouvait se montrer jaloux : l'impulsion était donnée aux niveleurs, ils ne cachaient pas dès lors le projet qu'ils avaient de vouloir tout dénaturer, tout confondre, tout immoler (1).

(1) La brochure intitulée: Qu'est-ce que le tiers-état? est devenue rare aujourd'hui. Le lecteur trouvera, sous la note (1), les

Mais le plus violent de tous ces écrits, celui qui contribua le plus à enflammer toutes les têtes, fut le mémoire du comte d'Entraigues. Il laissa tous les autres bien loin derrière, non-seulement pour le talent et l'éloquence, mais encore pour l'énergique chaleur, ou plutôt l'inconcevable hardiesse qui éclatait à chaque page. Ce gentilhomme languedocien, élève de Jean-Jacques Rousseau, ami de Chamfort, avait puisé son droit naturel dans le Contrat social du philosophe Genévois, et son droit civil et public dans les scènes du Marchand de Smyrne (1). Il s'était flatté de parvenir à jouer un grand rôle en exaltant les passions de la multitude, et en acquérant ainsi une immense popularité. Son ouvrage était un traité complet de près de trois cents pages, partant non-seulement de l'établissement des Francs dans les Gaules, mais des droits primitifs de l'homme dans l'état de nature, pour arriver, à travers toutes les vicissitudes du gouvernement français pendant quatorze siècles, jusqu'au moment actuel.

L'auteur avait pris pour épigraphe la formule avec laquelle les anciens Cortès d'Arragon investissaient leur roi de la souveraineté, en lui promettant une obéissance continuelle: Nous qui valons

passages désignés par Weber dans cet endroit de ses Mémoires. (Note des nouv. édit.) W.

(1) Comédie de Chamfort.

chacun autant que vous, et qui tous ensemble sommes plus puissans que vous, nous promettons d'obéir à votre gouvernement, si vous maintenez nos droits et nos priviléges; sinon, non. Il faut en convenir, jamais prince n'avait moins mérité que Louis XVI qu'on joignît pour lui à un engagement de fidélité une menace de destitution : mais, quelque hardie que dût paraître cette épigraphe, le livre lui-même la faisait bientôt oublier.

La première phrase était une consécration du gouvernement républicain, et un anathème contre la monarchie (1). La seconde présentait dans le peuple français un troupeau d'esclaves gémissant sous l'excès de l'oppression (2). Bientôt, la légitimité de l'insurrection était proclamée (3), le pouvoir législatif de la couronne était attaqué (4), dé

(1) « Ce fut sans doute pour donner aux plus héroïques vertus » une patrie digne d'elles, que le ciel voulut qu'il existât des répu»bliques; et, peut-être pour punir l'ambition des hommes, ik » permit qu'il s'élevât de grands empires, des rois et des maîtres. >>

(2) « Mais toujours juste, même dans ses châtimens, Dieu per» mit qu'au fort de leur oppression il existât pour les peuples as» servis un moyen de se régénérer. »

(3) « En Angleterre, l'insurrection est permise; elle serait sans >> doute légitime, si le parlement détruisait lui-même une consti>>tution que ses lois doivent conserver. » (Page 19.)

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(4) « Que répondre à ceux que l'habitude de la servitude a tel» leinent dégradés, qu'ils cherchent à se faire accroire et à nous persuader que c'est entre les mains d'un homme que fut remis le pouvoir législatif, sans limite comme sans partage, et qu'aus» sitôt vingt millions d'êtres se soumirent à un seul, à sa posté>> rité? etc. » (Page 25.)

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claré incompatible avec son droit héréditaire (1), accusé de rendre la condition de Français pire que celle des Turcs (2). Toutes les cours, sans distinction aucune, étaient dénoncées comme un foyer de corruption (3); tous les courtisans, comme des ennemis naturels de l'ordre public, comme une foule avilie d'esclaves à la fois insolens et bas (4); le trône, comme un siége où c'était un hasard de ne pas voir les passions serviles et dangereuses honorées et respectées (5); la noblesse héréditaire,comme le plus épouvantable fléau dont le ciel dans sa colère pût frapper une nation libre (6); les siècles qui l'avaient honorée, comme des siècles de honte (7); le reste de vénération qu'ils nous avaient transmis pour elle, comme un grand mal qui avait occasioné les calamités de la nation (8). Le clergé existait ainsi que la noblesse, nation particulière dans la nation; avait, ainsi que la noblesse, des intérêts distincts de ceux du peuple; comme la noblesse, tenait ses délibérations à part du peuple, et, comme elle, délibérait exclusivement sur ses propres intérêts. Le rebelle, le meurtrier, le traître Marcel, exécré d'âge en âge pour avoir soulevé les Parisiens contre leur roi captif, pour avoir

(1) «Eh! grands Dieux! s'il est sur la terre un homme incapable, » par sa position, d'exercer le pouvoir législatif, c'est un roi, et » surtout un roi héréditaire, etc. » ( Page 26.)

(2) Page 159. — (3) Page 26. (4) Ibid.

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-(6) Page 61. (7) Page 86.

(8) Page 87.

(5) Pages 26 et 27.

assassiné dans les bras du dauphin régent les maréchaux de Normandie et de Champagne, pour avoir créé les fureurs qui enfantèrent la Jacquerie, enfin pour avoir voulu combler tous ses crimes en livrant Paris et la France au joug des Anglais; on le voyait, dans ce livre, recommandé tendrement à la clémence du dix-huitième siècle, et défendu avec chaleur contre la sévérité excessive des siècles précédens. Enfin, sur la composition des états-généraux qui allaient se tenir, sur le nombre respectif des députés que chaque ordre aurait à envoyer, tandis que plusieurs personnes s'alarmaient de cette double représentation du tiers-état, déjà obtenue dans les assemblées provinciales, et déjà réclamée dans quelques assemblées d'états particuliers, l'auteur du mémoire était à peine satisfait de cette proportion. Il répétait que le tiers état était le peuple, que le peuple était l'État lui-méme; que les autres ordres n'étaient que des divisions politiques, tandis que le peuple était tout, par la loi immuable de la nature, qui voulait que tout lui fût subordonné. Il répétait que dans le peuple résidait la toute-puissance nationale; que par lui tout l'État existait; que pour lui seul tout l'État devait exister, et il en tirait cette dernière conséquence : « Il faut donc que le nombre de ses députés égale au moins celui des deux autres ordres réunis, que l'intérêt public prédomine toujours dans

» afin

» une assemblée qui cesserait d'être nationale si jamais l'intérêt de quelque ordre que ce soit in

»

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