Imatges de pàgina
PDF
EPUB

tion de la reine; se présenta comme une victime de son zèle à soutenir l'autorité royale, et demanda le secours de M. Necker pour les finances, en rougissant de tout ce qu'il avait fait depuis un an pour l'en écarter. M. de Mercy vint solliciter l'ancien directeur-général de se joindre au premier ministre. M. Necker répondit que, l'année précédente, il eût été prêt à partager les travaux de M. l'archevêque de Sens, ais que, dans le moment actuel, il ne pouvait ni ne voulait partager son discrédit. Le premier ministre ne savait que faire, mais il ne voulait pas se retirer. Les mécontentemens éclataient de toutes parts. Un des frères du roi l'avertit de la fermentation qui se développait à Paris. La reine envoya chercher l'archevêque, et lui déclara qu'il fallait absolument céder à l'orage. Le roi survint au milieu de l'entretien. Le ministre pleura, excita la sensibilité de ses maîtres et en abusa. Il voulut être consolé de sa retraite, en obtenant pour lui-même le chapeau de cardinal; pour son neveu, à peine d'àge, la coadjutorerie de son archevêché, jointe à une des plus riches abbayes de France; et pour sa nièce, une place de dame du palais. Il s'était composé, pendant son court ministère, une fortune de cinq à six cent mille livres de rentes sur les biens de l'Église. Il laissait son frère ministre de la guerre, après l'avoir fait nommer chevalier des ordres du roi et gouverneur de province. Les plus éclatans, les plus heureux services n'auraient pas pu être mieux récompensés.

Indiqué comme le seul sauveur de la chose publique, M. Necker fut appelé dès le lendemain à Versailles. Introduit d'abord dans le cabinet de la reine, il dut être touché de l'entendre gémir des injustices qu'éprouvait un prince aussi vertueux et aussi bon que l'infortuné Louis XVI. Il dut se sentir entraîné par les inquiétudes qu'elle lui exprima, par les prières qu'elle lui adressa pour le salut du monarque et de la monarchie. L'entretien avait duré près d'une demi-heure, lorsque le roi entra. Il parla de ses peuples et non de lui-même, du repos de la France et non du sien. Il mit, dans les témoignages de sa bonté envers le ministre qu'il rappelait, une expression particulière, pour lui faire oublier l'exil auquel M, de Calonne avait fait condamner son rival l'année précédente. M. Necker protesta de son dévouement. En sortant de l'appartement de la reine, il fut accueilli par les transports et les acclamations de l'allégresse publique. Les galeries du château, les cours, les rues de Versailles, bientôt la capitale, et de proche en proche la France entière, retentirent du cri de Vive le roi! vive M. Necker!

M. Necker était appelé à régir et à sauver la France dans des circonstances fort pénibles. Il trouva le Trésor royal avec quatre cent mille francs, les parlemens en exil, toutes les provinces agitées, les états-généraux promis avec une solennité qui permettait à peine de les différer d'un seul jour, la disette menaçant la France de toutes les

horreurs de la famine, et Paris déjà inondé d'un débordement d'écrits sur les états-généraux, provoqués par le ministre qui venait de se retirer.

La vérité oblige à convenir que les ménagemens de la nouvelle administration contribuèrent à faire évanouir imperceptiblement la plupart des diffi– cultés sous lesquelles le ministère précédent n'aurait pas manqué de succomber. Le crédit reparut, les banquiers facilitèrent de nouveau les opérations du Trésor royal, l'arrêt du conseil d'État concernant les paiemens fut révoqué, et alors cessa pour le moment la crainte d'un papier-monnaie royal, que les capitalistes de Paris redoutaient par-dessus tout, eux qui peu après adoptèrent avec fureur le système bien plus désastreux d'un papier-monnaie frauduleux et sacrilége, qui ruina la France entière. Les paiemens furent remis à peu près au courant. Les subsistances arrivèrent abondamment. La Bretagne se calma, en voyant ses douze députés sortir de la Bastille. La Normandie, la Bourgogne, le Béarn, le Dauphiné, changèrent leurs menaces en expressions de reconnaissance. Au milieu des cris qui se faisaient entendre contre les priviléges locaux et sur la nécessité d'un corps représentatif pour l'universalité de la France; au milieu, dis-je, des cris que faisaient entendre quelques fanatiques, le gros de la nation française faisait entendre les accens de la loyauté, de la fidélité au monarque, et du respect pour les principes et les formes monarchiques.

Cependant, l'ivresse de la populace de Paris, à la nouvelle de la retraite de l'archevêque de Sens, et à celle de la nomination de M. Necker, avait été tumultuéuse au point de dégénérer en sédition. Cette populace brûla, en pompe, sur la place Dauphine, un mannequin habillé en cardinal. Voulant ensuite mettre le feu à l'hôtel de Brienne, elle fut repoussée par la garde à cheval. Elle attaqua le guet à pied, et chassant devant elle cette troupe, peu capable de résistance, elle brûla quelques guérites, et démolit quelques corps-de-garde placés dans divers quartiers de la ville. La force fut employée pour repousser la force; les gardes-françaises et les gardes-suisses rivalisèrent à qui ferait mieux son devoir; les attroupemens se dissipèrent ́et ne reparurent plus, et la tranquillité régna dans la capitale.

Le Trésor royal pourvu, la sécurité publique rétablie, le nouveau ministre s'occupa aussitôt du rappel des parlemens, comme de la mesure la plus ardemment sollicitée par l'opinion générale Le parlement de Paris avait exprimé l'aversion la plus -décidée pour le garde-des-sceaux Lamoignon, et menaçait du fond de son exil de dénoncer ce ministre, à la face du roi, au milieu du lit de justice qu'on préparait. M. Necker avait eu plusieurs fois, depuis sa rentrée au ministère, des occasions de se convaincre de la fermeté du garde-des-sceaux; ét, sentant le besoin qu'il aurait incessamment d'un caractère ferme pour l'appuyer dans les mou

vemens que la France allait recevoir, il aurait désiré le conserver au ministère. Il lutta pendant quelques jours contre l'impopularité de ce magistrat, mais il finit par le sacrifier. Lamoignon soutint sa disgrâce avec une noble fermeté. Sans le dérangement de ses affaires personnelles, il eût joui d'une douce retraite dans l'antique et superbe habitation de ses pères, au sein d'une famille dont il était adoré, et parmi de nombreux amis qui devaient bientôt avoir la douleur de le voir périr d'une mort funeste (1)...

(1) M. Sallier ne représente pas la conduite de M. de Lamoignon à cette époque sous d'aussi nobles traits. Suivant lui, le garde-des-sceaux avait fait paraître plus d'obstination que de fermeté, et plus d'avidité que de désintéressement. « On reconnut, dit-il, que le renvoi du garde-des- sceaux était aussi un sacrifice inévitable. Le comte d'Artois se chargea d'inviter Lamoignon à lui remettre sa démission; celui-ci osa la refuser. Il avait la survivance de la place de chancelier; c'était le premier des grands officiers de la couronne, et les lois de l'État n'en permettaient pas une destitution arbitraire. Les sceaux pouvaient bien lui être retirés par la seule volonté du roi; mais, se fiant sur son crédit et sur la faiblesse du roi, il résolut de faire tête à l'orage, ou au moins de vendre chèrement sa retraite : il exigea effrontément après une année d'un ministère turbulent, et dans un moment de détresse, ce qu'un ministre qui eût donné à son pays vingt années de prospérité et de gloire n'eût pas osé demander, il eut la promesse que son fils serait fait duc et pair et nommé à une grande ambassade, et, outre sa pension de retraite, quatre cent mille francs lui furent accordés. C'était juste tout ce qu'il y avait à cette époque d'effectif dans le Trésor royal: on ne pouvait cependant pas tout lui donner, mais il en exigea moitié qui lui fut délivrée. »› Ann.franç., p. 203. (Note des nouv. édit.)

« AnteriorContinua »