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bres du tiers-état, s'étaient assemblés à l'Hôtelde-Ville, et, sous la présidence du baron des Adrets, avaient ouvert la délibération sur l'état actuel de la province et de tout le royaume. Le major de la place était venu inutilement leur signifier, au nom du roi, l'ordre de se séparer. Avec des formes de déférence, on lui avait témoigné une résolution inébranlable. Après douze heures de débats, la convocation de tous les ordres de la province pour le 21 juillet suivant, dans la ville de Vizille, avait été arrêtée, et l'avait été, chose étonnante, à l'unanimité des deux premiers ordres, tandis que la pluralité du troisième avait voté contre! Les municipaux de Grenoble, en parfaite union avec le clergé et la noblesse, avaient été aussitôt mandés à Versailles. Ils y avaient entendu publier l'arrêt du Conseil promettant les états-généraux, et peut-être s'étaient flattés de l'avoir déterminé. Peu de jours après cette publication, le premier ministre assembla chez lui ces municipaux et les trois députés de la noblesse. Il leur annonça, de l'air le plus gracieux, que leurs anciens états particuliers allaient leur être rendus: << Mais vous ne les voulez sûrement pas, leur dit-il, >> avec tous les vices féodaux de ces constitutions go>>thiques où le peuple était compté pour si peu :>> et il leur proposa pour modèles les états de Provence. En voyant l'alacrité avec laquelle tous s'empressèrent de reconnaître le principe qu'il venait de poser, le ministre dut perdre l'espoir de semer

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la division entre les ordres dans le Dauphiné comme dans la Bretagne. On se sépara, en se promettant de se réunir; les députés professant hautement que les résolutions de l'assemblée de Vizille seraient la règle de leur conduite ; et le premier ministre se flattant en secret d'empêcher la formation de cette assemblée.

Le maréchal de Vaux, l'homme le plus ferme, peut-être le plus violent qu'il y eût dans l'armée française, reçut l'ordre d'aller commander en Dauphiné, à la place du duc de Tonnerre qu'on rappela comme ayant montré ou trop peu de force ou trop peu d'habileté le jour de la sédition au milieu de laquelle il avait pensé être assassiné. A peine arrivé, le maréchal défendit, sous des peines grièves, de porter la cocarde bleue et jaune, couleurs du Dauphiné, dont on avait fait un signe de patriotisme. On obéit à ce premier ordre; mais il y eut sur-le-champ scission entre le commandant et la noblesse. Cette dignité de maréchal de France, dont le respect était gravé si avant dans le cœur de tout gentilhomme et de tout militaire, n'attira aucun hommage à un guerrier qui l'avait méritée par de si longs et de si honorables services. On ne le visita point, on ne répondit à aucune de ses in'vitations; et on lui fit savoir que tous ceux qui étaient appelés à l'assemblée de Vizille, s'y rendraient, quoi qu'on voulût ordonner de leur sort. Le maréchal écrivit en substance au gouvernement: qu'on l'avait envoyé trop tard; « que quand toute

>> la noblesse d'une province avait déclaré qu'elle » tiendrait une assemblée, elle la tiendrait sous la >> bouche du canon; que, ne pouvant empêcher » cette délibération, le seul service qu'il pût ren» dre était de la régulariser et de la modérer, en » la permettant, en ne laissant arriver au lieu de » la séance que le nombre strict des députés, en >> écartant d'eux tout rassemblement oisif, exalté, dangereux; et en se tenant prêt à réprimer les » excès, si une force injuste provoquait la force légitime.

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Il remplit en effet tous ces différens objets. On lui demanda la permission de s'assembler, et il l'accorda. Toutes les avenues de Vizille furent garnies de troupes pour protéger la paix publique et la délibération des députés. Ils se rendirent à leur séance à travers une double haie de soldats sous les armes. Conformément à l'avis du ministre, on s'était empressé de faire disparaître les vices féodaux des institutions gothiques. Deux cent cinquante gentilshommes mêlés de quelques ecclésiastiques formèrent une seule assemblée avec deux cent cinquante municipaux suivis de quelques bourgeois. Ils eurent tous la sagesse de réduire le nombre des délibérans à cinquante, qui remplirent à peu près les fonctions qu'avaient les lords des articles dans les anciens parlemens d'Écosse. Les résolutions furent proposées et rédigées par M. Mounier, juge royal de Grenoble, dont la répu

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tation commença ce jour-là (1). Adoptées par les cin quante délibérans, elles furent présentées à l'approbation de tous les membres présens, qui les signèrent avec transport. Les trois ordres arrêtèrent à l'unanimité « de ne jamais séparer les intérêts de >> la province de ceux de tout le royaume ; de de>> mander les états-généraux pour la France, en » même temps que des états particuliers pour le » Dauphiné; de réclamer, dans les uns comme » dans les autres, cette double représentation du

(1) Jean-Joseph Mounier, né à Grenoble le 12 novembre 1758, avait déjà de la réputation, dans cette province, comme publiciste et comme magistrat, l'époque des troubles dont parle ici Weber. Tout à la fois orateur et secrétaire de l'assemblée de Vizille, il y donna l'exemple de la fermeté et de la modération. Il professait dès lors des principes auxquels il resta fidèle dans tout le cours de sa carrière. Il voulait un pouvoir limité par les lois, une liberté ennemie de l'anarchie. Nous le retrouverons plus tard dans l'Assemblée nationale, déployant tour à tour les ressources de son ésprit, ou la loyauté de son caractère, et s'éloignant aussitôt qu'il vit la cause de la liberté souillée par des excès.

Deux circonstances de sa jeunesse avaient singulièrement influé sur sa conduite et sur ses opinions: à huit ans on avait confié son -éducation aux soins d'un ecclésiastique qui l'accabla de rigueurs injustes, et plus tard il fut repoussé des rangs de l'armée, par le préjugé qui n'accordait qu'à la noblesse les emplois militaires. Blessé des priviléges accordés aux deux premiers ordres de l'État, il se promit dès lors, disent ses biographes, de ne jamais les favoriser dans leurs orgueilleuses prérogatives, ou dans leurs pieuses usurpations. Au sein de l'Assemblée constituante, ou dans les états du Dauphiné, sur la terre d'exil ou dans le Conseil d'État de Napoléon, jamais il ne sacrifia, par ambition, ses principes à sa fortune. Noble exemple, plus admiré que suivi !

(Note des nouv. édit..)

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» troisième ordre déjà établie dans toutes les as» semblées provinciales; enfin de solliciter du roi >> l'abolition des lettres-de-cachet, le renvoi des >> ministres actuels, et le rappel provisoire des par»lemens jusqu'à la tenue des états- généraux. Parmi quelques autres résolutions sinon d'une moindre importance, au moins d'un intérêt plus circonscrit, l'assemblée arrêta qu'à partir de ce moment, l'impôt substitué à la corvée serait supporté également par les trois ordres; et elle s'ajourna pour le 5 septembre dans la ville de Saint-Robert près Grenoble.

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Cet ajournement, cette sollicitude continue et générale qu'annonçait le Dauphine pour la destinée de la France, ce caractère de protectrice que déployait une province à l'égard de toutes les autres, et que celles-ci aimaient à reconnaître, ranimèrent les inquiétudes du gouvernement. On chercha s'il n'y avait donc pas moyen de réprimer ces excès de zèle. Le maréchal de Vaux rencontra tout-à-coup, une difficulté à laquelle personne n'avait pensé. Dans la règle, les patentes d'un commandant devaient être enregistrées au parlement de la province. Celui de Grenoble était exilé, et le lieu de ses séances fermé, lors de l'arrivée du maréchal de Vaux. On lui contesta son pouvoir. La cour envoya bien vite au-devant du duc de Tonnerre qu'elle avait rappelé. On le trouva qui revenait doucement, et qui s'était arrêté à moitié chemin. On lui donna l'ordre de retourner sur ses pas. L'autorité

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