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teau, sans jamais entrer dans la chambre préparée pour leur séance. Il fallut les renvoyer dans leurs terres, pour se donner le temps d'imaginer une conduite à tenir. On bafoua, on chansonna de toute part cette malheureuse Cour plénière morte avant d'être née. Quand on prendrait sur soi aujourd'hui de trancher ce qui est certainement un grand problème, quand on oserait prononcer que ces projets étaient bons en eux-mêmes, il faudrait encore reconnaître qu'un ministère aussi mal habile dans les moyens, et aussi irrésolu devant les obstacles, devait tout perdre.

Le même jour où s'était tenu à Versailles le fameux lit de justice pour le parlement de Paris, tous les autres parlemens du royaume avaient été assemblés pour attendre les ordres du roi. Le commandant militaire de la province, assisté d'un autre commissaire du roi pris dans le Conseil, était venu tenir une séance royale dans chacune de ces Cours, avait fait enregistrer d'autorité les mêmes édits qu'on enregistrait à Versailles; puis mettant le parlement tout entier en vacance, faisant fermer les portes du Palais, en avait pris les clefs avec lui.

Toutes ces Cours avaient protesté ou avant, ou pendant, ou immédiatement après l'enregistrement. En Bretagne, le procureur syndic des états était entré au parlement avant les commissaires du roi, et avait déposé sur le bureau la protestation de la province contre tout ce qu'ils allaient

ordonner. A Pau, le syndic des états de Navarre s'était présenté, dans la même intention, à la porte du Palais séance tenante. L'entrée lui avait été refusée; mais l'évêque de Lescars, président de ces états, et qui siégeait au parlement comme conseller d'honneur, avait suppléé le syndic, et la protestation n'en avait été que plus imposante. A Dijon, à Besançon, comme à Rennes, comme à Grenoble, il y avait eu quelques mouvemens de la noblesse, qui en avaient causé parmi le peuple. La querelle s'engageait, et l'on semblait de toute part s'essayer à l'insurrection.

C'était plus qu'un essai dans les deux dernières villes que nous venons de nommer. Il est impossible de ne pas se livrer ici à quelques détails particuliers. Nous parlerons d'abord de la Bretagne, et nous aurons pour garant le récit qu'a publié l'intendant même de cette province, qui fut un des commissaires du roi chargés de la périlleuse mission, et que son courage trop peu secondé pensa en rendre la victime.

Le comte de Thiars, commandant pour le roi en Bretagne, était premier commissaire et avait l'intendant pour adjoint. A peine l'un et l'autre eurent-ils mis le pied dans le Palais, qu'ils furent sifflés, bafoués, pressés par la foule jusqu'à craindre d'en être étouffés, renvoyés d'une porte à l'autre pour entrer dans la grand'chambre, et les trouvant toutes fermées. Enfin, après avoir été pendant une heure le jouet de toute la robe subalterne et de

toute la populace du Palais, ils virent une porte s'ouvrir; mais, en entrant dans la grand'chambre, ils recurent l'avis que le mot venait d'être envoyé à tous les ouvriers pour qu'ils eussent à se rendre à trois heures sur la place du Palais avec leurs outils et des bâtons. L'intendant, habile dans les formes, se chargea d'abréger la séance, et le commandant, maître de la force-armée, ordonna qu'une compagnie de grenadiers vint nettoyer le Palais et favoriser leur sortie.

Pendant que les commissaires exécutaient les ordres du roi dans l'intérieur de la chambre, ils voyaient des magistrats jeter des bulletins au peuple par les fenêtres. Ils en étaient plus pressés de finir. Un de ces bulletins portait : L'intendant est un monstre à étouffer. Cet intendant avait de la tête: il triompha de toutes les chicanes qu'on voulut mettre en usage pour prolonger la séance. L'heure des ouvriers fut prévenue, et la sortie du Palais facile et paisible.

Trompé par cette fausse apparence, le comte de Thiars renvoya les troupes qui étaient venues occuper la salle et les cours du Palais. Escortés seulement de vingt gardes, les deux commissaires retournaient à pied au gouvernement. A peine engagés dans la grande rue, ils y sont accueillis par des cris de fureur. On lance contre eux une grêle de pierres. Le valet de chambre du comte de Thiars en détourne une qui allait briser le crâne de son maître, et qui de ricochet va blesser l'intendant.

Les commissaires pressent leur marche. Ils joignent un détachement de troupes qui était sur la place du gouvernement, qui les environne, les conduit à l'hôtel du commandant, barre le passage dès qu'ils sont entrés, et présente la baïonnette à ceux qui veulent les poursuivre. Dans cet instant un jeune officier se jette désarmé entre les fusils et le peuple, pour prévenir l'effusion du sang. Une partie de ce peuple le proclame son défenseur, et l'élève au-dessus de ses têtes pour le porter en triomphe; une autre croit que c'est un coupable qu'on lui dénonce de loin, et se met à le lapider. Il est blessé à la joue. Les soldats veulent le venger. Il les contient en criant qu'il aime mieux voir son sang couler que répandre celui de ses concitoyens. Noble et imprudent jeune homme! il reçut une récompense que méritait sa générosité, et produisit peut-être un mal que n'avait pas prévu sa jeunesse. Au moins il causa une diversion pour le moment. On ne songea plus à forcer la maison où s'étaient retirés les commissaires du roi. Le commandant fit entrer dans Rennes, pendant la nuit, des détachemens de toutes les armes, qui parurent en imposer pendant quelques jours.

Cependant le besoin d'argent, cause première de tous ces désordres, avait porté le ministre archevêque à convoquer extraordinairement dans Paris une assemblée du clergé. Il espérait obtenir du corps auquel il appartenait un subside momentané, et il voulait aussi que le clergé remontât le

crédit par un assentiment solennel à l'établissement des administrations provinciales et à l'égalité d'imposition. Le baron de Breteuil, secrétaire d'État, et le vertueux M. Lambert, contrôleur - général des finances, se présentèrent devant l'assemblée en qualité de commissaires du roi, demandant le modique secours d'un million huit cent mille livres pour l'année 1788, et de pareille somme pour l'année suivante. Le ministère avait cru qu'une proposition aussi modérée serait accueillie en même temps que présentée. Une déclaration, sortie de la bouche même du roi, et qui avait assuré au clergé la conservation de toutes ses formes, semblait ajouter encore à la facilité du succès. Les commissaires étonnés avaient attendu pendant trois heures une réponse, lorsqu'on vint leur signifier que la délibération était continuée au jour suivant. Une opposition s'était élevée, qui triompha le lendemain à une grande majorité. Toute la grâce, toute la séduction, toute la noblesse de l'archevêque de Narbonne, qui présidait, échoua contre l'ingénieuse, mais sombre et mordante censure de l'évêque de Blois. Il fut arrêté qu'avant de délibérer sur aucun don, le clergé, comme premier ordre de l'État, adresserait au roi des représentations sur la Cour plénière et sur la situation actuelle des affaires publiques. Quinze commissaires, dont trois archevêques, quatre évêques (1) et huit membres du

(1) MM. de Reims, d'Aix et d'Arles parmi les archevêques, et parmi les évêques MM. de Langres, de Béziers, d'Auxerre et de St.-Malo. W.

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