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Le roi qui, même par la conscience qu'il avait de ses intentions pures, n'en était que plus malheureux des traverses et plus offensé des injustices qu'il éprouvait, ouvrit la séance par un discours concis et sévère, prononcé avec l'accent d'une douleur sombre. Il dit « qu'il n'y avait point d'écart » auquel, depuis une année, ne se fût livré le » parlement de Paris, imité aussitôt par les par>>lemens des provinces. Que le résultat de leurs en>>treprises était l'inexécution de lois intéressantes » et désirées, la langueur des opérations les plus précieuses, l'altération du crédit, l'interruption » ou la suspension de la justice, enfin l'ébranle>> ment même de l'édifice social et de la tranquil» lité publique. Qu'il devait à ses peuples, à lui» même, et à ses successeurs, de réprimer de »tels écarts. »

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Jusque-là il était impossible de nier un seul mot de ce que disait le roi, soit à l'égard des faits et des résultats dont il se plaignait, soit relativement à l'idée qu'il se faisait de ses devoirs. Passant au remède, après avoir exposé le mal, le roi annonça « que, forcé à regret de punir quelques ma

gistrats, il aimait mieux prévenir que réprimer » de semblables excès. Qu'il ne voulait pas détruire >> ses parlemens, mais les ramener à leur devoir » et à leur institution. Qu'il voulait convertir un » moment de crise en une époque salutaire pour >> ses sujets; commencer la réformation de l'or» dre judiciaire par celle des tribunaux ; procurer

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>> aux justiciables une justice plus prompte et moins >> dispendieuse; confier de nouveau à la nation >> l'exercice de ses droits légitimes, qui devaient » toujours se concilier avec ceux du souverain : qu'il voulait surtout mettre dans toutes les par»ties de la monarchie cet ensemble et cette unité >> de vues sans lesquels un grand royaume est >> affaibli par le nombre même de ses provinces. » Il ajouta, «< que l'ordre qu'il venait établir n'était >> pas nouveau. Que le parlement était unique à l'époque où Philippe-le-Bel l'avait rendu séden» taire à Paris. Qu'il fallait à un grand État un >> seul roi, une seule loi, un seul enregistrement; >> des tribunaux d'un ressort peu étendu, chargés » de juger le plus grand nombre de procès; des >> parlemens auxquels les plus importans seraient >> réservés ; une Cour unique, dépositaire des lois >> communes à tout le royaume, enfin des étatsgénéraux assemblés non une fois, mais toutes » les fois que le besoin de l'État l'exigerait. Telle >> est, »> dit le roi en finissant, «< la restauration que » mon amour pour mes sujets a préparée; qu'il >> consacre aujourd'hui pour leur bonheur. » Et le garde-des-sceaux reçut le commandement de faire connaître plus en détail les intentions royales. Lamoignon, qui, dans ce jour mémorable, porta cinq fois la parole, commença par faire blier trois édits, dont l'utilité générale n'admettait aucun doute, même en accordant à ceux qui ont voulu en corrompre le motif, qu'on s'occupât plus

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de faire du mal aux parlemens que de faire du bien aux peuples.

Le premier de ces édits, relatif à l'administration de la justice, la rendait en effet et moins dispendieuse, et plus prompte, et plus sûre.

Le parlement de Paris était réduit par un second édit à une grand'chambre, une chambre de tournelle, et une seule des enquêtes, formées en tout de soixante et treize conseillers et de neuf présidens.

La troisième loi nouvelle, produite sous le nom de Déclaration du roi, exauçait les voeux, on pourrait dire les cris qui, depuis long-temps, s'élevaient de toutes les parties de la France, pour solliciter la réforme du code et de la procédure criminelle. Il est douloureux, mais il est vrai de dire que dans les trente dernières années qui venaient de s'écouler, les méprises et trop souvent la passion des juges avaient produit des scènes d'iniquité et de barbarie qui avaient porté dans tous les esprits l'indignation et la terreur. Des hommes long-temps opprimés avaient fini par terrasser avec éclat leurs oppresseurs. D'illustres victimes avaient laissé après elles des vengeurs religieux. D'obscurs infortunés avaient rencontré de généreux patrons. Les préjugés de corps, une vanité tout à la fois puérile et cruelle un esprit indomptable d'orgueil, de tyrannie et de haine s'étaient armés en vain de tout leur pouvoir, pour étouffer les gémissemens, et pour punir les pro

tecteurs de l'innocence. Ces gémissemens n'en avaient retenti que plus haut ; ces protecteurs n'en avaient été que plus dévoués à la cause qu'ils avaient embrassée. La philosophie, qui dans cette carrière ne courait pas risque de s'égarer, avait prêté tout son appui aux victimes, c'est-à-dire à l'humanité entière. La magistrature elle-même voyait, chaque jour, sortir de son sein des dénonciateurs magnanimes de ses routines barbares, les Servan, les Niondar, les Morvau ( ce nom était pur alors), les Argis, les Catelau, tant d'autres, et ce Dupaty, dont les mémoires condamnés au feu venaient d'arracher trois innocens au supplice de la roue. De tous côtés on demandait que l'instruction d'un procès criminel fût surveillée par l'œil du public: qu'un accusé obtînt un conseil pour défendre sa vie et son honneur: que l'innocence, toujours présumée jusqu'à la condannation, mit à l'abri de l'outrage un prévenu à qui la justice allait peut-être devoir une réparation que même un condamné ne pût être livré à des peines arbitraires, que la question avant la mort fût supprimée comme l'avait été celle avant le jugement que les juges fussent obligés de spécifier le délit qu'ils punissaient, et qu'on ne vit plus d'arrêt qui envoyât un homme à la mort pour les cas résultans du procès : qu'enfin un intervalle fût accordé entre la condamnation et le supplice; et que pour casser une sentence de mort déclarée nulle par la loi, on n'attendit pas que l'homme

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illégalement condamné eût été physiquement privé de la vie qu'on ne pouvait plus lui rendre. Voilà les objets, voilà les voeux qui étaient presque tous remplis par la troisième déclaration du roi.

Passant de l'administration de la justice aux formes de la législation, à ce grand changement qui était, on ne peut le nier, une révolution complète dans le gouvernement français, Lamoignon commença par exposer ce qu'il fallait voir dans cette Cour unique et suprême que le roi venait d'annoncer. Étrangère sans doute aux habitudes des derniers siècles, elle n'était cependant une innovation ni dans les annales, ni dans le droit public de la monarchie française. Le roi ne faisait que rétablir aujourd'hui ce tribunal supérieur autrefois existant, cette Cour plénière, que deux monarques français, dont un surnommé le Sage, avaient définie « le consistoire des féaux et des barons, la cour du baronnage et des pairs, le parlement universel, la justice capitale de la France, la seule image de la majesté souveraine, la source antique de toute la justice du royaume et le principal

conseil des rois. >>

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Le fond de cette Cour plénière devait être composé du chancelier ou garde-des-sceaux de France, et de la grand'chambre tout entière du parlement de Paris, dans laquelle prendraient séance les princes du sang, les pairs du royaume, les grands officiers de la couronne, des prélats, des maréchaux de France, des gouverneurs de provinces, d'au

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