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ses collègues nommé Goislard, qui l'avait aidé dans sa manœuvre et imité dans sa passion.

Les deux magistrats avaient dû être arrêtés chacun dans sa maison, à la pointe du jour. On s'y présenta en effet. Comment l'un et l'autre parvinrent à s'échapper, c'est ce qui est difficile à comprendre, sans soupçonner quelque collusion de la part du chef de la police, qui, comme l'on sait, appartenait à la magistrature. Quoi qu'il en soit, d'Éprémesnil couvert de l'habit de livrée d'un de ses gens, Goislard déguisé d'une autre manière, coururent se réfugier au Palais où, s'étant revêtus de leurs robes magistrales, ils dénoncèrent au premier président l'attentat formé contre leurs personnes. Convoquer le parlement, assembler les chambres, inviter les pairs, mettre sous la sauvegarde de la loi les deux magistrats menacés, tout cela fut l'affaire d'une heure. Alors le parlement arrêta d'envoyer sur-le-champ une députation au roi à Versailles, et de rester en séance jusqu'au retour des députés.

Ils revinrent annoncer que le roi avait refusé de les recevoir, en leur faisant dire qu'il voulait être obéi, et que les deux magistrats se rendissent prisonniers. On résolut à l'instant l'envoi d'une nouvelle députation. Il fut arrêté de plus que la délibération serait continuée pendant la nuit, et que la Cour persévérerait à recueillir dans son sein et à défendre par sa présence ceux de ses membres qu'on voulait lui enlever.

Pendant la nuit les magistrats, du lieu de leur séance, entendaient d'abord un bruit tumultueux, bientôt après des pas de chevaux et un cliquetis d'armes. C'étaient un détachement de gardes-françaises, un de gardes-suisses, et un troisième de cavalerie qui investissaient le Palais. Les deux magistrats menacés eurent recours à leur déguisement du matin, et essayèrent, mais en vain, de s'échapper. Il leur fallut reprendre leur robe et remonter à leurs places. Bientôt avenues, corridor, salles, tout fut occupé. Les portes de la grand'chambre étaient fermées : le major des gardes-françaises s'y présenta avec des sapeurs, menaçant de les enfoncer si l'on refusait de les ouvrir. Elles furent ouvertes.

Ce major était connu par une fermeté extrême : gentilhomme de la plus ancienne extraction, rempli de l'idée de ses ancêtres, il était bien plus enclin à outrer les principes d'honneur qu'à les oublier un instant. Une fois il s'était cru offensé par un prince du sang, et, en affectant de se trouver partout sur son passage, lui avait fait comprendre qu'il osait lui demander une satisfaction : le prince avait eu la générosité de deviner l'appel et de s'y rendre le digne petit-fils du grand Condé s'était battu en duel avec le marquis d'Agoust. Il n'était pas dans la nature d'un tel homme de se faire comme on l'a dit dans ces temps d'exagération, le vil instrument du despotisme ministériel; mais, serviteur du roi, il croyait de son devoir d'obéir dès

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que le roi ordonnait. Frappé, en entrant dans la grand'chambre, par le spectacle imposant de cent cinquante magistrats et de dix-sept pairs de France, qui tous en silence offraient sur leur visage l'empreinte de la douleur et de l'indignation, le marquis d'Agoust déclara qu'il s'était vu à regret chargé de l'exécution d'ordres rigoureux, mais que ces ordres devaient être obéis, et qu'il fallait que MM. d'Éprémesnil et Goislard se remissent entre ses mains. On lui demanda s'il les distinguait dans le nombre des magistrats qu'il voyait assemblés? Il répondit qu'il ne les connaissait point. On lui répliqua «< que, s'ils étaient présens, ils ne pou» vaient lui échapper, puisque la salle était envi>> ronnée de toute part; que la Cour des pairs était » occupée à délibérer; qu'elle attendait le retour » d'une députation envoyée vers le roi, et qu'il » était requis de se retirer, jusqu'à ce que la déli» bération fût achevée, et l'effet de la députation » connu. >> Il se retira.

Le gouvernement resta inflexible. La seconde députation revint comme la première sans avoir pu pénétrer jusqu'au roi. Le marquis d'Agoust reçut de nouveaux ordres, rentra dans la grand'chambre, et somma le premier magistrat près duquel il se trouva de lui montrer M. d'Éprémesnil. Sur la réponse du magistrat qu'il n'était pas fait pour être le délateur de son collègue, le major conjura la Cour de ne pas le réduire à une extrémité affreuse, entre le respect qu'il voulait toujours por

ter au parlement, et la fidélité qu'il devait au roi. A ce mot il se forma, dit-on, un groupe de jeunes conseillers, qui mirent dans leur centre les deux coupables. Un magistrat moins jeune et moins exalté observa que, s'il était un des deux individus sommés de se rendre, il ne se croirait pas permis de compromettre pour sa cause personnelle le parlement tout entier. Ce mot peu généreux fut saisi généreusement par d'Éprémesnil. Il fendit les rangs qui le couvraient, se nomma et entraîna Goislard par son exemple. Avant de sortir, il fit au parlement un adieu pathétique et courageux, déplorant la perte de la liberté publique, l'avilissement de la magistrature, et la profanation du sanctuaire des lois. Il demanda au ciel d'être la seule victime du despotisme ministériel, et lui et son compagnon d'infortune, s'arrachant du milieu des embrassemens et des larmes de leurs collègues, sortirent de la grand'chambre. Deux exempts de police les attendaient, et les conduisirent à deux voitures qui devaient mener l'un aux îles Sainte-Marguerite et l'autre à Pierre-en-Cise. En traversant la cour du Palais, et sur le marche-pied de la voiture, d'Éprémesnil essaya de remuer le peuple. Il lui demanda comment il pouvait laisser traiter ainsi ses magistrats? Quelques cris perdus s'élevèrent çà et là, mais il n'y eut pas l'ombre de mouvement. L'auteur de cette narration se rappelle que le désir d'observer de près des événemens qui acquéraient tant d'importance le conduisit ce jour-là au Palais.

peu

Il entendit des jeunes gens, qui étaient loin d'appartenir à ce qu'on appelle communément le ple; il les entendit demander à des gardes-françaises, sous les armes, si, dans le cas où l'on voudrait délivrer le parlement, ils tireraient sur leurs concitoyens? et il entendit le soldat répondre constamment : « Je tirerais sur mon ami, je tirerais sur » mon frère, si j'en recevais l'ordre (1). »

Les deux magistrats une fois emmenés, le marquis d'Agoust acheva de remplir ses instructions ultérieures. Le roi enjoignait à tous les membres du parlement de se séparer : ils obéirent. Tous défilèrent en robe entre la double haie de fusiliers. Le major ferma les portes du Palais et en emporta les clefs (2).

Dès le lendemain le parlement reçut l'ordre de se transporter à Versailles le jour suivant pour la tenue de ce lit de justice tant annoncé. Avant de sortir de Paris les chambres se réunirent au Palais, et renouvelèrent l'engagement de regarder comme non avenu tout ce qui allait se passer à Versailles.

(1) Quatorze mois après, les soldats qui avaient prononcé ces paroles s'associaient aux Parisiens pour repousser les troupes et pour s'emparer de la Bastille. (Note des nouv. édit.)

(2) M. Sallier ayant mêlé au récit de cette séance des particularités qui lui donnent un caractère encore plus dramatique, sans lui rien ôter de sa fidélité, nous avons extrait des Annales françaises tout ce morceau que nos lecteurs retrouveront avec plaisir dans les éclaircissemens, sous la note (H).

(Note des nouv. édit.)

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