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néral que nous venons de tracer, semblait devoir rappeler le crédit public au secours des finances, seule partie malade dans l'administration.

Tout-à-coup, comme si elles eussent craint que le crédit public ne se relevât des blessures sans nombre qu'elles lui avaient portées, les chambres assemblées du parlement de Paris imaginèrent d'envoyer au roi, le 13 avril 1788, des remontrances sur la séance royale du 19 novembre 1787, pour répéter que le parlement n'avait eu aucune part à l'enregistrement des emprunts ordonnés à cette séance, et que ces emprunts étaient illégaux.

A quelques jours de là, un de Messieurs dénonça les recherches que faisaient les contrôleurs de vingtièmes pour établir la taxe des contribuables dans les provinces qui n'avaient pas abonné cet impôt. Le parlement reçut la dénonciation, arrêta, il faut le dire pour le croire, que l'augmentation progressive des vingtièmes ne devait pas suivre l'augmentation progressive des revenus, ce qui était dire que le vingtième ne devait pas être le vingtième ; ordonna qu'il serait informé de l'existence et de la conduite des contrôleurs, et que les gens du roi rendraient compte des informations à la Cour dans un mois.

Les prêteurs craignirent d'être ruinés, les contrôleurs d'être pendus; on ne porta point aux emprunts, on ne perçut point l'impôt.

Cependant la fermentation continuait dans tous les autres parlemens, et chaque jour en augmen

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tait la violence. La question générale de lettresde cachet avait survécu à la délivrance des individus qui en avaient été frappés quelque temps. Plusieurs provinces restaient privées du bienfait d'une assemblée provinciale, parce qu'une Cour de justice leur avait défendu d'en jouir, et parce qu'un don du roi à ses peuples avait été intercepté par ses juges. Des parlemens s'écrivaient entre eux pour s'enhardir à la résistance; d'autres écrivaient au souverain pour lui déclarer qu'ils ne lui obéiraient pas, et pour le sommer d'assembler immédiatement les états-généraux. Ils s'accordaient sur un point, et se contredisaient sur un autre. Un commandant, un commissaire du roi entraient dans une de ces Cours pour faire enregistrer un édit; le tribunal tout entier disparaissait, et laissait le commandant seul avec le greffier et le premier président. La loi enregistrée, le commandant parti, tout le tribunal accourait pour déclarer l'enregistrement nul. Les routes étaient couvertes de grandes députations des parlemens, qui allaient à Versailles voir biffer leurs registres de la main du roi, et qui retournaient dans leur ville couvrir une nouvelle page d'un nouvel arrêté plus audacieux que celui qui venait d'être annulé. Plus ces actes étaient incendiaires, plus ils respiraient la révolte, et plus on s'empressait de leur donner une publicité effrayante. L'impossibilité de gouverner arrivait rapidement. Le premier ministre, possédant en vain toute la con

fiance du roi, parvenu auprès de son maître à un excès de crédit dont lui-même se disait effrayé, allait se trouver dénué de toute espèce de pouvoir. Il avait à lutter contre la nature autant que contre les hommes. Une mauvaise complexion, d'anciennes infirmités, une tête faible, un sang allumé par le travail et le chagrin, le mettaient toutes les semaines aux portes de la mort. Sans cesse les médecins lui défendaient de s'occuper même d'une seule affaire, et il s'acharnait à porter le poids de toutes. C'est dans un état si déplorable, du milieu de cette faiblesse physique et morale, que l'archevêque de Toulouse, devenu archevêque de Sens, méditait d'opérer à la même heure sur toute la surface de France un changement qui, devant rencontrer de tels obstacles, eût exigé la réunion d'un ministre aussi fort que Richelieu, avec un roi aussi soumis dans le conseil et aussi brave dans l'action que l'était Louis XIII.

Tous les commandans, tous les intendans de provinces eurent ordre de se rendre chacun à son poste; d'y attendre les instructions qu'ils recevraient tous le même jour, et de les exécuter sans se permettre la plus légère altération. On vit, dans Versailles, des sentinelles placées à la porte et à chaque fenêtre de l'imprimerie royale. Aucun des ouvriers qu'on y employait ne put en sortir : ils dormaient dans l'atelier, et recevaient leur nourriture du dehors. Un lit de justice fut annoncé comme étant très-prochain, et devant être très

solennel. On parlait de venger à la fois l'autorité royale et l'intérêt des peuples, de couper d'un seul coup la racine de toutes ces insurrections parlementaires. Une anxiété générale parcourait les premières classes de la société, et les magistrats la ressentaient particulièrement.

Un de ces magistrats dont nous avons dejà parlé, cet homme qui ne manquait ni de talens, ni de lumières, ni de courage, mais si ardent, si tourmenté du désir de la célébrité, si infatué des prétentions chimériques de son corps ; cet homme qui devait être successivement l'injuste détracteur de la noblesse et de la royauté, puis le flatteur pernicieux de l'une et de l'autre, puis la déplorable victime de ses excès dans tous les sens, le conseiller d'Éprémesnil parvint à corrompre la femme d'un de ces ouvriers enfermés dans l'imprimerie royale, et par elle son mari. On lui apporta dans une boule de terre glaise plusieurs feuilles imprimées : il connut quelques dispositions des édits qui allaient se produire.

A peine avait-il les feuilles entre les mains, et déjà il courait chez le premier président, demandait l'assemblée des chambres, leur dénonçait ce qu'il savait des projets ministériels, et faisait la motion d'un serment, par lequel tous les membres se lieraient à n'autoriser aucune innovation, et à ne prendre place dans aucune compagnie qui ne serait pas le parlement lui-même, composé des mêmes personnages et revêtu des mêmes droits.

Ce serment fut prêté : il servit de prélude à celui du jeu de paume, qui devait suivre onze mois après. Une déclaration fut rédigée, qui préluda de même à la déclaration des droits, et dans laquelle le parlement ne manqua pas de ramener la question populaire de la liberté individuelle. Il rangea parmi les droits de la nation celui d'accorder librement les subsides par l'organe des états-généraux, parmi les droits du citoyen celui sans lequel tous les autres sont inutiles, de ne pouvoir être arrêté par quelque ordre que ce soit, si ce n'est pour être remis sans délai entre les mains de juges compétens.

Les pairs étaient à la séance, et la déclaration et le serment passèrent à l'unanimité.

Instruit de ce qui venait de se passer, le premier ministre en conçut un ressentiment aisé à expliquer, et que ses collègues partagèrent. Le succès des opérations qui allaient se développer reposait principalement sur le secret qui devait les couvrir, jusqu'à l'instant précis où elles seraient manifestées dans le lit de justice. Le roi se sentit vivement offensé.

Un arrêté du Conseil cassa l'arrêté pris la veille par le parlement de Paris, avec la défense, tant de fois bravée, d'en rendre de pareils à l'avenir sous peine de désobéissance. Quant au conseiller d'Éprémesnil qui avait été le promoteur de cette séance et des résolutions qu'on y avait prises, un ordre secret fut donné pour l'arrêter, lui et un de

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