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les résolutions de l'assemblée. Les officiers municipaux, qui représentaient le tiers-état, étaient inconnus l'un à l'autre. On doit à leur sagesse et à leur patriotisme la justice de remarquer qu'ils s'élevèrent avec autant de force que les deux premiers ordres contre la confusion des rangs.

Le contrôleur-général ne perdit pas courage, et fut encore soutenu par le roi. Il demanda un comité général chez Monsieur. Là, il fit seul face à tous les attaquans, et s'il ne réduisit pas ses adversaires au silence, il les força du moins à l'admiration de ses talens. Cependant il battit en retraite. Il déclara, au nom du roi, que les notables pouvaient délibérer non-seulement sur la forme, mais sur le fond des projets. Il admit la possibilité de percevoir l'impôt territorial en argent et non en nature, pourvu qu'on offrit une somme capable de couvrir le déficit, c'est-à-dire cent douze millions. Il y eut plusieurs mots frappans proférés dans cette discussion. Le ministre s'étant laissé aller à dire généralement que le roi pouvait imposer à volonté, et qu'il ne croyait pas qu'il y eût personne dans cette assemblée qui le niât : « Il y a » moi, dit l'archevêque de Narbonne, et je ne se» rai pas seul. L'impôt, soit dans sa quotité, soit » dans sa durée, doit avoir la même borne que le >> besoin public qui le fait établir, et qui seul le » justifie. » L'archevêque d'Arles, aussi imposant par son caractère que par sa vaste érudition, exprima fortement le doute qu'aucune autre assem

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blée que celle des états-généraux de France pút prendre sur elle d'ajouter un fardeau si énorme aux taxes que supportait déjà la nation. Avec d'autant plus de force que c'était avec plus de sagesse, l'archevêque de Bordeaux insista sur la nécessité de produire tous les états de recette et de dépense, depuis l'année 1781 jusqu'au déficit de 1787, afin que justice fût faite à tous, et que le crédit pût renaître de la confiance publique attachée à l'un ou à l'autre. L'archevêque d'Aix reprit tous les argumens pour et contre, et se signala par une discussion qui, selon l'expression de l'archevêque de Narbonne, lui mérita les honneurs de la journée.

Calonne marcha en avant. Il traversa la seconde, et entra dans la troisième division de son plan, avant que les notables eussent rien décidé sur l'article le plus important de la première, le remplacement du déficit.

Ces notables persistaient à ne vouloir rien statuer, qu'on ne leur eût communiqué les états des finances, et le ministre persistait à les refuser. En leur présentant les nouveaux mémoires, il les félicita sur l'analyse lumineuse qu'ils avaient faite des premiers. Il se félicita lui-même de l'approbation qu'ils lui avaient donnée, faisant porter uniquement sur la forme les différences d'opinions qui existaient entre l'assemblée et le gouvernement (1).

(1) Le ministère, comme on l'a vu plus haut, avait alors pour doctrine qu'au roi seul appartenait le droit de fixer l'impôt, et que

Les notables, qui prétendaient différer sur le fond, ne voulurent pas passer cette tournure oratoire. Ils supplièrent le roi de faire remettre à chaque bureau le discours que venait de proférer M. le contrôleur - général, et chaque bureau protesta contre le prétendu assentiment qu'avait supposé le ministre. La méfiance était au comble : il était

l'assemblée des notables n'avait à donner d'avis que sur la manière de le percevoir. On colporta secrètement, à ce sujet, une caricature qui représentait un fermier au milieu de sa basse-cour, entouré de poules, de coqs, de dindons, de canards : on lisait ce petit dialogue au bas de la gravure :

LE FERMIER.

Mes bons amis, je vous ai rassemblés tous pour savoir à quelle sauce vous voulez que je vous mange.

UN COQ (dressant sa crête).

Mais nous ne voulons pas qu'on nous mange.

LE FERMIER.

Vous vous écartez de la question.

La poésie s'empara de cette idée. Pour ne rien omettre, nous citerons la pièce de vers qu'on fit courir à cette époque; mais nous pensons que la rime et la mesure font perdre à cette plaisanterie beaucoup de sa vivacité : le lecteur en jugera.

« En ce temps-là Calonne dit à ses disciples: Le royaume de France est semblable à un père de famille, qui, ayant assemblé dans sa cour les principaux de ses animaux domestiques, leur parla en ces termes :

>> Mes chers amis et bonnes bêtes, >> Coqs, canards, poulets et dindons, » Essayez en grattant vos têtes

» D'en tirer de bonnes raisons,

» Et sur la forme et non le fonds,

>> Discutez tous tant que vous êtes.

impossible que le roi ne commençât pas à en être frappé. L'archevêque de Toulouse, qui avait un plan à lui tout seul, indépendamment de celui qu'il suivait avec son corps, parlait beaucoup dans les comités du clergé, fort peu dans l'assemblée des notables, poussait en avant ses collègues, et se tenait lui-même sur la réserve. Déjà il avait eu l'adresse de se faire demander des notes secrètes qui étaient remises au roi, et que le roi lui renvoyait apostillées. Le rédacteur s'était bien gardé de donner à cette correspondance le caractère d'intentions hostiles contre le ministre. C'était uniquement la marche de l'assemblée, le progrès des affaires et l'instruction du roi, dont il paraissait préoccupé; mais on juge aisément tout le parti qu'il devait tirer d'un tel moyen pour ses vues per

sonnelles et secrètes.

Eh bien! M. de Calonne l'eût emporté, si, en publiant ses mémoires de la première et de la se→ conde division, il eût imprimé deux pages de moins. La résistance faiblissait de jour en jour. Le duc de Nivernais avec sa grâce et sa douceur, le duc da Châtelet avec sa loyauté et son patriotisme, avaient

» Le plus hardi de mes valets,

» Qu'un grand amour du bien domine,

» M'apprend que le ciel vous a faits

» Pour ma gloire et pour ma cuisine.

» Je prétends donc vous croquer tous,
» Tel est mon petit manifeste.

» Sur la sauce décidez-vous.....

» Mon cuisinier fera le reste. >>

Note des nouv.édit.)

cherché des moyens de conciliation. Ils avaient proposé qu'on formât toujours les assemblées provinciales, qu'on les consultât sur l'impôt le moins onéreux à établir pour combler le vide des fi¬ nances, et qu'on mît le gouvernement, par un secours passager, en état d'attendre la délibération de ces assemblées. Cet expédient avait été accueilli avec beaucoup de faveur. Monsieur (1), frère du roi, avait écrit un mémoire qui, communiqué à tous les bureaux, avait gagné presque tous les suffrages. C'est dans ce moment que M. de Calonne fit ou laissa imprimer, en tête de ses mémoires, un avertissement rédigé par l'avocat Gerbier, écrit dangereux malgré la mesure qu'on avait cherché à y mettre, dont l'intention sans doute n'était pas sans excuse, dont le contenu peut-être n'était pas sans justice, mais qui, dans la circonstance, fut regardé comme un cri d'insurrection adressé au Tiers contre les ordres privilégiés (2). Les notables

(1) Aujourd'hui S. M. Louis XVIII.

(2) L'un des meilleurs ouvrages que nous possédions sur l'histoire de notre époque, les Annales françaises de M. Sallier, rendent compte en ces mots, et du changement qui s'opérait dans les esprits, et du tort irréparable que fit au ministre la publication de l'Avertissement dont il s'agit.

<<< Calonne n'eut pas la satisfaction de jouir un seul jour de l'avantage de ce changement. L'archevêque de Toulouse et les amis de M. Necker s'étaient réunis pour lui porter les derniers coups. On effraya le roi sur le danger de vouloir conserver un ministre que la France entière accusait de ses malheurs. Dans ce dernier moment de crise, Calonne avait employé dix millions à soutenir les effets publics à la Bourse. Il l'avait fait sans prendre l'agrément

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