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1781, au lieu d'un excédant de dix millions, il y avait eu un vide de cinquante à soixante dans la recette. M. Necker, qui lui avait proposé en vain une explication franche et mutuelle en présence du maréchal de Castries, fut indigné de se voir dénoncer à l'univers comme un imposteur. Il écrivit au roi, lui demanda la permission de venir dans l'assemblée des notables, et en présence de Sa Majesté prouver la vérité du Compte rendu, n'obtint pas sa demande, publia une réponse à l'attaque du contrôleur-général, qui ne lui répliqua qu'en le faisant exiler. Il résulta de là que Necker fut ramené sur le théâtre public par celui qui avait le plus d'intérêt à le laisser dans la solitude. Ses amis, qu'on eût accusés de témérité si, sans provocation, ils avaient voulu le mettre en avant, ne parurent plus que justes quand ils le défendirent contre une attaque gratuite, et quand ils le plaignirent de ce qu'on l'exilait, sans avoir égard à sa justification.

Les notables, qu'on ne pouvait pas exiler, demandèrent unanimement la communication des états de recette et de dépense. Le premier mot du ministre dans son cabinet fut: « Ces messieurs >> sont bien curieux (1). » Sa réponse officielle an

(1) Fidèles au caractère français, le contrôleur-général et le public faisaient assaut de plaisanteries au sujet du déficit et de l'assemblée des notables; nous ne croyons pas ces détails, tout frivoles qu'ils sont, indignes d'être rapportés, parce qu'ils peignent le temps, les hommes, et les dispositions des esprits.

M. de Calonne était à jouer au trictrac, lorsqu'il entendit M. le

nonça que le roi n'avait prétendu consulter les notables que sur les moyens d'exécution, et non sur le fond de ses projets qui étaient arrêtés. Tous les bureaux se récrièrent. L'archevêque d'Arles, l'archevêque de Narbonne, le procureur-général du parlement de Provence et le marquis de La Fayette parlèrent d'états-généraux. « Mon avis, dit le pro» cureur-général, M. de Castillon, est qu'on ôte » ce papier de dessus cette table ( en montrant la >> réponse du contrôleur-général), et que nous nous » mettions à délibérer sur le fond et la forme de » tous ces projets, depuis la première jusqu'à la » dernière ligne. » Il fut avéré qu'on ne pouvait,

vicomte de Ségur qui fredonnait au coin de la cheminée ce vieux couplet :

Voulez-vous savoir le souverain bien?

C'est de manger tout, de ne laisser rien,

Voir les fillettes,

Boire du bon,
Envoyer ses dettes

A Colin-Tampon.

Vous me feriez plaisir, mon cher vicomte, lui dit-il, de me donner l'adresse de ce monsieur-là?

Parmi cette foule de calembourgs et de jeux de mots qu'on entendait répéter tous les jours sur l'assemblée des notables, nous n'en citerons qu'un seul. Un M. Gobelet faisait partie de l'assemblée; avant d'être pourvu de la dignité de premier échevin, il avait été long-temps marchand bonnetier; il se plaignait à un ami de l'embarras où il allait se trouver pour remplir dignement son rôle dans l'assemblée des notables. « Ce que je vous conseille, lui répliqua celui-ci, c'est de parler bas et d'opiner du bonnet. » (Note des nouv. édit.)

au dix-huitième siècle, ni convoquer, ni traiter légèrement une assemblée nationale, quelle que fût sa forme; et que lui présenter des affaires d'État, c'était les lui soumettre.

Une autre pensée dont M. de Calonne était encore préoccupé, c'était l'envie déterminée qu'il supposait aux évêques de le perdre à tout prix, parce qu'il voulait, et avec autant de justice que de raison, assujettir les biens ecclésiastiques à la contribution commune et proportionnelle qu'il proposait pour tous les autres biens du royaume. Les évêques niaient cette malveillance contre le ministre approuvaient même hautement une partie de ses projets, et convenaient surtout du principe d'une contribution égale : mais le clergé avait, dans son régime intérieur, un genre et un mode d'impositions si juste, si paternel, si économique, si parfait, il faut le dire, que c'était pour ses représentans non-seulement un droit, mais un devoir de défendre ses formes et peut-être en était-ce un pour tout ministre de déférer, sur la question générale, au corps de l'État qui avait de beaucoup les lumières les plus étendues pour la décider. Une conférence désirée par le roi s'établit entre le ministre et cinq prélats principaux, les archevêques de Narbonne, de Toulouse, d'Aix, de Bordeaux et de Rheims. Quoique l'objet prononcé de cet entretien fût ce qui, dans les plans de M. de Calonne, regardait particulièrement le clergé, il était impossible que cette partie de son système subît un

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examen, sans entraîner la discussion de tout le reste. «Tenez, monseigneur, » dit-il à l'archevêque de Toulouse, « accordez-moi une trêve » pour tout le temps de l'assemblée des notables. »Ne soyons qu'au roi et à l'État. Il n'y a personne >> ici qui ne doive frémir si cette opération échoue. >> C'est une dernière ressource. J'ai dit et répété » au roi qu'elle devait sauver l'État, mais qu'elle pouvait le perdre ; qu'il fallait ou ne pas entre» prendre, ou exécuter. Le roi est encore ferme. >> On peut l'ébranler : on metttra tout en combus>>tion. Faisons un marché vous et moi; soutenez » mon operation, et ensuite prenez ma place. C'était bien là ce que l'archevêque de Toulouse avait au fond de sa pensée; et M. de Calonne ne se trompait qu'en attribuant à tout le clergé en corps les dispositions que quelques-uns de ses • membres nourrissaient réellement envers lui. Le prélat repoussa en ricanant les injustes préventions du ministre. L'archevêque de Narbonne, avec plus de franchise, dit à M. de Calonne : « Vous >> voulez donc la guerre ? Eh bien! vous l'aurez. » Nous vous la ferons bonne, mais franche et ou>> verte. Au moins vous vous présentez aux coups >> de bonne grâce. Monseigneur,» répondit Calonne, en regardant encore l'archevêque de Toulouse, « je suis si las de ceux qu'on me porte par » derrière, que j'ai résolu de les provoquer de » front; » et la conférence finit là.

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Les sept bureaux de notables, présidés par les

sept princes du sang, déclarèrent unanimement les assemblées provinciales bonnes en elles-mêmes, mais, dans la forme proposée, contraires aux institutions monarchiques; la subvention territoriale impraticable en nature, et la taxe qu'on y substi tuerait impossible à consentir, tant qu'on n'aurait pas communiqué les états de recette et de dépense. Les autres mémoires furent loués et accueillis. Enfin le contrôleur-général trouva, dans la délibération unanime des bureaux, tous les jugemens qui lui avaient été prononcés dans la conférence des cinq évêques. A dire vrai, le clergé conduisit cette première assemblée des notables. Il avait pour lui l'instruction, l'expérience, le lien de la confraternité, et un centre de réunion. Tous les soirs les membres ecclésiastiques de chaque bureau se ras⚫semblaient chez l'archevêque de Narbonne. On rendait compte de ce qui s'était passé le matin; on arrêtait l'opinion qu'on émettrait le lendemain. Le marquis de La Fayette, jaloux pour la noblesse de l'ascendant exclusif du clergé, et impatient pour lui-même de jouer un rôle dans la paix après avoir rempli un si brillant dans la guerre, voulut en vain que son ordre se donnât aussi un point de réunion. Les membres des parlemens tenaient de petits conseils mystérieux chez le garde-des-sceaux, parlaient fort peu dans les bureaux, observaient plutôt qu'ils onçaient, et se réservaient évidemment pour le temps, où leur tour viendrait, c'est-à-dire où l'on enverrait à leur enregistrement

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