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mêlés de la Bretagne avec le duc d'Aiguillon. Il semble que tous les hommes justes et impartiaux s'accordaient à lui trouver des connaissances variées en administration; un esprit fécond en expédiens; une facilité remarquable soit de concep→ tion, soit de travail, soit d'élocution; du désintéressement personnel, c'est-à-dire de l'ambition sans cupidité; dans la manière de traiter les affaires, de la noblesse, de l'aisance, de l'aménité; une confiance qui allait jusqu'à l'abandon, et là commençait le danger; beaucoup d'envie de plaire, ce qui rend les refus difficiles; et une imagination sans bornes, qui fait croire à des espérances sans réalité. Il alla prêter serment comme contrôleur-gé néral, au mois de novembre 1783.

En décembre 1783, un mois après la conclusion de la paix, il y eut un' emprunt de cent millions en rentes viagères, pour acquitter les dépenses de la guerre.

En décembre 1784, il y eut un emprunt de cent vingt-cinq millions, remboursable en vingt-cinq ans, pour continuer l'acquittement des dettes de la guerre.

...En décembre 1785, il y eut un emprunt de quatrevingts millions, remboursable en dix ans, pour achever le paiement de toutes les dettes de la guerre, pour effectuer l'apurement total de toutes celles arriérées dans les différens départemens, et pour soutenir cette abondance de fonds si nécessaire au succès des opérations les plus utiles.

En septembre 1786, il y eut un emprunt de trente millions fait la ville de Paris, pour être

par

versé dans les coffres du roi.

En février 1787, après un autre emprunt de cinquante millions fait par la caisse d'escompte, pour être aussi versé dans les coffres du roi, il y eut une assemblée de notables choisie dans les trois ordres du royaume, et deux grands résultats furent tout-à-coup révélés à la nation : l'un que, depuis l'année 1776, les emprunts publics s'étaient élevés à un millard six cent quarante-six millions; et l'autre, qu'il existait actuellement dans le revenu un déficit annuel, évalué par le ministre à cent douze, et qui fut bientôt porté par les notables à cent quarante millions.

J'ai voulu d'abord rapprocher toutes ces époques sous l'unique point de vue des calculs, afin de faire concevoir le cri de surprise et d'indignation qui retentit dans toute la France, au moment de cetle inattendue et terrible manifestation.

Six ans s'étaient à peine écoulés entre le Compte rendu de M. Necker, qui, en pleine guerre, avait montré un excédant de dix millions dans la recette, et le Compte rendu de M. de Calonne, qui, la quatrième année de la paix, présentait un déficit de cent quarante millions dans cette même recette, augmentée cependant de quatre-vingts depuis la reddition du premier compte.

Il ne se trouvait que quatorze mois de distance entre l'édit par lequel M. de Calonne avait entre

tenu la nation de l'abondance des fonds, et le discours où il venait lui annoncer un vide effrayant! Le ministre souleva contre lui l'opinion publique. Les parlemens, qui se faisaient un devoir de lui servir d'organe, adressèrent les plus vigoureuses remontrances. Ils refusèrent d'enregistrer ses nouveaux édits; et chaque fois qu'ils furent, à cause de leur conduite, en butte aux persécutions de la cour, le peuple leur ménagea les honneurs d'un triomphe.

Dans une telle disposition d'esprits, M. de Calonne jugea qu'il n'avait plus rien à obtenir par les parlemens. Il eut encore cependant l'habileté de faire les deux emprunts indirects dont j'ai parlé, l'un sous le nom de la ville de Paris, l'autre par l'entremise de la caisse d'escompte; puis il résolut d'exécuter son grand plan d'amélioration générale, et de l'exécuter par une assemblée de notables.

Henri IV avait convoqué la dernière assemblée de ce genre: Louis XVI fut transporté à l'idée de suivre un tel exemple. Il y avait parité de but ainsi que de moyen. Tous les plans de M. de Calonne, considérés en eux-mêmes, tendaient évidemment à soulager le peuple, en même temps qu'à secourir l'État. Le roi les avait étudiés, se les était appropriés, avait juré plusieurs fois de ne jamais se désister de leur exécution. Le lendemain du jour où la convocation des notables fut rendue publique à l'issue du Conseil, le roi écrivit au contrôleur-gé

néral : « Je n'ai pas dormi de cette nuit, mais c'é» tait de plaisir. »

Le choix des notables fut fait dans les trois ordres de l'État avec un scrupule et une impartialité honorables pour le ministre. Il appela plusieurs personnes qu'il savait n'être rien moins que bien disposées pour lui, mais dont les lumières lui semblaient précieuses pour l'État. La magistrature forma, pour ainsi dire, dans cette assemblée un quatrième ordre, ce qu'elle avait tenté déjà en 1558, et parmi les magistrats appelés furent les premiers présidens et les procureurs-généraux de tous les parlemens du royaume.

On observa dans le temps que, par la division de l'assemblée en sept bureaux, le ministre pouvait avoir pour lui la majorité des bureaux, et contre lui la majorité des notables. On remarque aujourd'hui qu'avant de commencer les délibérations, le garde-des-sceaux proféra ces mots : « L'in» tention du roi est que, tant dans l'assemblée gé» nérale que dans les bureaux, l'ON PRENNE LES VOIX

» PAR TÊTE. >>

Un événement imprévu avait déjà compromis le succès de cette assemblée, avant même qu'elle fût ouverte. Le comte de Vergennes venait de mourir. Il avait succédé au comte de Maurepas dans la confiance intime du roi. Il approuvait les plans du contrôleur-général; il l'eût soutenu de tout son pouvoir, et la froide sagesse de l'un aurait tempéré la bouillante vivacité de l'autre. Dès lors on s'at

tendit à une lutte, et M. de Calonne entrait seul dans une arène remplie de ses rivaux.

Si cependant cet administrateur, même en révélánt aux notables le terrible déficit que personne ne soupçonnait, se fût borné à exposer sommairement l'état des finances dans le moment précis où elles lui avaient été confiées; l'inégalité entre les charges qu'il avait portées et les ressources qui lui avaient été fournies; la nécessité où il s'était vu de taire une si triste vérité, sous peine de ruiner le crédit dont on ne pouvait se passer; enfin ce qu'il avait déjà fait, malgré les difficultés dont il avait été environné, ce qui lui restait encore à faire, et les derniers obstacles qu'il avait à surmonter, mais qu'il ne pouvait plus surmonter seul, pour arriver à son but; il est plus que probable, il est presque certain que ces notables eussent soutenu non-seulement des projets aussi plausibles que l'étaient la plupart des siens, mais même le ministre qui les avait conçus, sauf quelques modifications apportées aux projets et quelques avis insinués à l'auteur. Mais le nom de M. Necker toujours répété, son fameux livre sur l'administration des finances cité partout comme un ouvrage classique, son Compte rendu de 1787, que les circonstances rappelaient sans cesse, causèrent à M. de Calonne un ombrage dont il ne fut pas le maître. Pour écarter ce rival redouté, il voulut ébranler la foi qu'avaient obtenue jusque-là les calculs de M. Necker. Il fit remonter le déficit à des siècles, avança qu'en

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