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soit qu'il faille bénir ou déplorer l'inévitable effet de l'imprimerie, le domaine de l'esprit s'étendait chaque jour par la communication de la pensée entre tous les hommes; l'esprit était devenu un département, auquel tôt ou tard il fallait que tous les autres ressortissent, car la force elle-même, si elle s'emploie avec stupidité, se détruit. On peut regretter que tant de ménagemens soient devenus nécessaires pour gouverner les hommes, et je n'ai point ici à examiner la nature de ce sentiment; mais quand cette nécessité est une fois arrivée, il faut savoir la subir et la tourner à son avantage.

Necker, le jour de cette première retraite, se vantait donc d'avoir soutenu trois années de guerre sans mettre un seul impôt; il avait été le ministre de la bienfaisance royale dans toutes ces pieuses et vastes institutions dont nous avons parlé; et il laissait au Trésor royal entre deux et trois cents millions (1).

(1) C'est une circonstance bien remarquable dans la vie de M. Necker, que deux fois sa sortie du ministère ait été considérée comme une calamité publique. Sa seconde retraite devait occasioner une révolution dans l'État ; la première avait excité un sentiment d'inquiétude et d'affliction presque générale. L'exaltation des esprits fut poussée fort loin ; on peut en juger par le morceau qu'on va lire. Il est extrait de la correspondance de Grimm qui se montre en général très-favorable à M. Necker, mais qui paraît n'être ici qu'un témoin fidèle.

<«< Si jamais ministre n'emporta dans sa retraite une gloire plus pure et plus intègre que M. Necker, jamais ministre aussi n'y re

Il fallait être hardi pour succéder à un ministre qui se retirait au milieu de circonstances semblables. Aussi Maurepas, tout en disant que l'homme impossible à remplacer n'était pas encore né, essuyat-il plus d'un refus de ceux à qui il proposa le contrôle-général. Lui-même en fut embarrassé malgré sa légèreté. Il trouva enfin un conseiller d'État, qui n'osa repousser l'offre jointe à la prière. C'était un courtisan de robe, vieilli avec souplesse dans la société des grands et dans les cabinets des ministres, ambitieux en petit, délié en intrigue et en chicane, inepte en finances et barbare en législation;du reste, grand conteur d'anecdotes amusant la jeunesse du Conseil par une manière d'opiner plaisante et quelquefois burlesque; cité par excellence pour

çut plus de témoignages de la bienveillance et de l'admiration publique. Il y eut, les premiers jours, sur le chemin qui conduit à sa maison de campagne à Saint-Ouen, à une lieue de Paris, une procession de carrosses presque continuelle. Des hommes de toutes les classes et de toutes les conditions s'empressèrent à lui porter l'hommage de leurs regrets et de leur sensibilité ; et dans ce nombre on a pu compter les personnes les plus respectables de la ville et de la cour, les prélats les plus distingués par leur naissance et leur piété, M. l'archevêque de Paris à la tête; les Biron les Beauveau, les Richelieu, les Choiseul, les Noailles, les Luxembourg, M. le duc d'Orléans; enfin, les noms les plus respectés de la France, sans oublier celui de son successeur, qui n'a pas cru pouvoir mieux rassurer les esprits sur les principes de son administration qu'en donnant lui-même les plus grands éloges à celle de M. Necker, et en se félicitant de n'avoir qu'à suivre une route qu'il trouvait si heureusement tracée. »>

(Note des nouv. édit.)

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savoir casser le cou aux affaires, éloge de mauvais augure dans la circonstance présente. Joly de Fleury, c'était son nom, offrit un ministre tout honteux de l'être : il avait à peine pris le fardeau, que déjà il en était accablé. Il eut au moins ou la bonne foi ou l'adresse de publier qu'il vivait de ce que son prédécesseur lui avait laissé en réserve; mais il n'avait pas l'habileté de le renouveler en le dépensant. Il établit un troisième vingtième sur lequel il ne fut point chicané par le parlement de Paris, où il avait l'avantage de compter deux frères et un neveu: malgré l'enregistrement libre et fraternel, l'impôt ne put jamais se lever en totalité, ce qui parut justifier complétement et l'assertion de l'abbé Terray et le système de M. Necker. Au défaut de l'impôt, il ouvrit un emprunt dont il n'y eut pas même une moitié de remplie. Il vit qu'il ne pouvait pas aller, et demanda la permission de résigner. C'était un de ces hommes qui ne manquaient pas une occasion de déplorer la diffusion des lumières, et l'on voyait qu'il les avait haïes jusqu'à refuser d'en prendre sa part. L'administration, selon lui, devait être aussi secrète que la procédure criminelle, et toutes deux devaient ressembler à l'inquisition. Le public n'avait rien à voir dans la fortune publique. Les avocats étaient de trop dans les procès, les écrivains dans les villes, surtout les maîtres d'écoles dans les villages. On eût cru, à entendre M. Joly de Fleury, qu'il ne savait pas administrer uniquement parce que les

paysans savaient lire. Il disparut, après avoir montré qu'il n'était guère plus avancé qu'eux pour les fonctions qu'il avait osé prendre, faute d'oser les refuser.

Un autre magistrat lui succéda, digne héritier d'un nom révéré dans les fastes de la justice et dans ceux de la vertu : mais de tout ce qu'exigeait alors le gouvernement des finances, il n'apportait avec lui que le scrupule et le désintéressement d'Aristide, que ses ancêtres lui avaient transmis de génération en génération (1). L'activité de son zèle allait de pair avec la pureté de son cœur, et pour d'autres objets, pour quelques parties mème de son nouveau ministère, on lui reconnaissait des talens; mais pour l'ensemble du contrôle-général, il était

(1) Je trouve dans les notes que j'ai recueillies sur la manière dont la reine s'exprimait au sujet des ministres que le roi venait de nommer, plusieurs réponses dans lesquelles éclatent et sa sagesse et son amour du bien public.

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Lorsque M. d'Ormesson fut nommé contrôleur-général des finances, les courtisans disaient : « Nos finances vont trouver à qui » parler. M. d'Ormesson est un magistrat intègre. C'est dommage qu'il soit presque aveugle. Pourquoi cela? demanda la >> reine. Madame, c'est que la fortune l'est aussi, répliqua» t-on, et que deux aveugles ensemble font toujours fausse route.>> La reine, qui avait beaucoup d'estime pour M. d'Ormesson, répondit : «En tous cas, si M. d'Ormesson n'y voit pas, sa probité >> le guidera. >>

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Lorsque M. de Malesherbes avait été appelé au ministère, elle lui avait dit: «< Le choix que le roi a fait de vous, Monsieur, prouve » que la vertu est toujours honorée, et le roi s'acquitte en ce jour » de ce qu'il lui doit. »

W.

trop jeune, et sa tâche trop compliquée. Un caractère fâcheux de son ministère, c'est qu'on s'en prévalut pour tourner en ridicule la probité d'un administrateur. Quelques courtisans, qui voulaient en mettre un autre à sa place, répétaient à tout propos un refrain qui, dans le fait, était leur censure et son éloge, mais qui, dans le pays où la frivolité avait tant d'importance, ne pouvait manquer de nuire aux affaires. On s'invitait à dîner; on se demandait : « Votre cuisinier est-il bon? » On répondait : « Non; mais il est bien honnête homme.>> Un autre disait : « J'ai un cheval terriblement fou>> gueux à dompter; j'ai ordonné qu'on me cher» chât un écuyer d'une probité à toute épreuve. » Il se commit une grande méprise : le gouvernement se mêla des paiemens de la caisse d'escompte. On crut qu'elle allait faire banqueroute. Tout Paris fut dans la rue Vivienne. Le gouvernement se rétracta, l'inquiétude se maintint, le ministre qui avait été surpris se retira. M. de Calonne, intendant de Flandre, M. de Meilhan, intendant du Hainault, furent annoncés par le public et par leurs amis; le premier fut nommé par le roi.

Depuis long-temps M. de Calonne avait été désigné pour cette place; il était appelé par les uns, craint par les autres; avait des amis passionnés et des détracteurs violens; devait les premiers à son personnel, les seconds à l'esprit de parti, surtout à la rancune parlementaire, pour avoir rempli les fonctions de procureur-général dans les dé

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