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banqueroutes, de spoliations, il était parvenu, selon ses calculs, à combler le déficit, moins cinq millions. Il en avait laissé cinquante-sept au Trésor, outre quatorze en réserve pour les besoins imprévus. Les anticipations étaient réduites à trois mois. Il avait fourni aux dépenses accoutumées, à des préparatifs de guerre, à la circonstance de trois mariages, et à beaucoup d'autres frais extraordinaires qui devaient rester secrets.

Turgot, recommandé au choix de Louis XVI par son génie, par sa vertu, par les bénédictions d'une province populeuse dont il avait été l'intendant, porta dans l'administration des finances un esprit de justice et un plan de bienfaisance universelle. << Il n'y a que M. Turgot et moi qui aimions le peuple, disait Louis XVI (1); » et pour l'amour du peuple ils abolirent ensemble les droits sur les blés, les entraves qui gênaient l'industrie, les restrictions sur le commerce des grains, enfin les corvées. Les partisans des abus s'alarmèrent. On souleva le peuple contre la loi qui devait le nourrir. On créa une disette factice au sein de l'abondance. La ré

le royaume avait été surchargé, était affectée aux dépenses de la Du Barry, et à l'entretien du Parc-aux-Cerfs, repaire scandaleux où de jeunes beautés étaient renfermées, souvent contre leur volonté, pour servir aux plaisirs honteux d'un monarque blasé dont il fallait raviver les sens amortis. » Mém. de l'abbé Georgel, tom. Ier, P. 364. (Note des nouv. édit.)

W.

(1) Du Gouvernement et des Mœurs de la France avant la révolution, par M. Senac de Meilhan, p. 153.

volte fut dans la capitale et dans les provinces environnantes. Les magasins furent enfoncés, les blés et la farine semés sur les chemins ou jetés dans les rivières, toutes les boulangeries pillées, et l'on parlait à Paris de se porter sur Versailles. «< Allez, mon ami, » dit Louis XVI à Turgot, en l'embrassant et en l'investissant de tout son pouvoir, «< quand on a comme vous et moi la conscience pure, on ne craint rien des hommes. » Cette fois le peuple ouvrit promptement les yeux. Les paroles du roi et les soins de son ministre calmèrent la capitale. La voix des curés maintint ou rétablit la paix dans les provinces. La clémence du roi voulut taire les noms des instigateurs de cette sédition : mais il y en avait une autre plus difficile à désarmer. Il avait fallu un lit de justice et des commandemens exprès pour forcer le parlement d'enregistrer la suppression des corvées et l'abolition des impôts sur l'industrie. Le parlement résolut le rétablissement des corvées et le renvoi du contrôleur-général. Le premier ministre commençait à être jaloux de l'ascendant que les lumières et l'intégrité de Turgot lui donnaient sur le cœur de son vertueux maître. On fit redouter au roi de grands troubles. On lui dit Turgot faisait mal le bien. Le jeune prince, n'osant prendre sur lui la responsabilité de ses penchans, sacrifia le ministre que son cœur chérissait (1).

que

(1) Turgot et le vertueux, l'immortel M. de Malesherbes se retirèrent presqu'en même temps. Leur ardeur pour le bien public

Cependant on avait laissé Turgot entamer l'exécution de son plan, et on ne lui permettait pas de l'achever. L'économie des affaires était dérangée. On rejeta sur les peuples le fardeau dont il les avait soulagés, parce qu'on ne lui avait pas laissé le temps de réparer les brèches du revenu. Le successeur que lui donna le comte de Maurepas, entra au contrôle-général en disant naïvement, « qu'il n'enten» dait rien en finances, et qu'il avait à s'instruire

était égale. Ils comptaient l'un et l'autre pour ennemis tous ceux qui redoutaient la réforme des abus. Un écrit du temps indique et présente en ces mots les motifs de la coalition sous laquelle ils succombèrent.

<«< Les efforts de cette ligue, dit-il, se dirigent principalement contre M. Turgot et M. de Malesherbes, et cela parce que le bruit est général que ces deux ministres sont à la veille de commencer une réforme dans les dépenses de la cour, et qu'ils vont l'entamer par le grand commun où le gaspillage est énorme. L'ordre qu'ils se proposent d'y mettre fait jeter les hauts cris à toute la ville et à toute la cour. Déjà M. de Malesherbes n'est pas un patriote zélé, une victime du bien public. C'est un encyclopédiste, un homme à système, ignorant dans les affaires, qui va tout bouleverser. En effet, c'est un furieux bouleversement que de mettre de l'ordre dans le chaos. Quant à M. Turgot, c'est un homme entêté, capable de perdre l'État plutôt que d'abandonner son idée. Ces clameurs devraient sans doute tomber d'elles-mêmes, mais on les dit appuyées par une faction puissante. Quelle nation! les gens même les moins intéressés aux malheurs publics se font les échos de tous les fripons, et les malheureux honnêtes gens sont en trop petit nombre pour élever la voix et se faire entendre d'une nation légère qui mêle l'inconséquence, l'esprit et la déraison dans ses plaisirs, dans ses projets et dans son gouvernement. » Correspondance secrète de la cour de Louis XVI, p. 150. (Note des nouv. édit.)

» avant d'entreprendre (1). » Il tomba malade, et mourut au bout de quelques mois, n'ayant ni appris ni entrepris. L'abbé Terray, qui vivait encore, prétendait « que déjà le déficit, laissé par lui à cinq millions, s'élevait à trente – quatre, et qu'il ne savait pas comment on le comblerait, parce qu'il n'y avait plus moyen d'imposer, et qu'il avait épuisé toutes les ressources. »

L'union passagère de M. Taboureau et de M. Necker offrit seulement l'annonce que ces ressources n'étaient pas à beaucoup près épuisées, et que l'ordre était la première de toutes.

Resté seul aux finances, M. Necker parvint, après trois ans et demi d'administration, à établir et à publier ce fameux Compte rendu, objet de tant d'enthousiasme et de tant de censures, qui présentait pour dernier résultat une recette excédant la dépense ordinaire de vingt - sept millions, dont dixsept appliqués à des remuemens passagers.

Après la lecture du Compte rendu, l'on bénissait le roi, sa bienfaisance, ses travaux, son discer nement. On admirait tout ce qu'avec son ministre il avait fait pour le bonheur de son royaume pendant la guerre les espérances pour le temps de la paix étaient sans bornes. La confiance ne s'était

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(1) Ce successeur était M. de Clugny dont l'administration ne dura que quelques mois. On lui doit l'établissement de la loterie. On voit qu'il ne lui avait pas fallu beaucoup de temps pour faire un grand mal. (Note des nouv. édit.)

jamais manifestée avec un tel abandon. Il ne se présentait pas un emprunt, que le double ne fût offert au Trésor royal; et là précisément était le danger, selon les adversaires de ce système de finances. Les étrangers, le parlement d'Angleterre surtout, les ministres comme l'opposition, lord North aussi-bien que Burke, étaient frappés de respect, et célébraient, chacun à sa manière, « le trône de France occupé par un digne petit-fils de Henri IV, que servait un nouveau Sully (1)! » Fausse application quant au ministre ! disaient encore ses adversaires. Prestige insensé, qui ne devait pas tarder à se dissiper !

Cependant le directeur des finances ne pouvait parvenir à s'entendre, pour la comptabilité, avec l'ancien lieutenant de police Sartine, qui eût été un très-bon ministre de Paris, et dont Maurepas avait fait un secrétaire d'État de la marine. M. Necker profita d'un violent accès de goutte

(1) Nous trouvons à ce sujet l'anecdote suivante dans un écrit du temps. Nous aimons à la citer ici. Elle honore à la fois le prince et le ministre.

« On a lu l'éloge de M. Necker dans quelques discours tenus au parlement d'Angleterre. Le roi se les est fait représenter, en a été enchanté, et la première fois que le directeur-général des finances est venu travailler avec lui, il lui a demandé s'il savait l'anglais ? il a répondu que oui. « Moi, je veux l'apprendre, a continué le » roi; j'en ai déjà même traduit quelque chose ;» et, lui donnant en même temps un papier: «<< Faites-moi le plaisir de me dire si >> c'est bien.» M. Necker a trouvé ses louanges que le monarque semblait ainsi ratifier. >>

(Note des nouv. édit.)

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