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marquis de La Fayette fût conseiller d'honneur au parlement de Paris. Sans doute l'idée antique de revêtir la toge sénatoriale après avoir déposé la cuirasse; le charme nouveau de défendre la liberté par la parole dans le sanctuaire des lois et sur les rives de la Seine, après l'avoir défendue par l'épée sur les bords de l'Ohio, étaient des traits dignes d'entrer dans le roman: La Fayette dut être tenté; mais, encore frappé des délibérations flegmatiques du congrès américain, il craignit un ridicule, s'il se mêlait à la cohue des enquêtes parisiennes. Il refusa donc d'être conseiller au parlement, mais il se lia dès lors avec quelques-uns de ces magistrats, qui, depuis, lui ont reproché d'être moins hardi qu'eux dans la carrière révolutionnaire. Il y eut des conférences. On se formait aux discussions. On rédigeait un corps de doctrine. On dressait des batteries contre les débris de la féodalité qui étaient encore debout. Peu de temps après que la grand'chambre avait condamné au feu l'écrit de Boncerf contre les droits féodaux, les membres influens des enquêtes se liguaient entre eux pour donner toujours gain de cause aux vassaux dans leurs procès contre les seigneurs (1). Le marquis de La Fayette

(1) M. Turgot, en présence du roi, demandait à M. le duc de Nivernais ce qu'il pensait de l'auteur de cette brochure contre les droits féodaux. « Monsieur, lui répondit ce seigneur spirituel, » l'auteur est un fou, mais ce n'est pas un fou fieffé. » Ce calembour amusa beaucoup le roi.

(Note des nouv. édit.)

n'avait pas beaucoup de disposition à sacrifier la noblesse; sa généalogie était belle, et il le savait (1): mais le conseiller Duport aurait voulu faire un bûcher de toutes les archives de la France.

Cependant, je l'ai dit et je le répète, sans le désordre des finances le gouvernement eût pu tempérer cette ébullition. Louis XVI, secouant l'apathie d'un ministre, mettant à profit l'activité d'un autre, dirigeant les pensées de tous vers les établissemens et les réformes salutaires, renouvelait insensiblement les ressorts de l'administration, sans secousses, sans changement subit, sans laisser de vide dans l'exercice de la puissance publique. Le régime des intendans, précieux sous beaucoup de rapports, trop calomnié sous d'autres, mais décrié dans l'opinion depuis les fameuses remontrances de la cour des aides en 1756, fut tout à la fois maintenu, épuré et honoré par le concours des assemblées provinciales qui s'établissaient de proche en proche, qui se multipliaient d'année en année, après que d'heureux essais avaient manifesté les avantages de cette institution, et lorsqu'une province avait été conduite à la désirer par l'aspect de l'utilité qu'en avait retirée une autre province.

(1) Le compliment qu'adresse ici l'auteur à M. de La Fayette était peu mérité. Son enthousiasme pour les institutions américaines, et surtout la part qu'il prit au célèbre décret du 17 juin 1790, celui qui prononça l'abolition de la noblesse, prouvaient qu'il était peu attaché aux distinctions héréditaires.

(Note des nouv. édit. )

Là tous les propriétaires recevaient (1), pour ainsi dire, une éducation politique, devenue nécessaire pour que la force des nouvelles idées ne devînt pas dangereuse. Sans doute cette force était excessive, et il fallait d'autant plus redouter qu'elle ne restât aveugle. Tous les esprits, toutes les classes étaient emportées vers les objets d'administration. Un archevêché renfermant cinq cents paroisses, et rapportant deux cent mille livres de revenus, ne paraissait plus qu'une grosse cure, s'il n'y avait pas quelques états à présider, quelques intérêts civils à gouverner. Les jeunes guerriers quittaient les

(1) Nous sommes obligés de relever ici des inexactitudes sur les assemblées provinciales dont l'auteur r'a probablement pas connu l'organisation. C'est à M. Necker qu'elles durent leur existence. Son motif fut d'établir dans toutes les provinces un régime uniforme, et, n'osant assimiler celles qui étaient privilégiées aux autres, il donna à celles-ci des espèces d'états et créa des administrations provinciales; il commença par les généralités de Bourges et de Montauban, où il établit les administrations de Berry et de la Haute-Guyenne. Chacune d'elles ne vit que sa province, et ne voulut participer que le moins possible aux charges générales. Dans la Haute-Guyenne, il s'établit entre le Rouergue et le Quercy un schisme qui n'a fini qu'à l'organisation des départemens. Dans quelques-unes il fut impossible d'obtenir les rôles de contributions; dans toutes, la confection de ces rôles fut en retard. Suivant M. Hennet, qui a bien connu les assemblées provinciales, et qui fut chargé de correspondre avec elles depuis leur origine jusqu'à leur suppression, il n'est pas d'institution plus contraire à l'intérêt local comme à l'intérêt général. On trouve, dans la Théorie de l'impôt, de cet auteur, des détails curieux sur ces assemblées. Voyez ces détails dans les pièces justificatives à la fin de ce volume (note F). (Note des nouv. édit.)

Commentaires de Folard pour les Mémoires de Sully et de Forbonnais; dans un état essentiellement militaire, la gloire des armes tombait au second rang. Mais enfin cette ardeur était occupée, modérée, et, s'il est possible de le dire, royalisée par les assemblées provinciales. Les noms de souverain et de patrie n'étaient pas séparés l'un de l'autre. Les différens ordres traitaient ensemble avec la réciprocité salutaire de justes égards et d'une nable déférence. Les membres qui composaient ces assemblées s'unissaient au roi qui les avait établies contre la magistrature parlementaire qui les jalousait; et ce roi offrait à la vénération publique une telle pureté de mœurs, une bonne foi si entière, une préoccupation si touchante des intérêts de son peuple, qu'à moins d'être déterminément séditieux, il fallait marcher à sa suite. Le patriarche des philosophes, Voltaire, avait expiré en bénissant le roi défenseur de la justice. Toutes les académies retentissaient des mêmes hommages. L'habitude d'un nouvel ordre se contractait à mesure que quelque partie de l'ancien tombait en dé suétude. Tout fut rompu avant d'être consolidé. Le dérangement des finances éclata, et le dérangement des têtes suivit.

En parlant des finances françaises, je n'ai le dessein ni de me perdre dans des époques trop éloignées, ni de m'aventurer dans des jugemens trop délicats. Il est ici bien des questions douteuses, sur lesquelles un Français même, à plus forte raison

un étranger ne peut pas encore, sans une grande inconvenance, hasarder une décision. Des hommes qui séparément avaient les talens les plus distingués, les ont employés à se combattre l'un l'autre, tandis qu'on eût souhaité les voir s'entr'aider pour le bien général. Chacun a fait ses calculs, et est arrivé à son résultat. De part et d'autre on a entendu parler de pièces probantes : celui-ci a été contre l'impôt, celui-là contre l'emprunt ; l'un a prétendu qu'il fallait toujours employer le langage de la vérité, l'autre qu'il ne fallait jamais prendre l'attitude de la pénurie; jusqu'à l'économie qui a été présentée sous deux faces différentes. Il convient en vérité à bien peu d'hommes de prendre parti dans ces controverses. Pour moi je veux me borner à rappeler le petit nombre d'époques principales et de faits non contestés, qui ont précédé ou amené la grande catastrophe.

L'abbé Terray, causant dans sa retraite avec ses proches, prétendait avoir trouvé, en arrivant au contrôle-général, un déficit annuel de soixante millions et treize mois des revenus royaux consommés par anticipation (1). A force d'injustices, de

(1) L'abbé Terray avait été, dès l'avénement de Louis XVI au trône, éloigné du ministère. « Le cri de la France entière, écrasée sous l'administration despotique et dilapidatrice de l'abbé Terray, contrôleur-général, demandait, dit un auteur contemporain, le renvoi de ce ministre : Louis n'hésita pas; une disgrâce aussi bien méritée causa une joie universelle. Le peuple maudissait l'abbé Terray, et le roi savait que la destination principale des impôts dont

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