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choix, et de renoncer aux projets les plus salutaires, dès qu'ils exigeraient une lutte persévérante contre des difficultés prolongées.

Machault eût été moins aimable dans la société, moins piquant dans ses reparties, plus sévère peutêtre avec le prince comme avec les sujets dans la direction qu'il eût donnée à toutes les affaires; mais il eût eu la profondeur, la prévoyance, la fermeté, dont le besoin n'avait jamais été plus pressant à aucune époque de la monarchie. Ministre de Louis XVI, il fût devenu son Mentor. Cette jeune vertu, si je puis parler ainsi, qui était toute candeur et toute bonté, Machault l'eût trempée de force et de résolution, l'eût entourée de prudence et munie de discernement. Il lui eût montré quand le vœu des peuples méritait d'être exaucé, quand il devait même être prévenu, et quand, pour leur propre bonheur, il fallait lui résister. Il eût appris à Louis XVI à méditer avec fruit ce qu'il étudiait avec religion, ces manuscrits précieux d'un père que la France avait pleuré, comme autrefois Rome pleura Germanicus (1). En

(1) On crut un moment que M. le duc de Choiseul allait entrer au ministère. Mais Louis XVI conservait, des divisions qui avaient existé entre le dauphin, son père et M. de Choiseul, un souvenir profond qui fut défavorable à l'ancien ministre. La reine, qui lui voulait du bien, ne put triompher des ressentimens ou des préventions du roi. Les Mémoires du temps racontent en ces mots la première visite que M. de Choiseul fit à la cour:

<< Il s'est rendu au château de la Muette, et s'est trouvé au lever » du roi. Sa Majesté ne lui a pas beaucoup parlé; mais elle lui a

trouvant dans les plans du dauphin le noble et vertueux projet de rendre à la nation ses états-généraux, il eût examiné si les personnes et les choses n'étaient pas entraînées vers cette grande mesure par le torrent des circonstances, par les événemens du dernier règne, par les exemples toujours renaissans d'un peuple voisin, et la puissance toujours croissante de l'opinion publique. Il eût jugé si, dans les intérêts même de l'autorité royale, il ne lui importait pas de prévenir par un bienfait volontaire l'instant où on lui adresserait une demande impérative, et si le moment de ployer ces grandes assemblées aux habitudes monarchiques n'était pas celui où elles s'ouvriraient avec le commencement d'un règne pur, par la libre volonté d'un jeune roi qui ne respirait que l'amour de son peuple, et sous les auspices d'une mémoire sacrée pour tous

>> dit entre autres: Monsieur le duc, vous avez beaucoup perdu de » vos cheveux depuis que je vous ai vu. La reine s'est avancée en » le voyant arriver, et lui a dit en propres termes : Monsieur le » duc, vous pouvez étre persuadé que je conserverai toujours le » souvenir de ce que vous avez fait pour moi. Monsieur ne lui a pas >> dit grand'chose; mais M. le comte d'Artois l'a fort bien ac» cueilli. M. le duc de Choiseul est reparti hier matin pour sa » terre de Chanteloup, où il se propose de passer la belle saison. » La reine avait toujours aimé M. de Choiseul; elle se rappelait avec plaisir qu'elle devait en partie à ses négociations la place qu'elle occupait sur le trône. Je n'oublierai jamais, lui dit-elle encore dans l'entretien dont on vient de parler, je n'oublierai jamais que vous avez fait mon bonheur. Et celui de toute la France, madame, répondit aussitôt le duc, avec la présence d'esprit la plus heureuse. (Note des nouv. édit.)

les Français. Au lieu de cela, le comte de Maurepas chassa le chancelier Maupeou qui avait retiré la couronne du greffe; résolut de chasser le nouveau parlement à qui le roi venait de dire: « Vous pouvez compter sur ma protection; » fit proposer à ses membres d'aller au palais en domino, parce qu'ils se plaignaient d'être insultés sur leur passage; vint à l'Opéra recevoir les applaudissemens du parterre; retourna à Versailles dire au roi qu'il lui apportait le vœu public; revint à Paris, quatre jours après, assister, dans la lanterne de la grand'chambre, au lit de justice où Louis XVI en personne rétablit tous les tribunaux que Louis XV avait cassés, cassa tous ceux que Louis XV avait établis, et se mit à la merci des mêmes hommes pour lesquels son prédécesseur avait annoncé solennellement qu'il serait inflexible.

L'exil de Maupeou se conçoit (1). La probité vierge du jeune monarque devait répugner à sentir près d'elle jusqu'au dernier fragment d'un ministère de prostitution. L'on n'en était pas encore au

(1) M. de Maupeou s'attendait à son exil. D'aussi loin qu'il aperçut le duc de La Vrillière, il lui dit : « Je sais l'objet de votre >> mission; mais, comme je suis chancelier, et que je le serai toute » ma vie, je resterai assis. » Après que le duc de La Vrillière lui eut donné connaissance de l'ordre dont il était porteur, il répondit : « J'obéirai. J'ai fait gagner au roi un procès qui durait depuis >> trois cents ans ; il veut le reperdre, il est bien le maître. »

(Note des nouv. édit.)

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point de sacrifier la morale au talent on pouvait et l'on devait vouloir la réunion des deux.

On conçoit encore que le rappel des parlemens pût faire question et parût un problème difficile. On voit beaucoup de raisons pour et contre, de grands avantages et de grands dangers des deux côtés de la question. Les parlemens, long-temps et violemment injustes, avaient fini par éprouver eux-mêmes une longue et violente injustice. L'intérêt individuel qu'ils pouvaient exciter', faible s'il eût été seul, tirait une grande force de l'intérêt public qui venait s'y joindre. La pensée de fondre ensemble l'ancienne et la nouvelle magistrature s'était présentée à celui-là même qui avait banni la première et appelé la seconde. Quelques essais de ce genre avaient réussi dans quelques provinces. Le projet avait été formé pour la capitale, et déjà même semblait avancé dans l'exécution.

Mais substituer tout-à-coup aux combinaisons d'un chancelier Maupeou celles du garde-des-sceaux Miromesnil; charger une ame aussi débile de recréer ce qu'une tête aussi forte avait détruit; décerner un triomphe quand on devait accorder un pardon; ne pas imposer un seul frein réel à des corps, qui, avec leurs prétentions immémoriales, allaient ramener leurs vengeances immortelles, c'était une conduite sur laquelle il est impossible de porter deux jugemens qui diffèrent : c'était en morale l'oubli de toutes règles de la justice et même de l'honneur : c'était une monstruosité po

litique, un véritable délire que la postérité ne pourra jamais concevoir ni pardonner. Dans l'ordre des faits immédiats qui ont amené le bouleversement de la France, c'est le premier anneau de la chaîne.

Le premier acte du parlement de Paris fut de protester, le lendemain de son rétablissement, contre l'édit par lequel il avait été rétabli; contre les formes du lit de justice, où le roi était venu lui redonner la vie ; contre un simulacre de précautions, que Miromesnil avait regardé puérilement comme une forte barrière. La doctrine du Palais fut que le parlement n'avait jamais cessé d'exister dans ses membres destitués, dispersés, liquidés; que l'édit de restauration n'avait rien fait pour son existence et avait blessé ses droits. Le roi par cet édit avait supprimé la chambre des requêtes; il fallut qu'il la recréat neuf mois après. Le roi avait commandé la paix et le silence sur toutes les anciennes dissensions auxquelles il voulait mettre un terme dans toutes les cours du royaume, les magistrats qui avaient consenti à siéger dans les nouveaux parlemens éprouvèrent, de la part de leurs confrères, une vexation impitoyable. Le roi se confiait, en 1776, dans M. Turgot, en 1782 dans M. Necker : le premier déplut au parlement par la suppression des corvées, le second par l'institution des assemblées provinciales; il fallut que le roi sacrifiât successivement l'un et l'autre. Enfin le roi avait défendu à ses cours, en les rétablissant, de donner leurs dé

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