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juration qui eut pour but l'anéantissement du christianisme. Cet horrible secret nous a été révélé par la correspondance de Voltaire, dont la publicité même a été la preuve des affreux succès qu'avaient eus les conjurés. Oser imprimer de telles lettres était en vérité quelque chose de plus monstrueux que d'avoir osé les écrire. Mais le dernier de ces scandaleux prodiges, celui qui surpassait tous les autres et qui confondait la raison, c'était de voir un roi, et sous tout autre rapport un des plus grands rois qui eussent jamais porté la couronne, figurer dans cette correspondance parmi les destructeurs de la morale et de l'ordre public, ne pas prévoir plus qu'eux les suites de leur complot, terminer ses lettres comme ils terminaient les leurs, en blasphémant la religion, en la désignant par une épithète grossière qui n'appartenait qu'à leur conspiration infáme, et en s'exhortant l'un l'autre à l'écraser. A l'aspect du grand Frédéric transformé en rhéteur impie, et prononçant publiquement dans son académie l'éloge de celui qui avait écrit l'Homme machine (1); lorsqu'on voit le Salomon du Nord abuser de la puissance souveraine, pour forcer toutes les églises catholiques de ses États à célébrer les obsèques de celui qui venait de mourir en blasphémant le Christ (2), on se demande ce qu'est devenue la dignité, le génie, la

(1) La Métherie.

(2) Voltaire.

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raison de Frédéric : on pleure sur la misère humaine. On se demande aussi si c'est bien le même roi qui, à la même époque, écrivait que, « s'il » avait une de ses provinces à punir, il la donne>> rait à gouverner à des philosophes. >>

Cette contagion de l'impiété s'était non-seulement répandue dans toute l'Europe, à l'ombre des noms imposans qui la propageaient, mais encore elle avait atteint toutes les classes de la société. Diderot, D'Alembert et Condorcet avaient hérité de la haine que Voltaire portait à la religion chrétienne, et, vers la fin du règne de Louis XV, on ne pouvait presque plus appartenir à aucune société savante de l'Europe sans avoir donné quelque gage d'incrédulité. C'était alors que des têtes ardentes posaient les fondemens de ces sociétés occultes et cabalistiques, composées de sectaires qui, sous la dénomination d'illuminés, avaient pour grand but la destruction de la religion révélée, l'introduction d'un nouveau code fondé sur la morale naturelle et l'établissement du système de l'égalité primitive dans la république du genre humain.

Louis XVI sembla purifier le trône en s'y asseyant. Ce n'est pas que son prédécesseur eût jamais été impie. Il garda jusqu'à la fin de ses jours un respect inaltérable pour la religion de ses pères. A l'église son maintien fut toujours édifiant; ses lèvres priaient, son front s'abaissait devant la majesté divine, et on le vit, au lit de la mort, demander avec repentir et humilité pardon à ses

peuples des mauvais exemples qu'il leur avait donnés (1).

Louis XVI offrit tout-à-coup des mœurs pures avec une croyance ferme et une dévotion sage. A peine âgé de vingt ans, il était déjà respectable par sa probité. Fort de l'intérêt qu'excitaient sa jeunesse et sa modestie, ce désir du bien et cet amour du peuple, qui ont été les traits distinctifs de son caractère, il parut d'abord imposant pour quiconque se sentait des intentions perverses, pour tous ceux qui, dans leur soif de nouveautés, n'avaient d'autre principe qu'un esprit remuant, ambitieux, ou avide. Quant aux sujets fidèles, tout à la fois bons citoyens, à qui de grandes réformes paraissaient indispensables, et qui, dans l'extinction des anciennes mœurs, voyaient la nécessité de lois nouvelles, ceux-là ne concevaient pas un seul changement, dont la vertu du jeune roi ne dût être le principe, et dont son pouvoir ne dût rester l'exécuteur et le garant (2).

Tout dépendait des premiers conseils qui allaient l'environner. La comparaison entre sa jeunesse et

(1) Voyez dans les éclaircissemens historiques (note E), les détails relatifs aux derniers momens de Louis XV, aux causes de sa mort, aux circonstances dont elle fut accompagnée ou suivie. C'est un des morceaux les plus fortement tracés par M. Lacretelle, dans son Histoire de la France au dix-huitième siècle.

(Note des nouv. édit.)

(2) Le morceau suivant peint les sentimens qu'éprouvait la France à l'avènement de Louis XVI au trône, et les moyens qu'employait l'opinion pour se manifester. On nous saura gré de

ses devoirs fut sa pensée dominante. Il voulut les secours de l'expérience. Il hésita entre Machault et Maurepas, anciens ministres, distingués l'un et l'autre par les qualités de l'esprit, instruits tous deux par de longues années, tous deux recom

rapporter ces anecdotes qui font connaître le temps, les mœurs et l'esprit national.

«L'avénement de Louis XVI au trône causa dans tout le royaume une allégresse universelle : le peuple aime la nouveauté. Le long règne de Louis XV n'était plus marqué que par le scandale de sa vie et les déprédations de son ministère. On était, en temps de paix, écrasé d'impôts, tandis qu'à la cour on prodiguait l'or et l'argent à la maîtresse favorite qui affichait dans son train, dans son superbe pavillon de Lucienne et dans ses ameublemens, le faste le plus insolent et l'opulence la plus révoltante. Le nouveau règne fit renaître l'espérance: on savait Louis XVI économe, éloigné par caractère, par principe et par goût, des plaisirs honteux qui avaient déshonoré la vie de son prédécesseur. La reine, jeune, vive et sémillante, n'était alors connue que par son affabilité et la plus rare bonté; tout ce qui l'entourait chantait ses louanges. La France, idolâtre de ses maîtres, quand tout le monde est content, retentissait de toutes parts de chansons que la gaieté avait imaginées pour célébrer ce joyeux avénement. Les arts et les modes le caractérisaient par leurs ouvrages, les emblèmes et les parures. On voyait dans toutes les mains des tabatières de peau de chagrin, sur lesquelles on avait placé le médaillon de Louis et de Marie-Antoinette; on les appelait... la consolation dans le chagrin... Cette ingénieuse invention fit la fortune de l'artiste qui, le premier, la mit en vogue. Un autre artiste ne fut ni moins ingénieux, ni moins heureux dans le même genre. Sur les boîtes qu'il avait imaginées, se trouvaient les médaillons de Louis XII et de Henri IV, et au-dessous celui de Louis XVI. Dans une légende, au bas, on lisait : XII et IV font XVI. Avec des Français une telle conception devait réussir. » Mémoires de l'abbé Georgel.

(Note des nouv. édit.)

mandés par la disgrace et l'exil où la volonté d'une maîtresse les avait plongés. Si l'on en croit quelques documens secrets qui ont été donnés comme certains, le message pour Machault était déjà expédié. Il y eut un retard fortuit dans le départ du courrier. On en profita pour faire changer le choix du jeune prince, et le porter sur Maurepas. Jamais plus petite cause n'a produit de plus grands ni de plus terribles effets.

Les grâces de l'esprit, les richesses de la mémoire, un coup-d'œil vif et pénétrant, un désintéressement exemplaire, une bonhomie habituelle, qui allait quelquefois jusqu'à des mouvemens de sensibilité, voilà les qualités heureuses qui distinguaient le comte de Maurepas. Mais ce n'était pas assez pour la place qu'il venait occuper, et surtout pour le temps où il venait la remplir. Léger quand il fallait être profond, plaisant sur les objets les plus sérieux, bornant sa pénétration à l'affaire du moment, et craignant de prévoir parce qu'il ne voulait pas s'inquiéter, ce premier ministre calcula non l'avenir de la France, non la jeunesse du roi, mais les années de vie que lui-même pouvait encore espérer. Sa résolution fut de les passer sans trouble,` sans efforts, sans rival; de distraire le roi plutôt que de l'instruire; de lui épargner les affaires plutôt que de l'y former; de faire tout rentrer dans l'ancienne routine, sans doute avec le vœu que les choses allassent au mieux possible, mais aussi avec l'intention déterminée de sacrifier les meilleurs

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