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d'une année toute la magistrature du royaume fut traitée de même, cassée, exilée, remplacée. La dissension était dans les provinces, dans les villes, dans les familles, jusque dans la maison royale. Un seul entre les princes du sang était pour le roi, tous les autres étaient contre. Le père et le fils étaient divisés. Louis XV appelait le prince de Conti mon cousin le procureur : le prince de Conti ne voulait plus donner le nom de fils au comte de La Marche. Le comte de Provence se maria, sans que les princes du sang assistassent à ses noces (1); le comte de Clermont mourut, sans que le roi envoyât savoir de ses nouvelles. Une partie des pairs avait protesté contre les actes du souverain. Les commandans militaires étaient déplacés par le chef de la magistrature. Il voulut faire son fils colonel, de président à mortier qu'il était. « Ce que vous >> me demandez là est bien extraordinaire, » dit le roi. « Ce que je fais pour Votre Majesté l'est bien plus,» répondit le chancelier; et le président Maupeou eut un régiment. Bientôt on changea de parti. Ceux qui avaient protesté contre la création du nouveau parlement, siégeaient avec lui. Tel qui avait fait ostentation de mépris pour la favorite, devenait son plus servile adulateur. Les principaux magistrats des cours supprimées sollicitaient la liquidation de leurs charges, ce qui était en reconnaître l'extinction. Le duc d'Aiguillon devenu

(1) S. M. Louis XVIII.

ministre, et Maupeou resté chancelier, se jalousaient l'un l'autre, au point que les parlemens espéraient quelquefois renaître par ce même commandant de Bretagne qu'ils avaient voulu faire mourir. Le ministre des finances et celui de la ma-rine, tous deux créatures de Maupeou, aspiraient tous deux à avoir pour lui le même procédé qu'il avait eu pour le duc de Choiseul. La partie saine de la nation ne trouvait plus où placer son estime, et ne rencontrait que des objets de mépris ou de ressentiment. On regrettait la magistrature sans respecter les magistrats. On sentait le besoin des lois, et l'on ne savait à qui les demander. Le nouveau parlement, distingué par son activité dans l'expédition des causes, et par la sagesse de ses jugemens, l'était malheureusement aussi par sa docilité à enregistrer toutes les extorsions fiscales. Une fois il avait voulu risquer des remontrances, et l'on avait eu l'impudeur et la maladresse de se moquer de lui (1). Le peuple commençait à supporter moins patiemment le poids des impôts, et

(1) Les fameux Mémoires de Beaumarchais, ne contribuèrent pas à donner de la considération au nouveau parlement. On sait qu'il s'agissait, dans ces Mémoires, d'une somme de quinze louis que leur auteur prétendait avoir donnée à M. Goësman, l'un des membres de la magistrature créée par le chancelier. M. le duc de Noailles, célèbre par l'esprit et la liberté de ses saillies, dit à ce sujet, à Louis XV: « Vous ne vous plaindrez plus, Sire, des >> mauvaises dispositions du peuple, car voilà votre parlement » qui commence à prendre. »

(Note des nouv. édit.)

à sentir plus vivement les atteintes de la corruption. La France jouissait de peu de bonheur au dedans, et et de peu de gloire au dehors (1).

Qu'on juge maintenant du progrès qu'avaient fait faire aux opinions nouvelles ces vingt-cinq années de disputes non interrompues entre le roi et ses officiers (2). Quel était le secret du gouvernement qui n'eût pas été violé, quelle était la question politique qui n'eût pas été agitée? Sur l'origine du pouvoir, sur les bornes de l'obéissance, sur les devoirs et les droits respectifs des gouvernans et des gouvernés, qu'avait-on jamais dit de plus fort en Angleterre, que ce qui s'imprimait dans toutes les brochures dont la France était inondée par l'orgueil des parlemens tant qu'ils subsistèrent, et par leur vengeance quand ils furent détruits? Quel fut celui de leurs ennemis qui ne pensa pas quelquefois comme eux, ou celui de leurs partisans qui ne trouva pas souvent à les blâmer? Quel fut l'homme de bien, étant aussi homme de sens, qui ne désira pas quelque frein, ici pour l'insubordination, là pour le pouvoir, ail

(1) L'évêque de Senez prêcha dans la chapelle de Versailles pendant la semaine sainte. Il prit pour texte : Encore quarante jours et Ninive sera détruite. Quarante jours s'écoulèrent et Louis XV n'était plus.

W.

(2) Voyez pièces justificatives (note D), un résumé sur l'institution, les droits et la conduite des parlemens.

(Note des nouv. édit.)

leurs pour le scandale; quelques points fixes au milieu de tant d'incertitudes, quelque principe impossible à méconnaître pour tous ?

Quant aux abus de l'esprit, au déréglement des imaginations, qui eût pu les contenir? Qui veillera efficacement sur la police générale d'un vaste empire, où les diverses autorités ne cesseront d'être aux prises l'une avec l'autre ? Une déclaration du roi avait, en 1757, défendu, sous peine de mort, de composer et de publier aucun écrit contre la religion, le trône, ou l'ordre public. Helvétius publiait en 1758 son livre de l'Esprit, et en était quitte pour faire un court voyage en Angleterre. Un gouvernement qui portait, pour ainsi dire, le joug du scandale, n'avait ni le droit ni la hardiesse de s'annoncer pour vengeur de la morale publique. Les autorités rivales entre elles cherchaient bien plutôt à se ménager l'appui des hommes de lettres qu'à surveiller leur conduite et à réprimer leurs écarts. Le Contrat social de Rousseau trouvait grâce auprès d'un grand nombre de magistrats, parce qu'on avait fait un grief à M. de La Chalotais de l'avoir lu en petit comité avec plusieurs de ses confrères. Les parlemens aimaient Diderot déclamant contre le despotisme; la cour et presque le clergé aimaient Voltaire se moquant des parlemens. Il n'y avait d'unité, d'ensemble, de persévérance que dans la faction dite philosophique, qui mettant à profit les querelles, les distractions, les passions des autres, marchait droit à son but, acquérait

tous les jours de nouveaux apôtres, et s'insinuait imperceptiblement dans tous les esprits. On a exagéré, en disant que ces philosophes se proposaient dès lors la subversion des sociétés et le renversement des trônes. Ils y travaillaient sans le savoir. Ceux de cette époque voulaient être non les destructeurs mais les précepteurs des rois; et dans la vérité Montesquieu, s'il n'eût mis au jour que son ouvrage sur les Romains, et son Esprit des Lois, Beccaria écrivant son Traité des délits et des peines, Voltaire réfutant Machiavel et défendant Calas, Sirven, Lally; Rousseau, quand il plaidait la cause de la nature, de la morale et de l'Évangile; les auteurs de l'Encyclopédie, partout où ils respectaient les principes religieux, méritaient peut-être l'indulgence des puissances de la terre. Mais ils exerçaient aussi un empire, et ils en abusèrent. Ils ne surent pas se défendre de cet orgueil du pouvoir, qu'ils reprochaient aux autres. De la poursuite des abus, ils tombèrent dans l'oubli des principes. En parlant de consoler le genre humain, ils creusèrent sous ses pas l'abîme du désespoir. En prêchant la vertu, ils détruisirent la conscience. Ils ne firent pas ce raisonnement si simple, qu'ils existaient quoiqu'ils ne pussent rien comprendre à leur existence, qu'ainsi il était pour la vérité une autre mesure que celle de leur intelligence. On en vit qui, après avoir combattu le fanatisme religieux, créèrent un autre fanatisme mille fois plus terrible, celui de l'impiété. Il se forma une con

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