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France était en hostilité ouverte avec le roi, avec l'Église, avec l'armée. Une circonstance bien bizarre dans cet état de trouble et de confusion, c'est que Louis XV, dans le secret de son cœur, était souvent tout aussi opposé à son ministère qu'à ses cours de justice; c'est qu'une partie de ce ministère était l'alliée des parlemens dont l'autre était l'ennemie ; enfin c'est que le premier prési dent Maupeou ne revêtit la simarre de chancelier que pour la destruction du parlement dont il sortait, et le bouleversement du ministère dans lequel on le faisait entrer.

Le jour mémorable arriva où cette grande mesure devait être connue. Tourmenté toute sa vie, maintenant excédé et vraiment malheureux de ces querelles parlementaires, Louis XV s'en était remis avec abandon au chancelier Maupeou qui lui avait promis de retirer la couronne du greffe; c'était son expression.

Bientôt, dans un lit de justice tenu le 7 décembre

1770, le parlement entendit publier l'édit par lequel on prétendait le rappeler aux vrais principes de la monarchie française, et faire disparaître sans retour tous ceux que l'esprit de système avait, disait-on, enfantés dans les derniers temps (1).

(1) Les Mémoires de l'abbé Georgel rendent compte en ces mots de la séance dans laquelle le chancelier, fier de sa victoire, installa le parlement qu'il venait d'élever.

«Le nouveau plan fut adopté dans le conseil du roi. Tout fut promptement disposé pour son entière et pleine exécution. Enfin

Le préambule du nouvel édit, en retraçant la conduite récente des cours, contenait des reproches si offensans pour elles, qu'il était impossible de croire que, sans le dernier degré de violence, on pût les déterminer à recevoir ou à laisser sur leurs

arriva le jour si long-temps attendu de l'installation du nouveau parlement. Le roi, dans un lit de justice, tenu à Versailles avec la plus grande solennité, et où se trouvèrent des princes du sang, des ducs et des pairs, des maréchaux de France, et les grands du royaume', cassa le parlement de Paris, déclara les offices vacans, abolit la vénalité des charges de judicature, et créa un nouveau parlement et les quatre conseils supérieurs de Châlons-sur-Marne, de Poitiers, de Clermont en Auvergne, et de Blois. Le nouveau parlement était composé de tous les magistrats du grand conseil, à la tête desquels fut mis pour premier président M. Berthier de Sauvigny, conseiller d'état. Le même jour, le chancelier Maupeou se rendit en grand cortège de Versailles à Paris. Jamais il ne parut si grand; il était escorté de conseillers d'état et de maîtres des requêtes. Le nouveau parlement le suivait; il traversa ainsi Paris entre les haies des gardes-françaises et des gardes-suisses, dans l'attitude d'un triomphateur: son visage était calme, sa physionomie radieuse, ses regards annonçaient la plus grande confiance et une entière satisfaction; il monta ainsi les escaliers du Palais et fut s'asseoir sur le trône d'où il allait promulguer sa nouvelle création; son discours, prononcé avec dignité, fut un chefd'œuvre de raison et d'éloquence ; il retraça rapidement et avec fermeté aux nouveaux magistrats leurs fonctions et leurs devoirs. J'étais présent à cette auguste cérémonie, et je me rappelle encore la sensation vive et profonde que firent ces mots prononcés avec le ton de l'autorité : « Ici finit votre ministère.» La cérémonie terminée, le maréchal de Broglie lui dit à haute voix : « Monsieur » le chancelier, jamais je ne vous ai vu si radieux et si calme...» « Comme vous, monsieur le maréchal, un jour de bataille, lui répondit M. de Maupeou.» Mém. de l'abbé Georgel, tom. I, p. 205. (Note des nouv. édit.)''

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registres un pareil monument de leur inconduite et de leurs usurpations.

Il y eut donc aussitôt de la part du parlement protestation contre le lit de justice, résolution d'adresser au roi des remontrances, et, ce que désirait vivement le chancelier, interruption dans le jugement des causes, tant que l'édit ne serait pas retiré.

Les divisions ministérielles, hélas ! et les scandales domestiques se rencontraient à chaque pas à travers ce trouble et cette désolation de la magistrature. Quelques-uns de ces courtisans qui avaient été autrefois les premiers à corrompre les mœurs du roi, venaient de livrer ses dernières années à une favorite dont le choix, s'il fût resté secret, aurait déjà été trop honteux, et dont la présentation à la cour effaça, il faut le dire, jusqu'au dernier vestige de la bienséance (1).

(1) Voici de quelle manière M. Lacretelle, dans son Histoire de la France pendant le dix-huitième siècle, a raconté le scandale de cette présentation.

«On attend une grande épreuve. Il est un pas que Louis hésite à franchir : la comtesse Du Barry n'a pas encore eu l'honneur de la présentation. Les constitutions du royaume, l'état de l'Église, la balance de l'Europe tiennent à cet événement; on le regarde comme le signal de la chute prochaine du duc de Choiseul et d'un nouveau système d'administration et de politique.

>> Le duc de Choiseul se fortifiait du parti des princes, et ceux-ci ́se croyaient sûrs de mépriser toujours une courtisane puissante. Ce ministre s'adressait surtout à la fierté des filles du roi. L'une d'elles, madame Louise, venait de se choisir un saint et perpétuel refuge contre les scandales de la cour, en entrant au couvent des Carmélites, où elle prit le voile. Cet acte de piété avait fait la consolation de l'Église dans des jours de licence et d'incré

Trop fier pour ployer le genou devant une pareille idole, le duc de Choiseul se reposait sur ses longs services, sur l'ancienne faveur que le roi était habitué à lui témoigner, sur celle dont il jouissait dans les cours étrangères, à Madrid surtout, et encore plus à Vienne. Il avait fait le mariage du

dulité. Les prêtres espéraient que, du fond du cloître, madame Louise pourrait se faire entendre d'un père qui avait applaudi à ce grand sacrifice, et venait souvent la visiter. Ses sœurs, mesdames Adélaïde, Sophie et Victoire, étaient si vivement blessées de la faveur de la comtesse Du Barry, que le respect filial ne pouvait étouffer leurs murmures. Leur indignation éclata surtout lorsqu'elles entendirent parler du projet de présenter au roi la comtesse Du Barry. Les dames de la cour exprimaient le même sentiment; celles même dont le public avait souvent divulgué les fautes, ne pouvaient supporter l'idée d'être confondues avec une femme vouée dès sa jeunesse à l'opprobre de la plus basse prostitution. Louis avait l'air de solliciter leur pitié. J'ai déjà dit qu'il montrait à plusieurs dames une amitié aussi tendre que délicate. Il obsédait celles-ci de plaintes et de prières pour obtenir d'elles le gage le plus difficile de dévouement, celui de s'offrir pour compagnes à la comtesse Du Barry. Triste condition pour un roi, que son amitié puisse causer une tache à l'honneur! Cinq ou six d'entre elles se laissèrent fléchir, et le public prêta de vils motifs à leur complaisance. Cependant le roi paraissait encore effrayé des obstacles d'une présentation. Le maréchal de Richelieu vint lever ses scrupules : il lui représenta que le moment était venu d'opposer une fermeté inflexible à cette espèce de révolte, à cette coupable intrigue; qu'une fidélité qui se permettait tant de restrictions était suspecte; que le dépit et la jalousie se cachaient sous ce vain faste de vertu, et qu'enfin ce serait cesser d'être roi que de ne point faire respecter ses penchans à ses ministres et à sa cour.

» Louis, pour annoncer qu'il allait déployer une fermeté toute nouvelle, prit la résolution d'accorder à madame Du Barry tous les honneurs et toute la puissance dont la marquise de Pompadour

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dauphin et de l'archiduchesse Marie-Antoinette : c'était, pour ainsi dire, le seul rayon d'espoir et de consolation qui brillât à travers la nuit douloureuse dont la France était alors couverte. C'était le lien par lequel les Français tenaient encore à l'amour et au respect du sang de leurs rois. Enfin le duc de Choiseul se voyait entouré d'une nombreuse clientelle, formée de ce qu'il y avait de plus illustre parmi les grands, dans l'église, dans la magistrature, dans les académies. Du milieu de tant d'appuis, il se refusait à toutes les avances de la nouvelle maîtresse avec autant de hauteur, qu'il avait mis de grâce et de souplesse à captiver celle qui n'était plus. Jusqu'au dernier moment il s'était opposé à ce que Louis XV profanât et insultât sa

sance,

avait joui si long-temps. Elle fut présentée. L'embarras que causait au roi cette cérémonie, fut accru par une circonstance légère; l'arrivée de la favorite fut un peu retardée. Les dames et les seigneurs du parti du duc de Choiseul triomphèrent de cet incident, et l'attribuèrent à quelque crainte. Le roi ne pouvait dissimuler sa gêne. Ceux qui avaient déjà déclaré l'étendue de leur complaise repentaient de leur empressement. Enfin le maréchal de Richelieu vint, aussi triomphant qu'à son retour de Mahon, annoncer l'arrivée de madame Du Barry. Alors chacun, pour effacer les impressions qu'il venait de trahir, affecta de n'avoir plus qu'un sentiment, celui de l'admiration pour la beauté. Dès ce moment une femme ignorante, mais plus adroite, plus spirituelle et même un peu plus réservée dans sa conduite qu'on ne pouvait s'y attendre, régna ou plutôt fit régner des hommes opiniâtres dans leur but, souples dans leurs moyens, qui voulaient raffermir les ressorts de la monarchie en dépit du monarque. » T. IV, p. 222. (Note des nouv, édit.)

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