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Mais l'ambition ne se rend pas aussi facilement à de bonnes raisons, et, à la demande des Tarentins, Pyrrhus accourut avec son armée. Comme il était en marche, un citoyen avec toutes les apparences de l'ivresse, la tête encore couronnée de roses fanées, ayant une joueuse de flûte près de lui, se présente devant les Tarentins, réunis en assemblée. Eh bien! Méton, lui crient-ils, chante et réjouis-nous. - Oui, leur répondit-il, chantons et réjouissons-nous tandis que nous en avons le temps : nous aurons autre chose à faire quand Pyrrhus sera ici.

En effet, à peine le roi est-il arrivé qu'il fait fermer les théâtres et les palestres, avec défense à tous les habitants de sortir de la ville sous peine de mort. Pour son début il vainquit à Héraclée les Romains, épouvantés par les bœufs de Lucanie, comme ils appelaient les éléphants, qu'ils voyaient pour la première fois. Cependant il répondit aux félicitations qu'on lui adressait : Encore une victoire comme celle-là, et nous sommes perdus. Renforcé par les Samnites, les Lucaniens, les Messapiens, il s'avança jusqu'à Préneste, et des hauteurs voisines il découvrit Rome, cette Rome dont il était capable d'apprécier la grandeur. Il dit en contemplant les cadavres des soldats morts dans le combat: Le monde ne tarderait pas à étre conquis, si j'avais les Romains pour soldats, ou si les Romains m'avaient pour général. Il envoya Cinéas proposer la paix ; et celui-ci ne perdit pas cette occasion de connaître les admirables institutions de cette grande cité. Déjà les Romains, persuadés par son éloquence et par les motifs qu'il alléguait, étaient disposés à traiter, lorsque le patricien Appius parut au milieu du sénat, dans lequel l'ambassadeur crut voir une assemblée de rois.

Cet ancien censeur, despote dans sa famille comme un patriarche, avait réparti la plèbe dans toutes les tribus, et fait admettre dans le sénat jusqu'aux affranchis. Avant lui, les seuls descendants d'un certain Potitius, aborigène, de même que ces familles que nous avons vues en Grèce chargées par privilége des fonctions d'un culte, avaient sacrifié sur l'autel du grand Hercule; Appius persuada aux Potitiens de laisser participer à leurs fonctions des esclaves du peuple romain, mettant ainsi en commun même le sacerdoce, qui primitivement avait été le partage exclusif des nobles.

et ce qui est arrivé à un peut aussi arriver à un autre. - Vous voulez dire la tiare, n'est-ce pas ? Et puis ?— Le prêtre hésitant à répondre, le saint ajouta et puis mourir.

On dit bien que la colère des dieux avait fait périr tous les Potitiens dans une seule année et rendu Appius aveugle; mais les barrières une fois abattues ne se relèvent plus, et la noblesse poursuivit en vain de sa haine le sévère censeur. Sa magistrature fut d'ailleurs immortalisée par la construction d'un aqueduc de quatrevingts stades de longueur, et par la route qu'il fit ouvrir de Rome à Capoue, sur un espace de mille stades: monument qui, après Voie Appicavingt siècles, atteste encore la grandeur de la ville reine du monde, et semblait déjà annoncer la réunion de l'Italie à sa métropole.

Le vieux patricien se présenta donc dans le sénat, porté par ses quatre fils, qui tous avaient été consuls, et il dicta cette réponse, qui devait être reportée à Pyrrhus : S'il veut la paix, qu'il commence devait être par sortir de l'Italie.

Les éléphants avaient cessé d'effrayer les Romains, qui faisant usage de dards enflammés (1) les rejetèrent sur l'armée de Pyrrhus, la mirent ainsi en désordre et remportèrent la victoire. Fabricius, qui fut envoyé vers Pyrrhus pour traiter de l'échange ou de la rançon des prisonniers, excita l'admiration de ce prince par son intégrité. Ayant appris combien il était considéré dans sa patrie et pauvre dans son intérieur, Pyrrhus lui offrit une grosse somme d'argent, et il la refusa. Il essaya le lendemain de l'effrayer au moyen d'un éléphant, et ne réussissant pas davantage, il s'écria: Il est plus facile de détourner le soleil de son cours que Fabricius du chemin de la probité. Le Romain, entendant Cinéas exposer durant le souper la philosophie d'Épicure, et dire que dans l'opinion de ses sectateurs les dieux ne s'occupaient en rien des actions humaines, qu'ils se tenaient à l'écart des affaires de la république et vivaient dans une douce insouciance. O dieux! s'écria Fabricius, faites que Pyrrhus et les Samnites adoptent une pareille doctrine tant qu'ils seront en guerre avec nous!

Plus Pyrrhus apprenait à le connaître, et plus il désirait se l'attacher; aussi l'exhortait-il à ménager la paix entre ses concitoyens et lui, et à venir ensuite se fixer à sa cour: Ce ne serait pas à ton avantage, lui répondit Fabricius; car ceux qui t'honorent aujourd'hui, une fois qu'ils me connaîtraient, aimeraient mieux être gouvernés par moi que par toi.

(1) Élien, Historia var., 1, 38, dit que pour épouvanter les éléphants, ils leur présentèrent des porcs.

ne.

277.

Pyrrhus renvoya deux cents prisonniers sans rançon, et permit à tous les autres d'aller à Rome voir leurs parents, pourvu que Fabricius s'engageât à les faire revenir. Les prisonniers rendus furent notés d'infamie, les cavaliers mis à pied, les fantassins incorporés parmi les frondeurs, et tous durent passer les nuits hors du camp sans abri ni tranchée, jusqu'à ce qu'ils eussent dépouillé chacun deux ennemis. Fabricius ayant prévenu Pyrrhus que son médecin lui avait proposé de l'empoisonner (1), le roi d'Épire, touché de tant de générosité, mit fin aux hostilités, consacra dans le temple de Tarente une partie des dépouilles, et ne rougit pas de se déclarer vaincu (2); puis deux ans et quatre mois après son débarquement à Tarente, il quitta l'Italie avec ses soldats, ses chevaux, ses éléphants, et passa en Sicile avec soixante navires, que lui avaient expédiés les Syracusains. Appelé par eux pour les défendre contre les Carthaginois, il en purgea l'île, et aurait pu s'y créer un royaume, si le siége inutile de Lilybée n'eût pas fait avorter ses projets et découragé les Siciliens, qui l'abandonnèrent. Il pilla alors autant qu'il le put, et, pressé par les instances des Tarentins, qui ne pou¬ vaient plus résister aux Romains, il fit voile vers la Grande Grèce. Mais son équipage avait été recruté par force, et les marins, com¬ prenant qu'ils allaient être sacrifiés pour sauver de la flotte punique les bâtiments de transport chargés de butin, se laissèrent vaincre par les Carthaginois. Soixante-dix navires furent coulés à fond, douze seulement purent aborder à Rhégium. Pyrrhus, réduit alors à une grande pénurie, enlève le trésor de Proserpine à Locres; puis un remords de conscience le lui fait restituer. Enfin, vaincu de nouveau, il retourne en Grèce, sans avoir tiré aucun fruit de

son expédition.

Cependant les Romains avaient continué de faire la guerre à la Campanie, qui finit par être subjuguée. Les prisonniers furent

· (1) Fox révéla aussi à Napoléon, en 1806, une prétendue conspiration contre sa vie, et quoique l'on sût de part et d'autre que c'était une pure invention, on en tira parti pour en venir à un traité et pour mettre fin à la guerre.

(2) Orose nous a conservé ces deux vers inscrits sur les trophées par l'ordre de Pyrrhus,

QUI ANTE HAC INVICTI fuere viri, PATER OPTIME OLYMPI,

HOS EGO IN PUGNA VICI, VICTUSQUE SUM AB ISDEM.

Ils doivent avoir été traduits du grec, mais à coup sûr à une époque reculée.

bannis; la légion campanienne, qui s'était révoltée, fut conduite à Rome, et là quatre mille hommes furent successivement mutilés et égorgés, sans obsèques, et sans deuil (2). Rome avait done soumis toute l'Italie, en combattant les redoutables Samnites. Elle avait amélioré sa tactique; Pyrrhus l'avait habituée à ne pas craindre les étrangers, et lui avait enseigné la tactique macédonienne : elle commençait alors à s'allier avec des peuples éloignés, et en même temps à mettre en œuvre cette politique qui lui fut propre, d'enchaîner les vaincus au char du vainqueur.

Quand Pyrrhus avait abandonné la Sicile, il s'était écrié : quel beau champ de bataille nous laissons aux Romains et aux Carthaginois (1)! Son habileté lui faisait prévoir que le moment était venu où ces deux puissances, s'étant agrandies chacune de son côté, devaient se heurter et en venir aux prises. La querelle qui va s'engager entre elles nous attire sur la côte d'Afrique, pour y observer des peuples qui depuis longtemps s'y sont accrus, mais qui ne font que commencer à jouer un rôle important dans le drame de l'humanité. Il ne s'agissait pas en effet dans les guerres puniques de décider seulement la quelle des deux villes aurait à triompher, ou si la victoire ferait dire, foi punique, ou foi romaine; mais laquelle des deux races, sémitique ou indo-germanique, aurait à dominer le monde.

CHAPITRE VI.

CARTHAGE.

L'Afrique est le continent qui offre les variétés les plus nombreu- L'Afrique. ses. Elle commence sous notre zone tempérée, passe dans une largeur presque égale sous la ligne, et finit en pointe sous la zone tempérée méridionale.

C'est une vaste péninsule en forme de cœur; sa longueur est de dix-huit cent lieues sur treize cents de largeur. Elle n'est sillonnée que par un très-petit nombre de grands fleuves, n'a point de mers méditerranées, ni de golfes, ni presque de rades qui permettent de pénétrer dans l'intérieur de cette grande masse terrestre; elle n'est

(1) Tite-Live, XXVIII, 28.

point entourée d'îles, et à son centre se trouve un désert aussi vaste que la moitié de l'Europe (1). Elle étend vers les autres parties du monde le cap Bon dans la Méditerranée, le cap Vert à l'occident du côté de l'Amérique, le Gardafui à l'orient, et celui de BonneEspérance dans l'hémisphère méridional. D'autre part, elle se rapproche de l'Europe par le détroit de Gibraltar; de l'Arabie, par celui de Bab-el-Mandeb, et l'isthme sablonneux de Suez la réunit à l'Asie. Ces divers points et ses côtes sont depuis longtemps connus et fréquentés, le reste est demeuré presque mystérieux. Les royaumes florissants d'Égypte et de Méroé remontent aux premiers temps de l'histoire humaine, et des voyages récents ont découvert des traces de civilisation en des lieux où l'on ne pensait pas qu'il en eût jamais existé. On avait pénétré dans l'intérieur de l'Afrique sous les Ptolémées pour en tirer des éléphants, devenus d'une grande utilité dans les guerres de cette époque; plus tard les Romains étendirent leurs conquêtes jusqu'au pays des Garamantes.

La révolution la plus importante pour l'intérieur de l'Afrique fut la prédication de l'islamisme. Les mahométans, apôtres armés, se transportèrent jusqu'au cœur du pays sur les chameaux dont ils faisaient habituellement usage dans leur patrie, et ouvrirent ainsi des communications directes avec les contrées qui fournissaient l'or et l'ivoire. En 965, beaucoup de docteurs musulmans allèrent extirper l'anthropophagie et établir leur religion parmi les Nègres et dans les oasis qui donnèrent à l'islamisme ses plus ardents défenseurs. Les découvertes se multiplièrent après la fondation des empires florissants de Maroc et de Fez. Le premier s'éleva à son plus haut degré de splendeur dans le treizième siècle sous le kalife Mansour: Mensé Suleiman fonda alors Tombouctou, terme périlleux des dernières reconnaissances. Les Maures, en retournant après leur expulsion d'Espagne sur les côtes septentrionales, y augmentèrent l'industrie et la civilisation; puis des hordes féroces et ignorantes tombèrent sur les pays barbaresques pour former non des établissements, mais des repaires de brigands, demeurés jusqu'à nos jours comme une barrière entre ce continent et le nôtre.

Déjà Roger de Sicile avait fait rédiger par Édrisi une géographie qui révéla l'existence de plusieurs villes et royaumes de l'A

(1) Il a 72,000 milles géographiques carrés, en y comprenant les oasis, et 52,000 sans les compter. Sa longueur est de 450 milles, et sa largeur de 300 : le double de la Méditerranée.

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