: prudence des sages. Or c'est ce que vous ne faites pas. Loin de là, avez-vous quelques desseins? avez-vous pris une résolution? Quoi que l'on dise pour vous faire sentir le mal, vous ne vous en départez pas. Non les soldats les plus braves ne défendent pas avec plus d'obstination un poste où l'ennemi les assiége, que vous ne defendez votre opinion. Rien de ce qu'on peut vous dire au contraire ne trouve accès dans votre esprit. Agir ainsi, selon les maximes de nos sages, ce n'est pas réunir plusieurs ruisseaux pour en former une grande mer. Un prince sage écoute tout, pèse tout sans prévention. Lorsqu'il a diverses propositions à examiner, il ne dit pas : Celle-ci est la mienne, celle-là est d'un autre; celle-ci m'a été suggérée la première, celle-là est venue après. De telles distinctions ne le font pas pencher d'un côté ou de l'autre ; il cherche la meilleure opinion, et cela suffit. Or comment discerner la meilleure, si l'on se laisse préoccuper par de pareilles préventions? Le Chou-king dit : « Si quelqu'un manifeste un avis contraire à vos inclinations et à vos idées, c'est pour vous un motif de le présumer bon, et d'en peser avec plus de soin l'utilité et l'avantage. Si un autre abonde dans vos intentions, il faut donner d'autant plus d'attention aux raisons en sens opposé. » Que si contrairement à de telles maximes, n'écoutant avec plaisir et n'embrassant avec joie que ce qui s'accorde avec vos idées, vous rejetez tout le reste, si même vous vous en irritez, il en résulte naturellement que les flatteurs affluent autour de vous, et que les gens probes se retirent. Est-ce là le moyen de faire le bonheur de vos sujets et d'illustrer votre règne ? Votre dynastie, à l'exemple des précédentes, a établi des censeurs pour être les oreilles et les yeux du prince, afin que ni les ministres ni d'autres n'osassent rien lui cacher de ce qu'il importe de connaître. Toutes les affaires qui viennent à la cour passent par les mains des ministres : ils en délibèrent, ils décident; et s'il plaît au prince, ils en promulguent la décision. S'il arrive qu'un censeur, selon le devoir de sa charge, vous adresse des remontrances sur ce qu'ils décident et vous soumette ses motifs, Votre Majesté, au lieu d'examiner elle-même son mémoire, le remet de suite à ceux là-même dont la décision est attaquée, et s'en rapporte à leur jugement. Où sont ceux qui ont assez de rectitude d'esprit pour reconnaître que ce que d'autres proposent est mieux que ce qu'ils ont déjà résolu ? On trouve encore moins des gens pour avouer qu'ils ont tort, et que la censure est juste. En agissant ainsi, Votre Majesté ne gagne autre chose que la réputation d'un prince qui n'aime pas les avis et qui cherche à s'en débarrasser ; vos officiers y gagnent d'être les maîtres absolus, et les tranquilles dépositaires de l'autorité suprême. Les trois points que j'ai touchés ne sont pas des choses secrètes; il n'est pas d'employé fidèle et dévoué qui n'en gémisse. Mais on craint un mouvement de colère de votre part, et de celle des parties intéressées, un ressentiment presque aussi redoutable. En conséquence, personne n'ose dire mot: et la mélancolie, le découragement, l'indignation, règnent dans le cœur de vos fidèles sujets. Plus ces sentiments sont comprimés, plus ils deviennent violents; et je ne m'étonne pas qu'ils attirent ces intempéries des saisons. J'ose parler ainsi pour vous supplier de faire attention que si les hommes sont au-dessous de vous, Tien est au-dessus, et pour vous conjurer de répondre aux desseins du ciel et aux désirs de vos sujets. Vous ne pouvez mieux y réussir qu'en remédiant effica le cement aux trois points que j'ai signalés. Remplissez envers l'impératrice les devoirs d'un bon fils; occupez-vous de lui faire plaisir, et de la rendre contente et heureuse. Montrez de la bonté aux princesses vos sœurs, en ayant égard à ce qui leur est nécessaire, et mariez-les quand le moment en sera venu. N'abandonnez pas à autrui l'autorité suprême, qui n'appartient qu'à vous. Dans le choix des officiers, distinguez le vrai mérite. Dans les récompenses et les châtiments, ne considérez que l'étendue des services et la gravité des fautes. Fermez désormais la porte aux flatteurs, éloignez ceux qui out obtenu des emplois. Ouvrez un libre avis aux conseils, écoutez tous ceux qui vous seront donnés, suivez avec constance et courage ceux qui seront les plus salutaires. Du reste, il ne faut pas vous contenter de paroles, et de dire que vous voulez dorénavant changer de conduite; il faut le montrer par vos actions; il faut aussi que ces actions proviennent d'une résolution ferme et sincère. Rien ne résiste à une pareille sincérité quand elle est parfaite; elle a dompté maintes fois jusqu'aux pierres et aux métaux : comment des hommes lui résisteraient-ils ? Mais si elle vous manque, les apparences ne produiront rien. Non, vous ne feriez pas mouvoir le moindre de vos sujets : à plus forte raison ne pourriez-vous toucher Tien. Ne vous faites pas illusion, voici les paroles du Chou-king: « Il est trop au-dessus de nous. »> Mais, quelque élevé que soit Tien, il nous entend et nous voit de près. Nos sentiments germent à peine au fond de nos cœurs, que Tien en est déjà informé. Faut-il qu'il se montre à vos yeux sous une figure humaine, ou qu'il touche vos oreilles par le son d'une voix sensible? Je sais le peu que je vaux, et combien peu je vous suis utile; mais je ne me crois pas pour cela dispensé de vous exposer mes sentiments et de vous soumettre mes faibles observations. C'est à Votre Majesté de les examiner à son aise, et d'en apprécier la valeur. |