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Choun. 2285.

2224.

Il choisit donc, de préférence à son propre fils Yao, Choun, d'une naissance obscure, mais vénéré pour sa piété filiale. Il lui fit épouser ses deux filles; et après l'avoir éprouvé, en observant toutes ses actions pendant trois ans, il l'associa à l'empire. Choun fut législateur en visitant les provinces de l'empire il connut leurs besoins; il introduisit l'uniformité des poids et des mesures; publia des lois pénales, aux termes desquelles certains châtiments pouvaient se racheter à prix d'argent; quant aux délits commis accidentellement, ils n'étaient pas punissables : il adoucit la rigueur des supplices en substituant à la peine de mort, à la marque, à la mutilation, l'exil, la confiscation, le bâton. A la mort de Yao, dont le peuple porta le deuil pendant trois ans (ce deuil passa dès-lors dans les rites du pays), Choun régna seul, fit exécuter beaucoup de digues et de levées, puis associa You à l'empire.

En conférant un emploi, Choun en expliquait les devoirs à celui qu'il y nommait, comme ferait un ministre dans un État constitutionnel. Bien que ses discours n'aient pas, à notre avis, plus d'authenticité que ceux dont Hérodote et Tite-Live ont rempli leurs histoires, il est bon d'en rapporter quelques fragments, pour donner une idée de l'idéal des magistrats chinois.

Choun disait donc aux pasteurs de ses provinces : « Il faut trai« ter avec humanité ceux qui viennent de loin, instruire ceux qui « sont près, estimer les hommes d'esprit et en tirer parti, se «fier aux gens probes, ne pas fréquenter les méchants. - Quand « le prince et le ministre savent se mettre au-dessus des difficul<«<tés de leur position, l'empire est bien gouverné, les peuples sui« vent facilement le chemin de la vertu. Ne pas laisser inconnues « les personnes sages, établir la paix dans tous les pays, confor« mer ses connaissances et ses intentions à celles d'autrui, ne pas mal. << traiter ni mépriser ceux qui ne sont pas en état de faire entendre « leurs doléances, ne pas abandonner les pauvres et les malheu<< reux; telles furent les vertus de l'empereur Yao. » Il adressait aux grands ces paroles : « Je mettrai à la tête des ministres celui « de vous qui est capable de bien gouverner la chose publique, afin « que règnent partout l'ordre et la subordination. » Il parlait ainsi à Ki: «Vois la misère et la faim des peuples: comme intendant de « l'agriculture (eu-tsi), fais semer des grains de toutes espèces, se« lon la saison. » Il disait à Sie, ministre de l'instruction (ssé-tou): Il n'y a point de concorde parmi les peuples, et les désordres se

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<«<manifestent dans les sept États. Publie les cinq instructions; sois indulgent et doux.. Au grand juge (cao-iao): « Les étrangers sus« citent de grands troubles; s'il y a parmi les habitants de l'empire. « des voleurs, des homicides, des gens mal vivants, fais usage à « leur égard des cinq règles, pour punir les délits de châtiments « proportionnés. » A Pé-hi, ministre des cultes (chi-tsung) : « Veille << du matin au soir avec crainte et respect : aie le cœur droit et dégagé de passion. » Et à Cuéi : « Je te nomme surintendant de la musique, je veux que tu l'enseignes aux fils des princes et des < grands; qu'ils soient sincères, affables, indulgents, complaisants, « graves; qu'ils soient fermes sans dureté ou cruauté. Inspire-leur le « discernement sans l'orgueil. Expose-leur tes pensées en vers, et fais << sur les instruments des chansons en différents tons. Que les huit << modulations soient conservées, et qu'il ne naisse pas de confusion << entre les divers accords; les hommes et les animaux seront en paix. >> Cuéi répondit : « Lorsque je touche, ou doucement ou fort, << mon instrument de pierre, les animaux féroces sautent d'allé«<gresse. >> Choun dit encore à Lang: «J'ai les médisants en horreur; leurs discours répandent la discorde, nuisent aux gens « de bien en éveillant des inquiétudes et des séditions, et boulever<< sent le peuple. Viens done, Lang: je te nomme rapporteur (na-iau); << n'aie en vue du matin au soir, soit en promulguant mes ordres et «< mes décrets, soit en me rapportant ce que disent les autres, que << la rectitude et la vérité (1). »

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Le ministre Hi lui disait : «Il faut veiller sur soi-même, ne pas « cesser de se rendre meilleur, et ne pas permettre que les lois de « l'État soient violées; il faut fuir les amusements excessifs et les plaisirs honteux. Il faut ne pas changer l'ordre une fois donné à « une personne sage, ne pas se hâter de décider où il existe des «< doutes et des difficultés; il faut rechercher les suffrages des cent « familles (c'est-à-dire du peuple), et ne pas se les aliéner pour fa« voriser sa propre inclination. »

Cette déférence est exprimée plus clairement dans les paroles d'un ministre d'Iou: « Ce que le ciel entend et voit se manifeste au « moyen des choses que les peuples entendent et voient. Ce que le « peuple juge digne de récompense ou de châtiment indique ce « que le ciel veut punir ou récompenser. Le ciel est en communica

(1) Chou-King, I, 2.

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<«<tion intime avec le peuple: que ceux qui gouvernent le peuple << soient donc attentifs (1). » Il ne faut pourtant pas conclure de là qu'il entrât quelque élément démocratique dans la constitution chinoise; nous ne pouvons regarder ces doctrines que comme des fruits du principe qui, avec l'autorité paternelle, constitue le gouvernement chinois et le tempère, nous voulons parler de la science des lettres.

Quand Choun fut mort, l'empire prit le deuil triennal, et Iou lui succéda comme chef suprême. A lui commence la première dynastie chinoise, attendu que le droit d'élection, exercé jusquelà par les empereurs entre les sujets présentés par les grands, fut alors restreint; ces derniers n'ayant plus à choisir les candidats que parmi les fils de l'empereur, sans égard à l'ordre de primogéniture: ce mode de succession, qui offre plus de chances de bons règnes que la succession en ligne directe, malgré les dissensions et les guerres intestines qu'il peut occasionner, s'est conservé en Chine jusqu'à nos jours.

CHAPITRE XXIII.

CONSIDÉRATIONS SUR LES ANTIQUITÉS CHINOISES.

Les Chinois, tout à fait dépourvus d'enthousiasme, n'ont pas été façonnés par la religion comme les autres peuples de l'Asie : si pourtant les prêtres y obtinrent d'abord quelque puissance, comme régulateurs des choses du ciel, les premiers empereurs amoindrirent leur influence en réunissant dans leurs seules mains l'autorité civile et religieuse, et en se réservant le droit de sacrifier au Maître suprême.

Les premiers livres chinois offrent une idée pure et parfois élevée de la Divinité; l'on y rencontre aussi ce fond de vérité commun aux Égyptiens, aux Chaldéens, aux Perses, aux Indiens, et à tous les peuples qui ont une histoire. « Chang-ti ou Tyen est l'esprit qui règne dans les cieux, parce que les cieux sont l'œu<< vre la plus excellente qu'ait produite la cause première. Immense, « éternel, il n'a ni matin ni soir; son principe est en lui-même, et du

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(1) Chou-King, I, 4.

• pied de son trône d'innombrables ehœurs d'esprits veillent sur << l'homme, et le protégent. Le plaisir suprême du sage est de s'é<< lever jusqu'à eux pour les contempler; invisibles, il les voit; ils « ne parlent pas, et il les entend; ils sont unis par des liens qui n'ont « rien de terrestre, et que ne peut rompre aucune chose terrestre. »

Tyen est le point culminant sur lequel s'appuient toutes choses. Ce fut lui qui laissa tomber de sa main cette multitude de peuples, après leur avoir donné la force vitale et la lumière de la raison. Par lui règnent les rois, à la condition d'être son image sur la terre; c'est-à-dire de châtier les méchants et de récompenser les bons, de procurer la paix aux hommes de bonne volonté (1). On sent dans le nom de fils du ciel, donné aux monarques, la dérivation du pouvoir d'en haut; et à cause de son origine, ce pouvoir est le seul devant lequel l'homme puisse s'incliner sans s'humilier. La crainte de Dieu est considérée dans le Chou-King comme extrêmement efficace pour la répression du vice. Tyen inspire les pensées saintes, et emploie sa puissance absolue sur la volonté de l'homme pour le conduire à la vertu par le ministère de ses semblables, afin de le récompenser ou de le punir, sans limiter le libre arbitre.

L'empereur seul, comme fils adoptif et héritier de la grandeur de Tyen sur la terre, pourra lui offrir solennellement des sacrifices; mais il doit se préparer au ministère pontifical par un jeûne austère et par des larmes de pénitence (2); tout le mérite de la prière

(1) Chou-King.

(2) Voici la prière que Tao-Kuang, empereur actuel de la Chine, récita en 1832, à l'occasion d'une sécheresse :

<< Moi, ministre du ciel, établi sur les hommes pour les gouverner, je suis responsable de l'ordre du monde et de la tranquillité de l'empire. L'âme affligée, pleine d'anxiété, je n'ai pu ni dormir, ni manger; et pourtant aucune ondée abondante n'est tombée encore...... Je me demande si je fus négligent dans les sacrifices? si l'orgueil et la prodigalité se sont introduits dans mon cœur? si j'ai apporté peu d'attention au gouvernement? si j'ai proféré des paroles irrévérentieuses, et mérité des reproches ? si les récompenses et les châtiments ont été répartis avec équité? si j'ai grevé le peuple et causé préjudice aux champs, pour élever des monuments et faire des jardins? si je n'ai pas préféré les plus capables dans le choix des employés, et si j'ai ainsi vexé le peuple? si l'opprimé n'a pas trouvé d'appui? si les largesses accordées aux provinces malheureuses du midi n'ont pas été distribuées convenablement? si les indigents ont été laissés mourants le long des fossés? Prosterné, je supplie le Tyen impérial de me pardonner mon ignorance et ma stupidité; car des milliers d'innocents

et des sacrifices consiste dans la piété de l'intention. La vraie sagesse, est-il écrit dans le Ta-io, consiste dans la lumière de l'esprit et dans la pureté du cœur, dans l'amour de la vertu, dans le zèle à en allumer l'amour au cœur des autres; elle consiste, à écarter tout empêchement à notre union avec le bien suprême, et à notre constant amour pour lui. Cette idée élevée de la dignité de l'homme se retrouverait à peine chez les sages de la Grèce.

Les âmes des justes vont dans le séjour de Chang-ti, mais nous ne voyons nulle part indiquées expressément les peines réservées dans une autre vie aux fautes commises dans celle-ci. Plus tard, les Chinois adressèrent aussi leurs hommages aux cieux matériels et à l'influence céleste. De cette idolâtrie, la plus excusable de toutes, ils furent amenés, plusieurs siècles après, à révérer les esprits malins et les objets matériels, ce dont ils furent détournés par Confucius.

Ces croyances sont un reste des traditions patriarcales emportées par les hommes, lorsque se divisa la descendance de Noé. Nous pourrions en ressaisir les traces dans certaines cosmogonies chinoises qui racontent que l'homme, dans l'état d'innocence, avait pour séjour un jardin délicieux, où jaillissait une source qui alimentait quatre grands fleuves; où croissait l'arbre de vie, et dont les habitants fournissaient une longue existence dans la vertu, la justice et la sagesse: mais que le péché d'une femme donna entrée dans le monde au malheur, et à tout ce qui s'y fait de mal à l'infini; ce dont un rédempteur viendra délivrer l'humanité.

Confucius disait au ministre Pé : « J'ai appris que dans les pays << d'occident il naîtra un homme saint, qui, sans exercer aucune charge du gouvernement, empêchera les désordres; sans parler, il << inspirera une confiance spontanée; sans opérer de bouleversements, <«<i! produira un océan d'actions: personne ne peut dire son nom; mais j'ai entendu assurer que celui-là sera le véritable saint (1). Les livres canoniques ajoutent que « ce saint est celui qui sait « tout, voit tout; dont les paroles sont toute doctrine, les pensées

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périssent pour la faute d'un seul homme. Mes péchés sont si grands, que je n'ose espérer me soustraire à leurs conséquences. L'été est passé, l'hiver est venu. Il n'est pas possible d'attendre plus longtemps. Prosterné, je prie le Tyen impérial de me délivrer. »

(1) REMUSAT, Notices des Manuscrits de la Bibliothèque royale, t. X, p. 407.

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