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sera redouté, entouré d'espions et d'obstacles, parce qu'il peut introduire des innovations: la nation, privée ainsi des moyens de comparaison, et mesurant tout d'après ses cérémonies rituelles, ses frivolités laborieuses et la complication artificielle de son organisation, verra des barbares dans tous les autres peuples; elle concevra, dans son immense égoïsme, alimenté par l'absence du besoin de produits étrangers, cette haute opinion de soi qui naît où toutes les actions sont prescrites, et où l'on est exalté pour s'être conformé à la règle. Les Chinois répondraient encore aujourd'hui à ceux qui voudraient les éclairer : « Que voulez-vous nous enseigner? nous «< connaissons tous les arts utiles; nous cultivons les céréales, les légumes, les fruits; nous employons pour nos tissus et nos étoffes, non-seulement la soie, le coton et le chanvre, mais encore « différentes écorces et racines. Personne n'exploite les mines <«< mieux que nous, n'est plus entendu dans l'art du menuisier, << du charpentier, du potier, de l'ébéniste; nous sommes charrons et sculpteurs; nous faisons la teinture, le papier, la porcelaine, mieux « que qui que ce soit au monde. »

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Il est vrai que les besoins matériels sont, depuis un laps de temps immense, satisfaits chez eux en tous points; mais non pas ceux de l'intelligence; et cet élan qui porte l'homme à s'améliorer y a été entravé par une hypocrisie systématique, non moins que par l'obéissance passive. Quand la population s'accroît à l'excès, au lieu d'envoyer au dehors, comme les Grecs, des colonies qui répandent la civilisation, les Chinois, pour qui c'est une honte que de s'éloigner des tombeaux de leurs pères, exposent les enfants par milliers. Ils ont connu, bien avant les Européens, l'imprimerie, la boussole, la poudre à canon; mais tandis que ces trois inventions changeaient la face du monde occidental, elles ne recurent chez eux aucun perfectionnement, et ne furent jamais qu'un objet d'amusement. La boussole leur est inutile, attendu qu'ils ne voyagent pas; la poudre leur sert à faire des feux d'artifice; la presse doit se conformer à des préceptes inviolables, et n'a pas même contribué à simplifier leur écriture, dont le système est si compliqué. Ils cultivent les champs comme des jardins, en triomphant de la pente des montagnes par les mêmes procédés qu'ils emploient pour soutenir les rivages des fleuves et les côtes de la mer; mais ils font une énorme dépense de travail pour ce qui n'en coûte que peu à l'Européen. Ils ne se servent pas des bœufs pour tirer la charrue; de même ils n'ont pas su

utiliser les autres animaux de somme ou de trait, non plus que les forces naturelles, hormis le vent pour les voiles, quoique les barques aillent encore à la rame. L'homme porte les fardeaux, traîne les voitures, moud le grain dans chaque maison. Les ustensiles sont travaillés avec la plus grande finesse, mais à force de patience, avec des instruments grossiers; et chacun des objets que nous admirons a coûté bién des mois. Là l'unique machine est l'homme et souvent il n'a pas plus d'intelligence que n'en aurait une machine. En veut-on la preuve? Lorsqu'ils eurent dernièrement l'occasion de prendre modèle sur un navire européen, ils imitèrent si servilement ce qu'ils eurent à exécuter, qu'ils coulèrent avec la pièce de canon le cercle mobile destiné à supporter la masse de mire. Ils ont copié dans les étoffes jusqu'aux défauts du tissu. Ils avaient construit des bateaux à vapeur avec le fourneau et la cheminée; mais les roues étaient mises en jeu à force de bras. En un mot, l'originalité futile de ce peuple manque de toute étincelle d'enthousiasme, et sa froide raison ne donne que des fruits artificiels.

Tel est le peuple que les philosophes du siècle dernier, qui avaient pris en dégoût la civilisation européenne, ou à tâche la destruction du passé à l'aide de quelques armes que ce fût, proposaient comme modèle à la future liberté de l'Europe, en proclamant que sa constitution l'emportait sur toute autre; que la religion naturelle était bien préférable à celle de Dieu, et la morale de Confucius à celle de J. C. (1). Il y eut ainsi des astronomes qui prirent pour de brillantes étoiles quelques grains de sable tombés sur leurs télescopes.

La Chine ne pourra peut-être pas résister plus longtemps à l'impulsion de ce mouvement intérieur qui agite maintenant l'humanité, et la fait marcher à pas de géant vers le progrès. Il a été question, dans ces derniers temps, d'expédier aux États-Unis d'Amérique un essaim de Chinois, destiné à mêler l'extrême orient avec le nouveau monde. Plusieurs sociétés secrètes se sont formées à l'intérieur de l'empire, sans que la police ait pu parvenir jamais à connaître le chef, soit de la Triade, soit du Nénuphar blanc (2). Déjà plusieurs soulèvements partiels ont été tentés, dont

(1) Voy. les observations si pleines de légèreté de Paw, admirées de tous ceux qui aiment le clinquant; et les mille inexactitudes de MALTe-Brun luimême.

(2) Voy. le voyage de Rienzi.

les auteurs ont pris pour symbole l'expulsion des étrangers, préJude ordinaire du patriotisme. Peut-être aussi la Chine est-elle destinée à devenir la lice dans laquelle la Russie et l'Angleterre, dont les immenses conquêtes la touchent à l'occident et au nord, descendront pour se livrer bataille. Il est possible que la guerre avec ses désastres vienne y renouveler la civilisation, car elle a déjà ouvert six ports aux Européens (1), et elle a valu aux Anglais de s'installer en maîtres à Hong-Kong. Le contact fera disparaître né cessairement le dédain et l'horreur pour les choses étrangères, et procurera la lumière véritable à ceux qui n'ont encore vu briller qu'une clarté artificielle.

CHAPITRE XXII.

TEMPS ANTIQUES.

Peut-être les habitudes de la vie pastorale poussèrent-elles les fils de Sem à se répandre hors de l'Arménie. Évitant alors les pays trop élevés, de même que les régions trop méridionales, ils seraient descendus vers les contrées situées à la hauteur du cinquante-cinquième degré (2), pour traverser successivement ce que nous appelons aujourd'hui le Tabaristan, le Korazan, et la Bucharie jusqu'au Thibet. Là les montagnes à pic et la rigueur du froid les auraient contraints à se détourner, pour chercher un climat plus doux ; ils seraient ainsi arrivés dans les provinces qui portent aujourd'hui les noms de Chen-si, Chan-si et Chaung-toung.

Les lettrés, nom que prennent ceux qui suivent les doctrines de Confucius, laissant de côté les questions spéculatives pour les questions pratiques, ne commencent leur histoire authentique qu'à la soixante-unième année du règne de Ouang-ti, l'an 2737 avant J. C., d'où ils la conduisent, année par année, jusqu'à l'époque actuelle mais les Tao-ssé, sectateurs de Lao-tseu, autre philosophe

(1) Kanton, A-moï, Fou-Tchou-fou, Ting-haë, Ning-Po, Tchang-haë.

(2) Ceux qui sont curieux d'autres hypothèses trouveront dans l'Histoire universelle par une société de gens de lettres anglais; Paris, 1783, une longue discussion dans laquelle il est démontré què les origines des Chinois remontent à Noé en personne, lequel n'est autre que Fo-hi.

leux.

rival de Confucius, remontent à des temps beaucoup plus reculés. Ils placent dans ces temps plusieurs dynasties à commencer par Pan- Temps fabucou, surnommé Ouen-tun (chaos primordial), qui ressemble de nom au Manou indien, et qui a les mêmes attributs. Il vivait ou deux ou quatre-vingt-seize millions d'années avant Confucius (peu importe en effet de déterminer une époque toujours également arbitraire), et son pouvoir sur la nature allait jusqu'à créer. Après lui commencent trois règnes fameux: ceux du ciel, de la terre, et de l'homme. Les Quangs ou Augustes qui gouvernèrent durant ces trois périodes avaient un aspect en dehors de l'humanité. Dans la première, leur corps était celui d'un serpent; dans la seconde, ils réunissaient le visage d'un enfant, la tête du dragon, le corps du serpent et les jambes du cheval; dans la troisième, leur visage était d'un homme, tout le reste d'un dragon. Viennent ensuite dix chi ou périodes, durant lesquelles règnent des personnages à la face humaine et au corps de serpent. A la fin de la septième, les hommes cessent d'habiter les cavernes; dans la suivante, ils commencent à se garantir du froid en se couvrant de peaux; puis ils acquièrent peu à peu la science et la pratique, et se mettent à l'abri des animaux féroces dans des maisons de bois. Tsang-ké, premier empereur de la IX® période, invente les caractères alphabétiques; la musique est cultivée, une organisation régulière établie.

tains.

Fo-i

Après ces dynasties apparaît Fo-hi en l'année 3468 avant J. C. (1). Temps incerC'est à lui qu'on fait le plus généralement commencer l'histoire de la Chine; et l'on ne saurait trop dire s'il tient plus du mythe que du symbole. Oa-ssé (fleur attendue), fille du Seigneur, en se promenant sur la rive du fleuve, passa sur la trace du Grand, et se sentit émue: un arc-en-ciel l'environna, elle conçut, et, après avoir porté douze ans, elle donna le jour à Fo-hi. Comme il trouva trop restreinte l'unique écriture connue alors, c'est-à-dire celle qui se composait de cordelettes avec des nœuds, il inventa les huit symboles, consistant en trois lignes dont les diverses combinaisons donnent soixante-quatre signes; il créa le premier des ministres d'Etat, tissa des filets, entoura les villes de murailles, donna de l'écoulement aux eaux, éleva les six espèces d'animaux domestiques, cheval, bœuf, porc, chien, poule et mouton; il divisa le ciel en

(1) Afin de ne pas heurter les préjugés des Chinois, la cour romaine autorisa les missionnaires à établir le calcul des années d'après la version samaritaine qui ne ferait pas Fo-hi antérieur au déluge.

3218.

2637.

degrés, trouva la période de soixante ans, le calendrier, les règles de la musique, et inventa aussi la cithare à vingt-sept cordes de soie. Il institua le mariage pour remplacer les unions changeantes, et régla la société conjugale par des lois, dont une disposition singulière interdit d'unir ceux qui portent le même nom de famille. Or, les Chinois se donnent, entre autres titres, celui de Pé-sing, cent familles, ce qui indique que la première tribu venue dans le pays était composée de cent chefs de maison, desquels naquirent cinq cents mâles; il en résulte que toute la population dont ils furent les souches n'a que cinq cents surnoms; d'où suit que les mariages entre plusieurs millions d'habitants seraient incestueux comme les mariages entre frères et sœurs. Quelle opiniâtre ténacité dans les voies du passé, que celle qui conserve encore des liens de parenté datant de six mille ans! Fo-hi raconta avoir vu ses lois écrites sur le dos d'un dragon, ce qui valut à cet animal de devenir le symbole de l'empire. Il est armé de cinq griffes sur les drapeaux et dans les armes du monarque, tandis qu'il ne peut en avoir que quatre dans les représentations faites pour les particuliers.

A Fo-hi succéda Chou-nung (ouvrier divin), qui inventa la charrue et enseigna à cultiver la terre, à extraire le sel des eaux, à faire régulièrement la guerre. Il introduisit l'usage des marchés, de la médecine, du chant. Il mesura aussi la terre, à laquelle il trouva neuf cent mille li du levant au couchant, et huit cent mille entre les pôles (1).

Après un long intervalle vient Ouang-ti, et c'est à la soixanteunième année de son règne que commence le temps historique pour les lettrés, ainsi que le cycle de 60 ans, de 365 jours et six heures. Le soixante-quinzième court dans ce moment, et dans cet espace de temps se sont succédé vingt-deux dynasties (2).

(1) C'est chose bien singulière que de voir signalée ici la différence entre les deux diamètres, c'est-à-dire de la figure sphéroïdale de la terre, qui n'a été démontrée mathématiquement que de nos jours.

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