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droit n'est pas matériel, mais un par excellence, indivisible, inextinguible, survivant à l'objet sur lequel il tombe; il ne s'acquiert et ne se perd que par la volonté ou le consentement. Les jurisconsultes apportèrent en outre un grand soin à la véritable signification des mots et à la précision des formules, et ils se montrèrent d'une grande habileté dans l'appréciation des preuves et des présomptions.

Nous n'avons donc point sous les yeux une philosophie d'école comme en Grèce et à Alexandrie; la philosophie romaine est toute pratique et dirigée vers la science de la vie; méthode que les Italiens avaient déjà apprise de Pythagore, et que les hommes de bien ne devaient jamais mettre en oubli.

LA CHINE.

CHAPITRE XXI.

LE PAYS ET SES HABITANTS.

Une scène tout à fait nouvelle s'ouvre désormais à nos regards. Voici un peuple différent de ceux que nous avons vus jusqu'à présent; aussi nombreux à lui seul que tous les Européens ensemble, c'est-à-dire qu'il forme le cinquième du genre humain; il occupe presque un dixième de la terre habitable, parle une langue et emploie une écriture dont les règles et les bases sont toutes différentes des nôtres, de même qu'il ne nous ressemble ni par ses mœurs, ni par l'ordre de ses idées, ni par son organisation politique. Doué d'une habileté merveilleuse dans les arts manuels et de luxe, prodigieusement riche en littérature, sa civilisation ne marche pas parallèlement à la nôtre, dont elle méconnait même les allures.

Ce peuple, chez lequel se trouvait comme un foyer de science, de civilisation et de commerce, et qui dirigea les destinées de la partie la plus reculée de l'Asie, comme le fait aujourd'hui l'Europe à l'égard du reste de la terre, remonte par son origine aux premiers temps du monde : il compte des traditions non interrompues de quarante siècles, dans lesquelles il y aurait peut-être à rechercher

Fut-elle connue des an

ciens.

l'histoire des peuples orientaux, et les causes des migrations qui, depuis Odin jusqu'à Gengis-kan, se déversèrent sur notre Occident. Contemporain de tous les peuples, oublié par le temps, qui ne l'a ni vieilli ni renouvelé, il forme une chaîne vivante entre le présent et l'antiquité la plus lointaine.

On peut dire cependant que ce peuple étonnant resta inconnu aux anciens; et il paraît démontré que les Sères, mentionnés par Horace et par Florus comme placés au dernier terme des découvertes de l'antiquité, n'étaient pas les Chinois. La preuve de cela est que, selon Pline et Méla, les Sères habitent au milicu des régions orientales, dont les Scythes et les Indiens occupent les deux extrémités. Or l'Asie finissant, d'après eux, quelque peu à l'est du Gange, et tant soit peu au nord de la mer Caspienne, il est évident qu'ils plaçaient les Sères dans le Thibet et aux environs (1). Les indications d'autres écrivains encore nous interdisent de voir la Chine dans le pays des Sères. Il est probable que le sericum que l'on tirait du pays des Sères était une étoffe de soie que les Romains effilaient pour en faire de nouveaux tissus assez légers, et en parer, sans les couvrir, les charmes de la beauté : de même que la serica materies était une laine très-fine et très-longue, celle précisément dont on fait aujourd'hui les tissus de cachemire.

Arrien parle des Since dont on transportait les soies crues et travaillées vers l'Occident par la Bactriane (Bokara). Il paraît que, sous le dix-septième empereur de la dynastie de Han, l'an 94 de J. C., un envoyé serait parti de la Chine pour venir nouer des relations de commerce avec le monde occidental, et que dans le cours de son voyage il se serait arrêté en Arabie. Au temps de Trajan, les Chinois furent amenés, par leurs guerres avec les Tartares, jusqu'à la mer

(1) Nous avons suivi Malte-Brun: mais Gosselin, Lelewel, d'Anville, voient ailleurs les Sères. Heeren les met dans la Mongolie, à l'est du désert de Cobi. Le savant naturaliste Latreille a soutenu dernièrement qu'il y avait trois Sériques: 1o la Sérique proprement dite, celle de Ptolémée dans l'Asie supérieure, embrassant la partie occidentale et septentrionale de la petite Bucharie, et ayant pour capitale Sera Metropolis, aujourd'hui Turfan; 2o celle au nord de l'Inde; où émigrèrent les peuples de la première, chassés par des envahisseurs, en occupant la Sogdiane, la Bactriane, le Thibet, l'Inde selon Ammien Marcellin, les premiers vers à soie vinrent en Europe de Ser-inda; 3° celle qui fut plus généralement connue des anciens sous cette dénomination, et qui est l'Inde au delà du Gange, aujourd'hui l'empire Birman, où se trouve le fleuve Serus et la Sera major, mentionnés dans la table de Peutinger.

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Gaspienne; et il y a lieu de croire que l'usage toujours croissant de la soie détermina Antonin à envoyer par mer, en l'année 161, une ambassade chez les peuples qui la travaillaient; mais elle revint sans avoir rien conclu. Peut-être aussi n'était-elle dirigée que vers la partie supérieure de l'Oxus et de l'laxarte, où se rendaient alors en foule les négociants chinois, l'empire s'étendant jusque-là et jusqu'aux montagnes de Zung-Ling. On croit que le christianisme y fut introduit par les nestoriens vers 635; on en a retrouvé en effet des traces, et même des églises.

Les Arabes nous ont donné les premières notions précises sur la Chine, quand, aux huitième et neuvième siècle, l'élan des conquêtes porta le peuple le plus enthousiaste jusqu'aux confins de la nation la plus méthodique. Un passage, traduit par Renaudot, de la relation d'un voyage entrepris par les Arabes dans cette contrée, entre les années 850 et 877, prouve que leurs navigateurs, avant la conquête du pays par les Tartares Mongols, se rendaient par mer à la Chine pour faire le commerce. Lorsque la dynastie de ces conquérants y eut été fondée par Gengis-kan, l'Arabe Ibn-Batutas visita la Chine; et nous trouvons dans ses voyages, traduits par le professeur Lee, la description du papier monnaie, invention des Mongols.

Dans l'intention d'opposer une digue à l'inondation dont Gengiskan menaçait l'Europe, le saint-père, comme tuteur de la chrétienté, envoya en ambassade au conquérant plusieurs religieux, qui rapportèrent à Rome des renseignements que l'on crut fabuleux. Il en fut de même des récits du Vénitien Marco-Polo, surnommé Million par suite de la persuasion où l'on était qu'il avait singulièrement exagéré ce qu'il avait vu. Il avait visité en 1274 le royaume du conquérant mongol Coubilaï-kan, par qui même il avait été employé.

L'Arménien Hayton en fit peu après une description; puis Jean Corvinus, envoyé par Nicolas IV, convertit à la foi un grand nombre d'habitants du pays, le gouvernement n'étant pas encore aussi ombrageux à l'égard des étrangers qu'il le devint sous les Mantchoux.

Les Portugais y pénétrèrent pour la première fois en 1516; et, surpris de trouver tant de richesses, de civilisation et de savoir dans une contrée lointaine, quand tous les peuples intermédiaires étaient barbares et ignorants, ils en racontèrent des merveilles

Nomenclature

avec tant d'emphase, que la Chine passa pour le pays des miracles. Mais en même temps que la soif du gain ou la manie des conquê. tes attirait les Européens chez ce peuple singulier, le zèle de la foi y conduisit quelque temps après, en l'année 1580, les missionnaires, qui, non moins éclairés que sincères, fournirent sur le pays les observations les plus exactes.

Kang-hi, le plus libéral des empereurs de la Chine, facilita surtout le libre accès des jésuites dans le royaume du milieu; aussi continuèrent-ils à y propager les connaissances européennes et les doctrines catholiques, et à donner sur le pays des renseignements vrais et précis, jusqu'à l'époque où la jalousie les en fit expulser. On peut dire que depuis lors l'empire chinois fut fermé aux Européens. Les marchands s'arrêtent à Canton, où ils s'occupent plus de leurs intérêts que des matières d'érudition : les voyageurs et même les ambassadeurs y sont reçus avec défiance, tenus dans l'ignorance de toutes choses, ou trompés; et, bien que les relations soient chaque jour plus multipliées, l'un d'eux, plus franc que les autres, écrivait: Nous avons été reçus comme des mendiants, traités comme des prisonniers, renvoyés comme des voleurs; trois conditions, à coup sûr, qui ne sont guère de nature à permettre de se livrer à des explorations approfondies.

Voilà pourquoi nous connaissons moins ce peuple singulier que les autres nations anciennes; voilà pourquoi l'on n'a pu jusqu'ici interpréter les hiéroglyphes tracés sur les bandelettes de soie dont reste enveloppée cette momie d'un éternel et gracieux enfant. Mais dès que nos philologues purent appliquer la science à l'analyse de la langue et de l'écriture chinoise, l'étude des livres aida à comprendre cette nation mystérieuse.

Les Chinois appellent leur pays Chung-kou, c'est-à-dire centre de la terre, ou Chung-yang, nation du milieu; ils y ajoutent souvent des titres pompeux, comme Tammingca, royaume de grande splendeur, Taïnschin-ca, royaume de la pureté, Tien-ou-ca, royaume contenant tout ce qui est sous le ciel, et, depuis qu'y dominent les Tartares Mantchoux, le grand et pur empire. On leur a appliqué parfois le nom de la famille régnante; ainsi quand ils soumirent la partie méridionale de l'empire avec le Tonkin, et poussèrent leurs conquêtes jusqu'à la Cochinchine, les Malais et les Indiens leurs voisins les appelèrent Chin ou Sin, de la dynastie de ce nom qui occupa le trône deux cent cinquante-six ans avant J. C.

Le mot Chine vient de là; celui de Cathai, que lui donna Marco-Polo et que les Russes lui ont conservé, dérive des Chitans, nation qui habitait les provinces septentrionales au temps de l'invasion mongole. L'empire de la Chine est un immense plan incliné s'abaissant Chorographie. des hautes montagnes du Thibet jusqu'à la mer Jaune. Il s'étend aujourd'hui de Kasgar, à l'embouchure de l'Amour, sur une longueur `de treize cent cinquante lieues, et l'on en compte huit cent cinquante des monts Saïansk à la pointe la plus méridionale qui se trouve en face de l'île d'Haïnan. Situé entre le 21° et le 41o de latitude nord, il offre deux mille lieues de côtes, et sa superficie est de six cent soixante-dix mille lieues carrées (1). La Chine proprement dite a cent quatre-vingt-quinze mille lieues de superficie; mais il est si difficile de déterminer le nombre de ses habitants, que les uns lui en donnent cent cinquante millions, les autres trois cents trente.

On y compte deux mille sept cent quatre-vingt-seize temples, onze cent quatre-vingt-treize châteaux, trois mille six cent monastères, dix mille huit cent neuf constructions anciennes, trois mille cent cinquante-huit ponts en pierres, dont quelquesuns ayant jusqu'à cent arches, sept cent soixante-cinq lacs, quatorze mille six cent sept montagnes, et seize cent cinquante-neuf villes, parmi lesquelles il en est dont les habitants sont au nombre de deux millions. On y voit partout des canaux sillonnés, comme le disent les Chinois, par neuf mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf barques, et un labyrinthe inextricable de routes encombrées de chars et de piétons, de nombreuses armées dans des camps et de fortes garnisons dans les forteresses: on y voit aussi, comme s'il y avait disette de terrain, une foule de gens construire leur demeure sur des radeaux, et passer ainsi, bercés par les ondes, leur éternelle enfance. L'empire, qui comprenait, il n'y a pas encore longtemps, quinze Provinces. provinces, en embrasse aujourd'hui dix-huit. Une des plus remarquables est celle de Pé-chi-li, que la grande muraille sépare de la Mongolie, et qui contient cent quarante villes : au milieu d'elles s'élève Pékin, la capitale de l'empire, dont les hautes murailles en briques ont neuf lieues de tour, et où l'on entre par seize vastes portes de marbre. Elle renferme une multitude d'édifices, de cours, de jardins, plus admirables par la quantité et la bizarrerie que

(1) L'empire russe a 681,000 lieues de superficie; mais sa population est à peine de soixante millions d'âmes. Voy. la note B, à la fin du volume.

Pekin.

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