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Démetrius II.

arracha à Tryphon le royaume avec la vie, et occupa tranquillement le trône. Après avoir dompté les villes de Syrie qui s'étaient révoltées, il marcha contre les Parthes avec une armée que les extorsions et le pillage avaient prodigieusement enrichie. Il vain. quit dans trois batailles Phraate, nouveau roi de ces peuples, et vit accourir en foule sous ses étendards les habitants des anciennes provinces syriennes, qu'il recouvra en totalité, à l'exception de la Parthie.

Mais son armée traînait après elle des femmes, des munitionnaires, des esclaves sans nombre; et l'entretien, le luxe de tant de monde grevait de dépenses énormes les contrées dans lesquelles elle avait établi ses quartiers. Les choses en vinrent au point que les habitants du pays conspirèrent pour massacrer tous les soldats dans une même journée, ce qui fut exécuté; et Antiochus lui-même perdit la vie. Phraate, faisant allusion à ses excès de table et à sa témérité, s'écria sur son cadavre: O Antiochus, le vin et une confiance aveugle ont accéléré ta mort. Pensais-tu pouvoir mettre dans une de tes énormes coupes le royaume d'Arsace, et l'avȧler d'un trait (1)?

Au moment où ses affaires étaient presque désespérées, Phraate avait pris la résolution de délivrer Démétrius, qui s'indignait à la pensée de son royaume et de sa couche usurpés par son frère; son intention était de l'envoyer soulever la Syrie, et de forcer ainsi Antiochus à la retraite. La fortune ayant changé, Phraaté ne voulut plus délivrer Démétrius; mais celui-ci réussit à lui échapper, et ressaisit le sceptre. Phraate accourait pour le combattre, quand une invasion des Scythes le força de songer à la défense de son propre royaume.

L'infortune n'avait pas mûri le jugement de Démétrius; au lieu d'affermir son autorité faible encore, il se mêla aux dissensions qui déchiraient l'Égypte. Cléopatre, répudiée par Ptolémée Physcon, l'appela pour être son vengeur, en lui promettant la couronne. Il vint, et assiégea même Péluse; mais Physcon le contraignit à rèvenir promptement sur ses pas, en lançant contre lui Alexandre Zébina, qui, se disant fils de Bala, revendiquait la couronne de Syrie. Démétrius, vaincu près de Damas par ce prétendant, se réfugia à Tyr, où un traître le fit assassiner. Le royaume se trouva

(1) Possidonius d'Apamée dans ATHÉNÉE, I, 12.

divisé après sa mort entre Cléopâtre sa femme, et Alexandre Zébina.

Nous avons outrepassé les limites de cette époque, pour conduire jusqu'à sa fin un empire naguère si puissant. A sa fin, avons-nous dit; car, à partir de ce moment, l'histoire des Séleucides n'offre plus qu'une déplorable succession de guerres civiles, de dissensions domestiques, de cruautés atroces. Les Parthes avaient occupé l'Asie supérieure jusqu'à l'Euphrate; les Hébreux s'étaient affranchis de toute dépendance; de sorte que le royaume se bornait à la Syrie proprement dite et à la Phénicie. Les Romains voyaient avec joie ces déchirements intérieurs, qui hâtaient pour eux l'instant où ils étendraient aussi la main sur ce royaume, et en feraient une nouvelle province.

CHAPITRE XV.

TROISIÈME GUERRE PUNIQUE.

Rome, tout orgueilleuse d'avoir vaincu tant d'ennemis, ne voyait plus à dompter que Carthage, sa rivale. Les deux républiques avaient conclu la paix; mais la politique romaine tendait à la guerre, et les plaintes continuelles qui s'échangeaient des deux parts en fournissaient un facile prétexte. Rome, en faisant peser sur Carthage toute la malédiction du Væ victis! cherchait sans cesse à lui imposer de nouvelles humiliations; elle lui imputait comme un manque de foi manifeste les manœuvres hostiles d'Annibal en Asie; elle l'offensait, et c'était elle qui se récriait.

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Cependant Massinissa, roi de Numidie, père de quarante-quatre Massinissa. fils, farouche et turbulent vieillard que la mort semblait respecter pour le tourment de Carthage, s'agrandissait à son détriment. Après avoir mis Rome en défiance contre elle, il avait occupé le territoire d'Empories, qui était situé sur le bord de la mer, près de la petite Syrte. Quand les Carthaginois s'en plaignirent, les députés envoyés par Rome pour vérifier les faits trouvèrent que le roi numide n'avait pas tort. Peu après il envahit une autre province, puis une autre. Scipion l'Africain, chargé d'aller faire droit sur les nouvelles plaintes, ne voulut pas mécontenter un allié en faveur de

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la justice. Et pourtant Rome, en 181, assurait encore aux Carthagi. nois l'intégrité de leur territoire. Mais quoi? le Numide ne tarde pas à occuper une autre province et soixante-dix cités ou villages, et Rome le laisse faire.

Carthage, réduite à n'avoir plus d'armée, se perdait de plus en plus en recherchant la protection de ses vainqueurs, et en invoquant la justice d'un peuple qui ne connaissait pas d'autre loi que son intérêt. Cependant Massinissa, dont l'esprit rusé abondait en ressources, semait la défiance entre les deux villes. Il accusa Carthage d'être d'accord avec Annibal, et Carthage, pour se disculper,, expédia des vaisseaux à la poursuite de son général; elle confisqua ses biens, rasa sa maison, et donna connaissance au sénat romain d'une commission confiée par lui à Ariston. Le roi numide attesta ensuite que les Carthaginois avaient envoyé vers Persée pour conclure une alliance avec lui; et les ambassadeurs, venus de Rome à cette occasion, acquirent la certitude que le sénat de Carthage avait reçu de nuit, dans le temple d'Esculape, les envoyés du roi de Macédoine.

Lors de la guerre avec ce prince, Massinissa fournit des secours aux Romains, qui lui en surent gré : les Carthaginois offrirent des hommes, des vaisseaux, des vivres ; et Rome ne vit là que l'effet de la crainte et de l'avilissement. Craignant cependant qu'ils ne s'unissent de désespoir avec les Macédoniens, elle leur envoya Caton le Censeur, avec mission de concilier les différends existants; mais il se montra tellement partial et inflexible, que les Carthaginois refusèrent son arbitrage. Ce rigide et orgueilleux censeur n'oublia plus un pareil affront; et, autant pour ce motif que par suite de sa jalousie contre les Scipions tout-puissants dans le sénat, il ne cessa de conseiller la destruction de Carthage. Soit qu'il convint aux Scipions de laisser subsister ce vivant trophée de leur gloire, soit qu'ils craignissent, comme ils le disaient, que Rome ne vint à mollir quand cesserait l'imminence du péril, ils s'opposaient à la ruine de la ville rivale. Le Censeur, au contraire, ne se lassait pas de représenter combien son voisinage était dangereux, combien sa population s'accroissait; et, quelque sujet qu'il traitât dans le sénat, il terminait invariablement son discours par ces mots : Je pense qu'il faut détruire Carthage.

Quiconque connaissait Rome pouvait prévoir que le parti le plus violent finirait par l'emporter. Et toutefois la ville phéni

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Carthage:

cienne ne contribua que trop elle-même à rendre plus facile le triomphe de son implacable ennemie. Comment ne pas nous arrêter Décadence de quelque peu ici à méditer sur sa décadence? La chute des républiques est de beaucoup plus instructive que celle des empires; car ceux-ci se soutiennent ou tombent le plus souvent par des vertus ou des fautes individuelles, par l'incapacité ou l'habileté d'un monarque; tandis que la prospérité ou la ruine des républiques proviennent de causes plus profondes et plus générales.

Carthage attire particulièrement l'attention pour avoir été si grande, et pour être tombée dans un temps qui brille à nos yeux de tant de lumière. Le défaut de documents puniques nous force de glaner chez les étrangers des renseignements sur cette catastrophe mémorable. Tite-Live, préoccupé uniquement de l'apparence pompeuse et de ce qui peut glorifier sa chère Rome, ne songea presque point à étudier la constitution de la cité ennemie. Polybe, qui, contemporain des Scipions, vécut dans leur familiarité, et put examiner à fond cette république, lui est de beaucoup supérieur sous ce rapport; mais, séduit aussi par la grandeur, il se complaît à admirer Carthage tant qu'elle lutte avec Rome; puis c'est à peine s'il jette un coup d'œil sur l'intervalle écoulé entre la guerre des mercenaires, et le moment où éclata la troisième guerre punique. Il ne reste de Diodore que des fragments, mais ils sont précieux, surtout lorsqu'on les compare avec le récit d'Appien, et nous mettent à même de sonder les causes des désastres de cette république (1).

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charges.

L'agrandissement de Rome et la jalousie excitée contre la famille de Barca ne suffisent pas à beaucoup près pour rendre raison de l'affaiblissement de Carthage; il faut en chercher la cause dans sa constitution elle-même. En premier lieu, la vénalité des charges vénalité des les plus élevées dut lui être très-préjudiciable; car en même temps qu'un pareil abus exclut l'homme méritant, il rend les électeurs accessibles à la corruption, et fait accumuler sur une même personne des dignités et des pouvoirs qu'il importe de maintenir séparés, et dans une dépendance mutuelle. Il est vrai que dans une république aristocratique, comme était Carthage, tous les nobles ayant intérêt à conserver la constitution intérieure, ils ne cherchaient pas à la détruire. Il ne paraît même pas que jusqu'à la guerre avec

(1) Voy. notamment le liv. XXV de DIODORE, le 1er d'APPIEN, et HEEREN, Ideen, etc.

Factions.

Rome l'organisation politique se fût notablement altérée, puisque l'autorité du sénat continuait à être respectée, et qu'il n'est jamais parlé de factions.

Ce fléau des républiques naquit ou se développa dans Carthage durant la guerre des mercenaires. La famille d'Amilcar Barca, destinée à faire de sa patrie une puissance gigantesque et à l'entraîner à sa perte, entra alors en rivalité avec celle d'Hannon. Les haines furent poussées à un tel excès, que trente sénateurs ne parvinrent qu'à grand effort à les assoupir dans toute l'imminence du péril, jusqu'à l'instant où l'on eut raison de ce redoutable soulèvement des mercenaires.

Elles se ranimèrent alors. Amilcar se mit à prendre le parti du peuple, s'entourant de gens compromis et turbulents; et, à l'aide aussi du crédit que lui avaient acquis ses victoires, il donna une rude secousse à l'autorité du sénat, qui dut réunir toutes ses forces pour lui tenir tête. Ne se trouvant pas pourtant assez fort pour se soutenir, il conseilla la guerre, dans laquelle son bras devenait nécessaire. Il envahit l'Espagne; puis les trésors qu'il expédia de cette contrée lui servirent à justifier le conseil et l'expédition: ils allumèrent de plus le désir de conquérir toute la Péninsule, pour compenser la perte de la Sardaigne et de la Sicile, et pour atténuer les effets de la concurrence que l'on faisait au commerce carthaginois dans la Méditerranée.

Or, de même que la possession de l'Amérique devait perdre l'Espagne, la conquête de l'Espagne devint désastreuse pour Carthage. Les immenses richesses qu'elle tirait de ce pays, indépendamment de ce qu'elles corrompirent les nobles et le peuple, fournirent au général conquérant les moyens d'acheter la multitude et le sénat, et de diriger à son gré la chose publique. Durant les neuf années qu'Amilcar passa en Espagne, dont il subjugua la partie la plus riche, il se maintint puissant dans sa patrie, grâce aux trésors dont il disposait; et rien ne l'eût empêché d'en renverser la constitution, si sa mort n'eût fait avorter ses projets.

Asdrubal marcha sur ses traces; il fonda même en Espagne une nouvelle Carthage (Carthagène), déploya une pompe royale, épousa la fille d'un roi du pays; et toute sa conduite semble démontrer qu'il se proposait de rendre l'Espagne indépendante. Un assassin délivra Carthage de cette crainte.

Le parti d'Hannon, qui ne laissait pas la patrie s'endormir sur un

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