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leur culte, une aristocratie mercantile, et l'argent, leur mobile suprême, fermaient leur cœur à toute émotion généreuse?

Persistant donc à juger de la bonté d'un gouvernement selon Constitution. qu'il favorise davantage la moralité privée et publique, nous ne saurions nous réunir à ceux qui font l'éloge de celui de Carthage, et moins encore au philosophe de Stagyre, qui proclame la constitution des Carthaginois et celle des Spartiates, les meilleures parmi celles des peuples anciens. Aristote, dégoûté des continuelles agitations d'Athènes, ne voyait de mérite que dans l'immobilité; erreur qu'il partage avec bien d'autres, pour qui bonté et stabilité sont tout un.

Carthage était le centre de la vitalité et de l'action: tout ce qui se faisait dans les provinces et dans les colonies devait tendre uniquement à son avantage; ses citoyens étaient le corps dominant. Les Phéniciens émigrés transportèrent probablement en Afrique les formes de leur pays natal en même temps qu'une monarchie tempérée : mais dans la suite l'aristocratie l'emporta, ce qui, nonobstant toute tentative contraire, dura jusqu'aux guerres avec les Romains. C'était sans doute une noblesse héréditaire, issue des principaux personnages sous la direction desquels s'établit la colonie primitive. Deux suffètes, chefs du gouvernement de Carthage, présidaient le sénat; ils n'étaient pas élus, comme à Sparte, dans deux seules familles, mais parmi tous les citoyens; ils ne commandaient pas les armées, mais ils exerçaient les fonctions judiciaires, autre différence avec les rois spartiates. En cas de dissentiment de leur part avec l'assemblée aristocratique, le peuple était consulté, sans qu'il eût néanmoins ni le droit de voter l'impôt, ni celui d'élire des magistrats autres que ceux d'un ordre inférieur. Il paraît que dans un espace de quatre cents ans personne n'aspira à la tyrannie; puis vint un moment où plusieurs tentèrent successivement de s'en emparer, tels que Hannon (340) et Bomilcar (308); mais tous échouèrent. Les centum virs furent institués dans le but d'obvier aux abus du pouvoir de la part des chefs d'armée; ce n'était pas une magistrature populaire, car les grands seuls y étaient appelés; ce n'était pas le sort, comme pour les éphores de Sparte, qui décidait de l'élection, mais le mérite ou la richesse (1): la richesse, parce que, les charges étant honorifiques, (1) ARISTOTE, Politique, V, 7 : Όπου οὖν ἡ πολιτεία βλέπει εἴς τε πλοῦτον καὶ ἀρετὴν, καὶ δῆμον, οἷον ἐν Καρχηδονι, αὐτὴ ἀριστοκρατίκη ἐστί ; - 11 : Οὐ μόνον T. III.

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et non lucratives, même très-coûteuses, les riches seuls pouvaient y aspirer. En même temps que les membres de l'aristocratie composaient le grand conseil (oúyxλntos), les cent formaient un petit conseil (yepoucía), tribunal suprême d'État et de police, pouvant facilement dégénérer en tyrannie; aussi s'arrogea-t-il à la fin la direction de toutes les affaires. Le sénat lui-même se divisait en commissions de quinquévirs (Tevτaρxía) qui s'occupaient d'objets spéciaux et élisaient les membres de la Gérousie.

Le Sanhédrim, composé du grand et du petit conseils, délibérait sur les affaires extérieures, les ambassades, la paix et la guerre, les finances; et parfois il fallait à ses décisions la sanction du peuple.

Il n'y eut jamais à Carthage de tribunaux populaires, ni dès lors les maux sans nombre qu'ils produisirent en Grèce; mais les juges prononçaient souvent contre les accusés des peines atroces, les condamnant à être mutilés, lapidés, écorchés vifs, crucifiés, écrasés entre des pierres, foulés ou dévorés par des bêtes féroces. La démocratie prit de la force durant les guerres puniques, et alla même jusqu'à la violence; les faibles prétendirent non-seulement participer au pouvoir, mais encore tyranniser les forts. Les factions nées dans le sénat, en se multipliant, par suite de rivalités entre les deux familles pour lors dominantes, multiplièrent les occasions d'avoir recours au peuple. Puis vint Annibal, qui ébranla l'antique constitution en faisant décréter que les magistratures seraient annuelles : les abus allèrent en augmentant par suite de cette mesure, et ce fut une des causes de la ruine de Carthage (1).

Une autre cause de sa perte fut l'influence excessive qu’y exerçait la richesse disproportionnée et la prédominance de certaines familles, parmi lesquelles on choisissait de préférence les généraux et les principaux magistrats. Telle fut celle de Magon, qui durant quatre générations donna des capitaines à la république. Les généraux n'avaient pas d'autorité civile, et, après la guerre, ils reἀριστίνδην, ἀλλὰ καὶ πλουτίνδην οΐονται δεῖν ἀιρεῖν τοὺς ἄρχοντας : Cet ἀριστίνδην n'indique pas la naissance, mais les qualités personnelles.

(1) Qui élisait les Suffètes? étaient-ils réellement deux? nommés à la fois? à vie? L'aristocratie était-elle absolument héréditaire? Le sénat était-il un corps permanent? ou se renouvelait-il périodiquement? Tous les citoyens pouvaientils y être admis? quel était le nombre de ses membres? qui les nommait? Telles sont les questions que pourraient nous adresser ceux qui ne veulent pas voir éluder la précision critique par des formules générales; mais personne ne saurait donner de réponses satisfaisantes.

devenaient simples citoyens. Des pouvoirs illimités leur furent parfois conférés dans certaines expéditions; dans d'autres on plaçait près d'eux quelques membres de la Gérousie, qu'il leur fallait consulter, comme les commissaires de Venise et de la Convention nationale. Mais Carthage se montrait d'une justice trop rigoureuse à l'égard de ses généraux, et souvent la croix y attendait le vaincu; elle perdait ainsi un homme de guerre utile et rendait les chefs de ses armées forcément incertains sur ce qu'ils devaient entreprendre. C'était un système tout contraire à celui de Rome, où le peuple et le sénat vinrent au-devant du consul vaincu à Cannes pour le remercier de n'avoir pas désespéré du salut de la patrie et pour en faire un héros désireux de prendre sa revanche.

Carthage, très-commerçante, était aussi agricole, et ses alentours, très-fertiles, étaient partout admirablement cultivés; Polybe les vit « couverts de jardins et d'arbres, de canaux pour l'irrigation, de maisons de campagne ombragées d'oliviers et de vignes, avec des prairies aux pelouses verdoyantes.» Les principaux citoyens et les magistrats les plus élevés s'occupaient d'agriculture; plusieurs d'entre eux écrivirent même sur ce sujet des traités dont les Romains firent leur profit. Magon, notamment, traita de tous les travaux champêtres, dans un ouvrage en dix-huit livres, mal, heureusement perdu. Les enfants des grandes familles étaient élevés dans les temples depuis l'âge de trois ans jusqu'à douze ; ils apprennaient de douze à vingt ce qui concerne l'industrie et les différents métiers; puis à vingt ans on les instruisait aux exercices militaires. Ils devaient alors choisir la carrière dans laquelle ils voulaient entrer, sacerdoce, marine, commerce, industrie, ou guerre. La langue grecque fut bientôt dominante dans le pays, et des professeurs grecs y enseignaient la philosophie (1).

Nous avons pour unique monument du langage carthaginois quelques vers de Plaute, qui, à la fin du Pœnulus, fait parler un marchand de cette nation dans son idiome vulgaire, paroles qu'un autre personnage traduit ensuite en latin. Mais quelque peine que les savants se soient donnée, aucun, selon nous, n'a trouvé jusqu'ici une interprétation satisfaisante, pas même Bellermann (2).

(1) FABRICIUS, Bibl. Græca, p. 826.

Mœurs.

Civilisation.

(2) En 1815, MAï publia ces vers, avec variantes, dans les Frammenti inediti, découverts dans la Bibliothèque Ambroisienne. Mais dernièrement un savant prussien, en comparant ces variantes avec l'original existant

BIBLIOTHER

LYON

1892

TILLE

7.

A en croire Strabon, sept cent mille personnes auraient été assiégées dans Carthage par Scipion : mais en admettant qu'il s'y fût réfugié beaucoup d'habitants des campagnes environnantes, le nombre est assurément exagéré, et la population ordinaire ne dut pas y dépasser deux cent cinquante mille âmes. Elle était répartie dans trois quartiers principaux: la ville neuve appelée Mégara, entourée d'une muraille qui, dans plusieurs endroits, était triple; la plus rapprochée de l'intérieur s'élevait à trente coudées de hauteur, avec nombre de tours; on y avait appuyé une construction dont le rez-de-chaussée servait à loger trois cents éléphants (1) et quatre mille chevaux, plus les fourrages et les équipages militaires. Sur la hauteur se dressait le quartier de Byrsa (la citadelle). Le troisième comprenait le port militaire et l'île du Cothôn, dont il prenait le nom et qui communiquait avec le port marchand.

Sauf quelques inscriptions, rien n'est encore sorti de ces ruines qui puisse nous faire connaître l'état des arts puniques. Rien n'atteste même que l'admirable aqueduc de soixante pieds de hauteur, dont Charles-Quint fit prendre le dessin, et qui servit de modèle au Titien pour une tapisserie à exécuter pour la maison d'Autriche (2), soit l'ouvrage des Carthaginois ou celui des Romains. L'eau qu'il amène est reçue dans seize immenses citernes communiquant entre elles, et qui n'ont pas moins de quatre cent trente pieds de largeur. Tel était l'État contre lequel Rome allait avoir à combattre.

à Milan, affirma que l'auteur avait fait un travail de fantaisie, ajouté et retranché selon qu'il lui avait plu.

(1) Polybe donne cinquante éléphants aux Carthaginois qui assiégèrent Agrigente, cent à ceux qui combattirent à Adis (auj. Rhadès) contre Régulus; quatre-vingts à Annibal, dans les plaines de Zama. Selon Diodore de Sicile, Asdrubal, le fondateur de Carthagène, en avait deux cents en Espagne ; il y en eut cent cinquante à la bataille de Thapsus, la dernière livrée en Afrique où il ait parù des éléphants. Les Carthaginois ne les tiraient pas de l'intérieur de l'Afrique, mais du pays contigu au leur, sur le versant méridional de l'Atlas, où il ne s'en trouve plus depuis bien longtemps. C'est ainsi qu'ils disparaissent actuellement de l'Afrique méridionale, où ils étaient en nombre immense lors des premières colonies du Cap; ils ont été mis en fuite ou détruits par les colons. On peut voir dans l'Indische Bibliotek de Schlegel un mémoire très-savant : Zur Geschichten des Elephanten, t. I.

(2) Fischer d'ERLACH, Architect. historique, lib. II, Planc. II, Vienne,

1721.

CHAPITRE VII.

PREMIÈRE GUERRE PUNIQUE (1).

Au quatrième siècle après sa fondation, Carthage se montre conquérante redoutable, ce qu'elle doit surtout à la famille de Magon. Elle avait principalement en vue l'acquisition de la Sicile, mais elle se trouva arrêtée dans ses projets par Syracuse, qui, avec non moins d'ardeur, poursuivait le même but. Depuis le moment où Gélon eut défait les Carthaginois, qui, pour empêcher les colonies de secourir la Grèce assaillie par Xerxès, avaient envahi la Sicile, nous ne savons rien d'eux durant soixante-dix années, sinon qu'ils étendaient et consolidaient leur domination en Afrique. Ils recommencèrent à s'entremettre dans les affaires de Sicile durant la tyrannie de Denys, puis sous Agathocle, ainsi que nous l'avons déjà vu. Ces guerres avaient sans doute pour cause l'importance de l'île, mais elles avaient aussi pour objet d'occuper les citoyens les plus puissants, dans la crainte que, par leur crédit et par leurs richesses, ils ne trouvassent trop de facilité à mettre les troupes mercenaires dans leurs intérêts et à étouffer la liberté dans leur patrie. Il est probable qu'ils seraient parvenus, à force de persistance, d'habileté, et grâce à l'inépuisable puissance de l'or, à subjuguer la Sicile, n'eût été la rivalité des Romains.

Carthage et
Rome.

Carthage s'était anciennement rencontrée sur les mers avec ce er traité entre peuple, lorsque, déjà puissant sous ses rois, il luttait avecles Étrusques : nous possédons des documents qui le prouvent (2). Dès l'année

(1) Notre principale autorité est POLYBE, dont le récit va jusqu'à 216, ct les fragments jusqu'à 165. Tite-Live (XXI-XLV) et APPIEN suivent ses traces. Les vies de Fabius Maximus, de Paul Émile, de Marcellus, de Caton, de Flaminius, écrites par Plutarque, se rapportent au même temps.

(2) Ces documents, de la plus haute importance, furent ignorés par les historiens romains, et nous ont été conservés par le Grec Polybe.

Le premier porte ce qui suit :

1° Que les Romains et leurs alliés ne naviguent pas au delà du cap Beau, à moins d'y être contraints par la violence de la tempête, ou par des ennemis. S'ils y sont obligés, qu'ils ne fassent point de trafic et ne prennent rien, sauf les choses nécessaires pour approvisionner les navires et pour les sacrifices: qu'ils ne puissent y séjourner plus de cinq jours. (D'après les motifs déduits

508.

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